La chute du gouvernement Letta, la fin de “l’expérience” Kyenge ?

Vendredi 14 Février 2014 - 18:06

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Le chef du gouvernement italien a présenté sa démission vendredi, entraînant celle de tous ses ministres

Curiosité de la vie politique italienne, l’équipe gouvernementale que dirigeait Enrico Letta depuis avril 2013 était un équipage assez dissonant. Qualifié de « gouvernement de large entente », il était composé des représentants du parti majoritaire de gauche, le Parti démocrate, mais aussi de gros calibres de la droite modérée, jadis sous la férule de Silvio Berlusconi. Une telle composition était la solution trouvée pour sortir le pays de la paralysie dans laquelle l’avait plongé l’incertitude de l’élection législative, qui n’avait pas dégagé de majorité forte à la Chambre.

Après des semaines de tiraillements, la gauche et la droite parvenaient enfin à s’entendre sur les réformes prioritaires à mener ensemble. Le plus curieux aujourd’hui est que si, grosso modo, cette entente a pu tenir (et pourrait même continuer), les attaques qui ont conduit à la chute d’Enrico Letta vendredi ne proviennent pas de ses adversaires, mais de son propre parti, conduit désormais par le fougueux Matteo Renzi. Et, à droite aussi, Berlusconi a dû s’éloigner des frondeurs qui ont tenu, en dépit des menaces et pressions, à rester au gouvernement malgré sa volonté contraire…

Pour toutes ces raisons, le gouvernement Letta était une sorte de laboratoire de la vie publique italienne. C’était aussi un laboratoire social, car pour la première fois dans l’histoire de l’Italie, il comprenait une femme originaire d’Afrique subsaharienne. Et le portefeuille confié à Cécile Kyenge Kashetu, Italo-Congolaise de la République démocratique du Congo, n’était pas des plus faciles. L’intégration est en effet un thème qui a toujours divisé la société italienne. L’ancien Premier ministre Silvio Berlusconi y était ouvertement opposé, lui qui ne voulait « pas d’un Barak Obama italien ».

Du reste, tout au long de son mandat, Cécile Kyenge n’a pas eu la partie facile, cible répétée des critiques et des attaques les plus ignobles. Insultes à caractère raciste, perturbations des manifestations où elle devait prendre la parole, huées et symboles répugnants ont jalonné son passage au gouvernement. Ils étaient, surtout, le fait d’une extrême droite prenant prétexte de sa volonté d’accorder la citoyenneté aux enfants nés de parents étrangers en Italie pour l’accuser de tous les maux. « N’y a-t-il personne pour me la violer ? », écrivait sur Twitter une députée de la droite extrême (qui a fini par être expulsée de son parti).

Rien d’étonnant, donc, que les premiers à avoir enflammer les réseaux sociaux dès l’annonce de la chute du gouvernement soient les extrémistes. Ils s’en sont donné à cœur joie pour dire leur contentement de voir « enfin Kyenge sans travail ». « Faisons tous ensemble une bonne action : aidons cette “travailleuse” au chômage », a écrit le secrétaire fédéral du parti xénophobe de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, qui avait, quelques mois plus tôt, affirmé que « la Kyenge était la plus inutile des ministres Letta ».

Comme à son habitude, face à ce nouveau déchaînement, Cécile Kyenge Kashetu n’a pas bronché. Ses derniers mots ont été pour se féliciter que, grâce à sa présence au gouvernement, des thèmes aussi passionnels que l’immigration, la citoyenneté, l’intégration ont fini par s’imposer dans l’agenda politique. « L’Italie a fait un pas très important en décidant de se doter d’un ministère de l’Intégration. C’est un choix qui voulait indiquer la volonté de faire bouger les choses en matière d’accueil » des étrangers notamment, a-t-elle estimé. La question sera de voir si ce cap sera maintenu par le successeur d’Enrico Letta, quel qu’il soit.

Lucien Mpama