Riva Kalimazi Lombume : « Il avait la capacité de se mettre au même niveau que ses interlocuteurs »

Vendredi 6 Mai 2016 - 21:28

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Rencontré peu après l’arrivée de la dépouille mortelle de Papa Wemba à Kinshasa, l’artiste qui campait le rôle de son ami Mongali dans La Vie est belle a daigné, malgré la vive douleur qui lui serait le cœur, accorder cette interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville à la morgue du Cinquantenaire. Il n’a pas hésité, quand il l’a fallu, à remonter dans ses souvenirs pour parler de celui dont il était véritablement l’ami, cet aîné devenu copain dont il souligne des traits de caractère particuliers.

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Quel souvenir gardez-vous de Papa Wemba  ?

Riva Kalimasi Lombume : Si je dois parler de la personne de Papa Wemba, il avait énormément d’amis. Il connaissait beaucoup de monde, mais ne mettait pas tout le monde dans le même sac. C’est ce qui était magnifique. Il tenait compte et respectait l’amitié. Si l’on me demandait de trouver un mot qui caractérisait Papa Wemba, je dirais, le respect. Il respectait les gens, même les moins que rien ou les démunis. Et aujourd’hui, l’on se rend compte de sa grandeur parce que des chefs d’État du monde entier réagissent à sa mort. J’ai lu dernièrement encore que John Kerry, vice-président des États-Unis d’Amérique transmettait ses hommages à Papa Wemba et ses condoléances à sa famille. Ali Bongo qui s’exprimait sur sa page Facebook disait ; « Je viens de perdre un ami ». Il était l’ami des grands de ce monde et on le voyait côtoyer, parler et discuter humblement avec la plèbe, les shégués. Il avait cette capacité de se mettre au même niveau que ses interlocuteurs. Quand il parlait avec les enfants de la rue, il adoptait leurs mimiques et utilisait leur langage et quand il se trouvait avec les grands de ce monde, c’était pareil. Il avait l’attitude des personnes avec lesquelles il s’entretenait. Très humble et respectueux. Voilà, je le définis par ces deux qualificatifs

L.D.B. : La Vie est belle, ça va chercher loin, mais vous souvenez-vous d’une anecdote en rapport avec le tournage de ce film  ?

R. K. L.  : Il nous est arrivé, à Papa Wemba et moi, de regarder des extraits ensemble mais la dernière fois que nous avons regardé le film dans son entièreté, c’était à la Monuc vers 2005-2006. Depuis lors, je n’arrive plus à le regarder dans son entièreté parce qu’il y a tellement de comédiens qui sont morts entretemps. Et, je me souviens, après le film, il m’a dit : « Ah, Riva, Totikali lisusu mingi te na film ‘ango ! » ( Ah, Riva, il n’en reste pas beaucoup des acteurs dans ce film !). « Kaka Kabibi, yo, na nga ! » (Juste Kabibi, toi et moi !). Tous les autres étaient partis. Et de poursuivre : « Pépé Kallé, Emoro, Mama Mvuandu, Mvuandu lui-même, bango nionso bakeyi, totikali muke ! (Pépé Kallé, Emoro, Mama Mvuandu et Mvuandu lui-même sont tous partis. Il en reste si peu). Entre nous, ce film, j’ai du mal à le suivre. Il passe maintenant en boucle à la télé. J’évite de le regarder, je n’y arrive pas. Maintenant, une anecdote par rapport au film, c’est par rapport aux autres acteurs et pas Papa Wemba lui-même. C’est au sujet d’Emoro qui était un adorable copain. Dans tous les lieux de tournage, « il se mariait ». Papa Wemba me faisait remarquer : « Papa Rody azui lisusu mwasi mususu awa. (Papa Rody s’est encore trouvé une femme ici). Dans chaque lieu de tournage, il y avait une copine à Emoro, aussi bizarre que cela paraisse. Et, Papa Wemba les avait à l’œil, à Selembao, par exemple, il me dit : « Tiens, voici encore une copine à Emoro ! ». Là, on se marrait. 

L.D.B. : Vous faites partie du fameux Village Molokaï, comment est-il né  ?

R. K. L.  :. Je n’étais pas à Kinshasa à l’époque. Mais, ce que je sais c’est que bien avant sa naissance, vers les années 1963-1964, il y avait des projections de film en cité, du cinéma de rue, proposées par l’abbé Corneille. Il projetait des films dans les rues de la ville, que ce soit à Bandal, Matonge, Yolo, etc. Et, dans un des films, il était question du Village Molokaï. C’était le village des lépreux du frère Damien. Et, il paraît qu’après cette projection organisée au foyer social de Matonge, les vieux du quartier, aînés de Papa Wemba, parce que lui aussi était assez jeune à l’époque, en voyant ce film avaient décidé : « Voilà, notre quartier, s’appelle le Village Molokaï ». Ils ont surnommé le quartier en référence à ce film. Et, des années plus tard, quand Papa Wemba créera l’orchestre Viva la Musica, c’était l’époque où Fela au Nigéria avait son village Kalakuta. Il a dit moi je vais créer le Village Molokaï parce que c’est la cité de Molokaï. Et, comme par hasard, en réfléchissant, on est parvenu à faire correspondre ce nom en mettant ensemble les premières lettres des avenues du coin en les plaçant les unes à la suite des autres. M de Masimanimba, O de Oshwe, Lo de Lokolama, Ka de Kandanda, puis I de Inzia. Ça a donné Molokaï. C’était parfait, ça tombait dans le sens du mot. Mais Molokaï ne se limitait pas à ces trois, quatre, cinq avenues. Ça reprenait tout le secteur. Et donc, aujourd’hui, Molokaï ce n’est plus cet acronyme, mais bien tout un état d’esprit. C’est un village des gens qui réfléchissent comme lui, qui vivent dans le même monde. « Molokaï ezali awa, Molokaï ezali pe na poto. Bana poto bazali awa bazali pe bana Molokaï. (Molokaï c’est ici, c’est aussi en Europe. Ceux qui sont venus d’Europe pour les funérailles sont aussi des fils de MoloKaï) ».

L.D.B. : Étiez-vous au demeurant un bon ami de Papa Wemba à l’image de ce que vous êtes dans La Vie est belle  ?

R. K. L.  : Oui, mais dans le tard. Il est plus âgé que moi, c’est mon aîné. C’est à la base un très grand ami à mon frère aîné, le Colonel Jagger. D’ailleurs, dans l’une de ses chansons, il le dit. C’était son ami d’enfance.

L.D.B. : Qu’est-ce qui vous rend nostalgique en pensant aux moments passés avec cet ami de longue date  ?

R. K. L.  : Il y a tellement de souvenirs qui me remontent à l’esprit…Mais il y a la bouffe. Tard le soir, il était sobre, on mangeait des conserves, du corned-beef. Lui, il appelait cela « Kundulu ». A une heure du matin, parce qu’il venait me rendre visite très tard la nuit. Et, quand on avait faim, nous achetions du corned-beef. Il suffisait juste de chauffer et nous le dégustions avec de la chikwangue acheté à Djakarta. Il n'était pas compliqué. Voilà, c’est ce genre de souvenir qui me revient là tout de suite.

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo : Riva Kalimasi Lombume l’air grave à la morgue de l’hôpital du Cinquantenaire

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