51e anniversaire de la Guinée- Bissau : hommage poignant de Denis Sassou N’Guesso aux héros de l'émancipation africaine

Samedi 16 Novembre 2024 - 15:15

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Excellence monsieur le président de la République de Guinée-Bissau, cher frère !

Messieurs   les  chefs   d’Etat   et   de gouvernement !

Mesdames, messieurs !

Permettez-moi d’adresser un grand merci au président Umaro Sissoco Embaló, président de la Guinée-Bissau, et  au  peuple  bissao-guinéen pour l’accueil combien chaleureux  qui  a été réservé à la délégation qui  m’accompagne dans ce beau pays et à moi-même.

Recevez  mes  sincères remerciements également pour le grand honneur qui m’est fait de prendre la parole et de porter témoignage à cette cérémonie solennelle, historique à  tous  égards, en mémoire du grand héros de la  lutte de libération en Afrique que fut Amilcar Cabral !

Aux candidats à la gloire et aux prétendants à l’immortalité, un grand sage disait (je  cite)  :  «Dans les lettres, soit dans la politique, et, sois éminent dans la  vertu,  sois  un  héros  et  tu  seras éternel.  Considère qu’il est dans ta main de vivre  éternellement.  A  toi  de  devenir célèbre en t’attelant à des prouesses, travaille pour devenir insigne soit dans les armes, soit Ne fais aucun cas de la vie matérielle. En revanche, estime la vie que donnent l’honneur et la renommée et  entends  cette  vérité :  les  grands hommes  ne  meurent  jamais »  (fin  de citation).

Voilà, mesdames et messieurs, pourquoi nous nous retrouvons ce jour et en ces lieux pour magnifier le souvenir d’Amilcar Cabral,  digne  fils de  ce  beau pays et  d’Afrique qui, après  avoir pris le chemin de la vertu,  après  s’être vaillamment battu pour le  bien public et l’intérêt général, face à l’adversité, a fini par accéder au trône de  la  gloire et  siéger au firmament de l’estime collective, rejoignant ainsi les béatitudes de l’Immortalité.

 Il faut dire que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les empires coloniaux français et britanniques sont ébranlés. Ils vont être progressivement démantelés. L’ONU devient une tribune puissante pour tous les  mouvements de libération dans les  pays encore sous domination coloniale.

Nommé directeur du Centre expérimental agricole de  Bissau, Amilcar Cabral,  dont la  biographie des années de  jeunesse est largement connue ici,  acquiert une connaissance approfondie de son pays et tisse de précieux liens avec sa population.  Il s’imprègne avec assiduité de la structure socio-économique de la colonie qui  l’a vu naître, la Guinée-Bissau.

 C’est à la même époque que Cabral s’intéresse aux idées du Panafricanisme, dans le sillage de Kwame Nkrumah. Mais, il se  passionne aussi pour la  poésie de Léopold Sédar  Senghor et débat avec ses camarades de lutte du concept de Négritude forgé  par le Martiniquais Aimé  Césaire, dont le poète sénégalais est l’ami  intime.

Les autorités coloniales portugaises le trouvent suspect, voire dangereux, ce qui le contraint, par précaution, à s’exiler en Angola où, très vite, il entre en  contact avec le  mouvement nationaliste local au sein duquel se  dessinent déjà les  trois factions rivales  (MPLA,  Unita  et   FNLA)  qui domineront plus tard la  scène politique angolaise.

Revenu en Guinée-Bissau, Cabral fonde en 1956 le Parti africain pour l’Indépendance de la Guinée et du Cap- Vert (PAIGC). Il tente alors de  pousser les autorités métropolitaines portugaises, de plus en  plus isolées sur la  scène internationale, à négocier avec  lui. Mais  en vain.

Après  plusieurs tentatives infructueuses de négocier avec les autorités coloniales portugaises, le PAIGC n’a guère plus d’autre solution que d’engager la lutte armée.

Soutenu par l’Union soviétique, Cabral engage avec un extraordinaire sang- froid, dès 1963, une guérilla qui a pour théâtre  des  opérations le  Sud  du pays, avec   des  bases-arrières  en   Guinée- Conakry.

L’armée coloniale portugaise, qui compte alors près de vingt mille soldats mobilisés dans le pays, se trouve vite débordée. Sous l’impulsion de Cabral, la guérilla prend un essor rapide.

