Littérature : les cinq romans qui ont marqué 2018

Vendredi 28 Décembre 2018 - 12:05

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Chers amis lecteurs, 2018 s’en va certes mais, elle n’emporte pas avec elle tous les livres qui ont été écrits et publiés en cette année. On ne va pas les mettre à la poubelle. Si vous n’avez pas encore eu le temps de lire ces ouvrages qui nous ont marqués au cours de cette année qui s’achève et que nous vous avons présentés tout au long des semaines, vous avez 2019 pour vous rattraper. Mais de grâce, ne finissez pas 2019 sans les avoir lus. Voici donc parmi les nombreux romans d’auteurs africains publiés en 2018, les cinq qui nous ont le plus marqués et que nous vous recommandons à lire ou à offrir en cette période de fête. Bonne fête et surtout bonne lecture !

"Un océan, deux mers, trois continents" de Wilfried N’Sondé

Dans son roman qui a reçu le prix Ahmadou-Kourouma en avril, au Salon du livre de Genève, en Suisse, et le prix des lectrices et des lecteurs de « l’Express/BFMTV » en juin à Paris, Wilfried N’Sondé donne une voix à Nsaku Ne Vunda baptisé Dom Antonio Manuel au moment de son ordination. L’écrivain né à Brazzaville imagine la terrible odyssée durant laquelle il observa de près la traite négrière, essuya des tempêtes, survécut à une attaque de pirates et fut incarcéré par les royaumes d’Espagne et du Portugal. Wilfried N’Sondé signe, avec ce livre, tout à la fois le portrait d’un héros méconnu, un roman de pirates et un témoignage troublant sur la traite transatlantique au XVIIe siècle.

Lors de la délibération du prix de « l’Expresse/BFMTV, les jurés, avant de le couronner, en parlaient les yeux brillants. Comme s'ils venaient d’effectuer un long périple avec un être d’exception. Oui, tous les membres du jury ainsi que son président, Jean-Christophe Rufin, semblaient être sonnés par la lecture du cinquième roman de Wilfried N'Sondé. A juste titre. Tant ce livre prend à la gorge dès la première page pour ne plus vous lâcher. Entre-temps, vous aurez compati, pleuré, prié mais aussi espéré et souri. A lire à tout prix.

"Frère d’âme" de David Diop

Voici un roman à la beauté époustouflante. Il nous plonge au cœur de la terreur, dans les tranchées de la Grande Guerre, vues par un tirailleur sénégalais, Mademba Diop.

L’auteur, dans une belle langue simple, délicate, imagée, ponctuée de temps très forts, qui colle parfaitement au trouble de son héros, donne voix à ce soldat, plus lui-même, perdu par la douleur et l’aveuglement, désemparé et sanguinaire. Il redonne vie à ces milliers d’hommes, ces « Chocolats d’Afrique noire », jamais entendus jusqu’alors ou si peu qu’on envoyait se faire trouer la peau au cœur d’un conflit qui n’était pas le leur.

Cet ouvrage, couronné par le prix Goncourt des lycéens 2018, est aussi une réflexion à propos de la violence et de l’amitié absolue, au-delà de tout, peut-être aussi, un questionnement sur les rapports ambigus entre la France et l’Afrique coloniale, à la fois lointaines et proches.

"Western Tchoukoutou" de Florent Coua-Zotti

Une vraie réussite que ce roman original et dépaysant, tant par l’écriture que par l’histoire, très bien trouvée et vivante à souhait.
On est transporté en Afrique, au Bénin, par la magie des mots qui sont autant d’images subtiles pour nous emmener à Natingou City sans effort. On y rencontre trois amis d'enfance, « sauce tchoukoutou » ( du nom d’un alcool du coin), le cow boy, le shérif et le desperado tenancier du saloon local, que recherche une certaine Nafi dite kalamity Djane. Pourquoi ? En dire plus serait dommage tant il faut découvrir d’abord, par petites touches, les personnages, les lieux, leurs habitudes et compromis avec la vie pour suivre ensuite l'intrigue. Les personnages sont tous très bien campés. Leur façon de parler, à travers la langue de l’auteur très belle et imagée, donne un petit côté humoristique et nonchalant à cette histoire décalée mais crédible. Et on se prend à tourner les pages, à revenir en arrière pour redécouvrir une phrase amusante, un proverbe, à lire à haute voix les chants de l’éternel amoureux pour les mots et les rimes. On voyage, on s’émeut, on s’amuse. Et tout cela dans une langue savoureuse. Un régal donc, à consommer sans modération, un roman qui devrait vous enchanter.

