Remarquable leçon inaugurale de l’écrivain Alain Mabanckou au Collège de France

Vendredi 18 Mars 2016 - 10:15

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Jeudi soir, l'auteur franco-congolais a prononcé un discours inaugural d'une remarquable résonnance du discours inaugural dans un Collège de France plein à craquer

Elégamment habillé par Jocelyn Armel le Bachelor, Alain Mabanckou est apparu au public en veste bleue moirée, nœud papillon sur chemise blanche. Pendant une heure et demie, en présence de George Pau-Langevin, ministre des Outre-mer, Audrey Azoulay, ministre de la culture, de Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie, d'André Vallini, le secrétaire d'Etat en charge de la Francophonie, de l’administrateur Alain Prochiantz et des professeurs du Collège de France, d’Henri Lopes venu en tant qu’écrivain, de l'académicien Dany Laferrière, ami de longue date du romancier, et d’illustres invités, l’auteur de « Lumières de Pointe Noire », âgé aujourd’hui de 50 ans, a déroulé le parchemin d’une leçon inaugurale axée sur la littérature d’Afrique noire et la littérature coloniale française qui sont à la fois inséparables et antagoniques, en faisant alterner humour et sérieux avec toujours, comme fil rouge, un profond humanisme.

Dès 17 h, la salle de 430 places était prise d’assaut: il a fallu relayer l’intervention, de façon urgente, en visioconférence à trois autres amphithéâtres de même capacité, afin de permettre à tous de suivre cette séance, animée pour la première fois par un romancier depuis la création de la chaire en 2005. Ce qui a fait dire à Alain Mabanckou à l’adresse de ses homologues qu’en l’accueillant au Collège de France, « vous poursuivez votre détermination à combattre l’obscurantisme et à convoquer la diversité de la connaissance », fier de prendre en référence le premier roman « Batouala », « roman nègre » signé par le Guyanais René Maran et primé par le Goncourt.

« Qui suis-je au fond ? » s’est interrogé Alain Mabanckou. Est-il un "Congaulois" comme dirait le grand poète congolais Tchicaya U Tam’si ou un "binational", pour coller à l’air du temps ? En fait, il a expliqué que « en 1530, au moment de la fondation du Collège, les Africains "n'existaient pas en tant qu'êtres humains : j’étais encore un captif et en Sénégambie par exemple, un cheval valait de six à huit esclaves noirs ! Et d’ajouter que « c'est ce qui explique mon appréhension de pratiquer l'équitation et surtout d’approcher un équidé, persuadé que la bête qui me porterait sur son dos me rappellerait cette condition de sous-homme frappé d’incapacité depuis "la malédiction de Cham", raccourci que j’ai toujours combattu ».

Après cette thèse de la part du romancier, « tout cela est, certes, de l’histoire, tout cela est certes du passé, me diraient certains. Or, ce passé ne passe toujours pas, il habite notre inconscient, il gouverne parfois bien malgré nous nos jugements et vit encore en nous tous car il écrit nos destins dans le présent », a-t-il dit. « Ce qui est historique, c’est la rencontre d’un savoir-faire africain avec une réflexion, une intelligence française », a expliqué le professeur. « Cette rencontre était attendue. Elle a eu lieu aujourd’hui et nous en sommes absolument ravis ».

« J’appartiens à cette génération, celle qui s’interroge , celle qui, héritière bien malgré elle de la fracture coloniale, porte des stigmates d’une opposition frontale de cultures dont les bris de glace émaillent les espaces entre les mots, parce que le passé continue à bouillonner… et que nous autres Africains n’avions pas rêvé d’être colonisés, que nous n’avions jamais rêvé d’être des étrangers dans un pays et dans une culture que nous connaissons sur le bout des doigts. Ce sont les autres qui sont venus à nous, et nous les avons accueillis à Brazzaville, au moment où cette nation était occupée par les nazis ».

« J’appartiens à la génération du Togolais Kossi Efoui, du Djiboutien Abdourahman Waberi, de la Suisso-Gabonaise Bessora, du Malgache Jean-Luc Rahimanana, des Camerounais Gaston-Paul Effa et Patrice Nganang ».

« En même temps, j’appartiens aussi à la génération de Serge Joncour, de Virginie Despentes, de Mathias Enard, de David Van Reybrouck et de quelques autres encore, qui brisent, refusent la départementalisation de l’imaginaire parce qu’ils sont conscients que notre salut réside dans l’écriture, loin d’une factice fraternité définie par la couleur de peau ou température de nos pays d’origine ».

Un standing ovation a salué la prestation du professeur invité. Les dates du 29 mars et du 2 mai sont d’ores et déjà annoncées pour les prochains cours dans une université du savoir ouverte à tout un chacun. Parions que l’affluence étonnera encore comme l’a souligné l’Administrateur et président de l'Assemblée des professeurs : « Magnifique ! » s’est-il exclamé en de préciser que rarement un professeur invité avait fait l’unanimité avec une belle leçon.

 

Antoine Daniel Kongo

Légendes et crédits photo : 

Alain Mabanckou a dispensé sa première leçon au collège de France, élégamment habillé par Jocelyn Armel "Le Bachelor" (JACQUES DEMARTHON / AFP) Alain Mabanckou félicité par Michaelle Jean, la secrétaire générale de l'OIF, André Vallini, le secrétaire d'Etat en charge à la Francophonie, et de George Pau-Langevin, la ministre des Territoires d'Outre-mer (JACQUES DEMARTHON / AFP)

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