Jean-Baptiste Tati Loutard : un homme, une vie et une œuvre

Samedi 19 Juillet 2014 - 0:15

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Après avoir obtenu une double licence de lettres modernes et d’italien et un diplôme d’études supérieures de lettres en 1964 puis effectué divers stages d’enseignement sous l’égide de l’Unesco, il rentre au pays en 1966, après cinq années d’absence. Sur le plan de l’écriture, dans ses ouvrages de départ, après la génération pionnière des écrivains congolais du milieu des années cinquante dont il emboîtera le pas, il fera partie de la seconde génération, vers la fin des années soixante et le début de la décennie soixante-dix

Par une particulière conjonction de facteurs et un heureux concours de circonstances, dans les années qui ont suivi son retour au pays natal en 1966 Jean-Baptiste Tati Loutard va faire l’objet d’une ascension fulgurante. L’envol du mwana (l’enfant) s’apparente à celui de l’oiseau et, plus particulièrement, à celui du moineau. Du moins, c’est ainsi qu’il allait s’imaginer depuis sa tendre enfance : il se voyait en moineau. Dès lors, cette ascension va s’avérer époustouflante. Son envol en littérature va correspondre à celui de la littérature congolaise de langue française, commencé après l’indépendance du pays en 1960.

L’homme fut animé puis dévoré par deux grandes passions : l’enseignement, sur le plan professionnel, et l’écriture, son passe-temps favori, pour assouvir son plaisir personnel. En effet, entre l’enseignement pour lequel il se prédestine par vocation et l’écriture, Jean-Baptiste Tati Loutard optera d’abord pour le premier, canal par lequel il assouvira sa vocation, puis pour l’écriture par passion. Qu’à cela ne tienne, pour l’homme de lettres qu’il est, les deux activités restent complémentaires, la littérature étant sa terre et son domaine d’élection, voire de prédilection !

À Brazzaville, il enseigne la littérature au Centre d’enseignement supérieur de Brazzaville (CESB) et à l’École normale supérieure d’Afrique centrale. Sa thèse de doctorat de troisième cycle est consacrée à la poésie négro-africaine d’expression française.

Un homme dévoué au service de l’État congolais

Sur le plan professionnel, alors que la jeune administration congolaise issue du moule colonial à l’aube de l’indépendance est encore embryonnaire du fait d’un nombre insuffisant de cadres supérieurs, la fonction publique reste un gisement d’emplois à prendre, avec de nombreux postes administratifs non encore pourvus faute de candidats aux profils recherchés, particulièrement dans les catégories de personnel de maîtrise et d’encadrement.

C’est donc à la faveur de ce contexte local de congolisation des cadres, dérivé de celui de la loi-cadre de Gaston Defferre en 1956 de l’africanisation des cadres, que Jean-Baptiste Tati Loutard devient l’un des rares enseignants congolais à faire parie du corps professoral de la Fondation de l’enseignement supérieur en Afrique centrale (Fesac) et, bientôt, de son excroissance, le CESB jusqu’à se payer le luxe d’en être le directeur.

À partir de 1968, l’écrivain devint membre de l’Union nationale des écrivains et artistes congolais, organisation de masse étroitement liée au parti unique au pouvoir, dans laquelle il prit une part active puisqu’il imprima sa marque, une fois élu et promu à sa tête, en 1983. Il sera fortement exposé dans les médias en figurant parmi les grands invités des émissions littéraires tant à la radio qu’à la télévision nationales, mais également dans la presse écrite. Il en est de même à l’étranger.

Onze ans après son retour au pays, après avoir occupé les postes universitaires les plus importants et les plus prestigieux, comme ceux de directeur de la Fesac, laquelle attirait les étudiants de l’ancienne AEF, puis du CESB, et doyen de la faculté des lettres au sein de l’université en formation, il est désormais membre du gouvernement de la République.

Universitaire, de 1971 à 1975, il est respectivement directeur de l’École supérieure des lettres et du CESB, puis premier doyen de la faculté des lettres et, enfin, directeur général de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique.

Il enseigne, à vingt-sept ans, la littérature dans ce qui tient lieu d’université, le CESB, ancêtre de l’université de Brazzaville et de l’université Marien-Ngouabi. Par ailleurs, l’université Marien-Ngouabi est la dernière forme de ce qui s’appelait, tout au moins dans les années soixante, le CESB, lui-même institué sur les cendres chaudes de la Fesac), regroupant des étudiants venus de RCA, du Tchad, du Gabon et, bien évidemment, du Congo-Brazzaville, encore peu nombreux il est vrai à cette époque. Il s’agit de l’ancienne Afrique-Équatoriale française (AEF), avec le Cameroun en moins.

C’est en décembre 1975 que l’homme de lettres se vêt et se double, par la même occasion, du costume d’homme politique lorsqu’il intègre le gouvernement du président Marien Ngouabi, répondant ainsi à son appel. Véritable trait d’union entre les deux premiers, la politique s’invitera et s’intercalera en activité d’appoint. Au fond, l’universitaire veut se prouver à lui-même ce qu’il est capable de réussir et d’accomplir comme performances au plan culturel comme au plan professionnel par la réalisation de ses objectifs intimes. C’est un défi personnel qu’il se lance, sans jamais le clamer, ni le proclamer ! Il entend laisser par son œuvre une trace, un sillon sur terre, susceptible de rappeler, si besoin était, son passage ici-bas. C’est incontestablement une ascension fulgurante sur le plan de son itinéraire universitaire et politique !

Toute son activité professionnelle gravitera autour de trois axes : la pédagogie, la création littéraire et la haute administration. C’est dans ce triple carburant multidimensionnel qu’il ira chercher puis puiser, au point de s’épuiser, dans le but d’alimenter cette ascension qui, il est vrai, à la faveur du vent et du mouvement de l’évolution de l’histoire du pays natal, se fera fulgurante.

Professeur de lettres, écrivain et homme politique, Jean-Baptiste Tati Loutard mènera de front ces trois activités auxquelles il se consacrera pleinement de 1975 jusqu’à sa mort, en juillet 2009, et se dépensera sans compter. Avec une grande maîtrise et avec abnégation.

Gaspard Nsafou