"Il est déjà demain" d’Henri Lopes

Un roman autobiographique est probablement l’exercice le plus difficile en littérature car, il faut savoir se dévoiler avec le plus de véracité possible tout en réussissant à susciter et conserver l’intérêt de celui qui vous lit. A cet égard, il faut admettre que l’autobiographie d’Henri Lopes est une réussite dans le genre.

Né au Congo-Kinshasa de parents métis, l’auteur grandit à Brazzaville, étudie ensuite en France à la Sorbonne et deviendra Premier ministre du Congo-Brazzaville de 1973 à 1975. Nous suivons Henri Lopes dans ses mémoires, de l’histoire précédant sa naissance qui conditionnera son identité à aujourd’hui. La petite histoire rejoint la grande et l’auteur nous fait découvrir un visage moins connu du Congo, où il n’est pas uniquement question de colonisation mais aussi de l’après : la reconstruction de l’identité de l’homme africain après le passage de la nation colonisatrice. Un récit parsemé de réflexions intelligentes aux vertus éducatives sur un sujet qui mérite que l’on s’y attarde.

Si la vie d’Henri Lopes a certainement été très riche, rendant ainsi son récit passionnant, il ne faut pas occulter ses talents de conteur. Du Congo à la France, en passant par la Russie ou l’île de Noirmoutier, on suit les tribulations de l’auteur avec grand intérêt. Un livre qui, j’en suis persuadé, vous donnera désormais envie de découvrir les autres textes d’Henri Lopes. Je recommande chaudement la lecture de cet ouvrage pour quiconque voudrait en apprendre davantage sur la construction de l’identité africaine aux lendemains de la décolonisation.

"Sous les branches de l’Udala" de Chinelo Okparanta

En 1968, en pleine guerre entre le Nigeria et le Biafra, le père de la jeune Ijeoma est victime d’un raid aérien. Restée seule, avec des ressources qui s’amenuisent, sa mère ne voit d’autre solution que de placer l’adolescente chez le professeur et sa femme, des amis de la famille. Là, Ijeoma fait la connaissance d’une fille de son âge et se rend compte qu’elle est attirée par elle. Quand cette relation scandaleuse est découverte et la jeune fille renvoyée auprès de sa mère, celle-ci entreprend de longues leçons autour de la Bible pour la remettre dans le droit chemin. Car le poids de la religion est énorme. Plus tard, en pension, Ijeoma et Amina se retrouvent.

Le roman retrace le parcours de la jeune fille, puis jeune femme, de 1968 à 1980. Portée par une belle écriture, l’histoire d’Ijeoma, dont elle-même est la narratrice de longues années plus tard, ne manque pas de force ni d’une grande tension car, sa vie, lorsqu’elle fréquente d’autres jeunes femmes, est constamment menacée. Tout doit rester parfaitement secret, les lapidations sont monnaie courante et considérées comme « normales » pour punir ces « abominations ». L’auteure tente de donner les clefs pour comprendre la psychologie des personnages et y réussit fort bien avec Ijeoma et avec les jeunes gens, des deux sexes, de sa génération, peut-être un peu moins avec les personnes plus âgées, quoique le portrait de la mère d’Ijeoma aille en s’affinant au fil des pages. Un très beau roman, très prenant, qui rappelle que ce qui peut sembler acquis dans les pays occidentaux, et encore, si peu, reste totalement occulté, car hors-la-loi, dans d’autres contrées où les mœurs et les coutumes sont différentes.

 

Boris Kharl Ebaka

Légendes et crédits photo : 

Illustration

Notification: 

Non