En  1972, Cabral parvient à organiser l’élection d’une Assemblée nationale, remportant ainsi un succès inattendu. En 1973, le PAIGC contrôle déjà la majeure partie du pays.  Au cours  de  cette même année, le Conseil de  sécurité des Nations unies  somme  le  Portugal  de   mettre  un terme à cette guerre coloniale d’un autre âge.

Malheureusement, manquant  de  lucidité et  acculé par ses propres turpitudes, le pouvoir  colonial  portugais  va  faire assassiner Cabral. A l’instigation des services secrets de la PID, notre camarade, notre héros est froidement abattu le 20 janvier 1973, près de sa résidence de Conakry.

Mort avant de  voir  son combat aboutir, Amilcar Cabral aura hissé très haut l’étendard de sa pensée politique, celle- là même qui fera de lui l’un des plus grands théoriciens des indépendances africaines et de  la révolution.

Dans son discours à la Conférence de Dar Es Salam sur les luttes de libération, tenue en 1965, il clamait haut et fort (je cite)  : « Les colonialistes ont l’habitude de dire qu’ils nous ont fait rentrer dans l’histoire. Nous démontrerons aujourd’hui que non : ils nous ont plutôt fait sortir de l’histoire, de notre propre histoire, pour les suivre dans leur train, à la dernière place, dans le train de leur histoire ».

 Dans « L’arme de la théorie », un recueil de discours paru en 1975, après son lâche assassinat, on peut aussi lire ces mots qui mettent en   évidence sa foi  dans  le Panafricanisme :  « Personne    ne    peut douter, parmi notre peuple, comme chez tout autre peuple africain, que cette guerre de libération nationale dans laquelle nous sommes engagés         n’appartienne à l’Afrique tout entière ».

Le nom d’Amilcar Cabral restera gravé à jamais et en lettres d’or sur le fronton du Panthéon des dignes fils de notre continent qui  ont payé au prix du sang leur engagement anticolonialiste. En  le disant, j’ai une pensée émue pour :

- Eduardo Mondlane, premier président du Frelimo, assassiné en  1969 ;

- Samora Moïses Machel, premier président de  la  République populaire du Mozambique, mort  le  19 octobre1986 à Mbuzini, dans  un  tragique accident d’avion, entouré de  toutes les suspicions, dans une Afrique du Sud encore dominée par les  tenants du régime de  l’Apartheid.

- Emery  Patrice  Lumumba, Premier ministre de juin à septembre 1960, l’un des principaux artisans de l’Indépendance de la République démocratique du Congo, assassiné en janvier 1961, à l’âge de  35  ans.

- Hodjia  Henda et  Steve  Biko,  tous deux valeureux combattants  de  la liberté et martyrs du sang versé.

- Marien   Ngouabi,  président de la République Populaire du Congo, mon pays, assassiné le  18  mars  1977. De lui,  l’histoire retiendra  qu’il  fut constamment à  l’avant-garde du soutien aux luttes de  libération en Afrique et  dans de  nombreux pays du Tiers-Monde. Son nom restera également gravé en lettres d’or au Panthéon de  l’immortalité.

• Messieurs les chefs d’Etat !

• Mesdames et messieurs !

Depuis les découvertes de l’ethnologue Yves Coppens sur les âges canoniques de l’humanité et la primauté de l’homme africain, l’Afrique est fière d’être le pays d’origine du genre humain, le berceau de l’Humanité. Cette connaissance a largement contribué à sa reconnaissance universelle et  à son rayonnement. Elle  a indéniablement constitué un  tournant  dans la représentation du  reste du  monde sur notre continent et ses habitants.

C’est sans doute pour cette raison que de nombreux Africains vivent encore l’esclavage de  leurs ancêtres et  la colonisation de  triste mémoire, encore si récente, comme la pire des humiliations qui leur ait jamais été infligée dans l’histoire.

Et, c’est précisément pour laver cet affront devant l’histoire et pour rétablir l’honneur bafoué des peuples de cette partie du monde que certains dignes fils du continent, comme Amilcar  Cabral, ont versé leur sang, après avoir porté haut le glaive  du génie de  la liberté.

A tous ces illustres fils du continent, qui rayonnent aujourd’hui au Panthéon de l’immortalité, Je rends un vibrant hommage, avec une pensée reconnaissante pour :

- Kwame Nkrumah, premier président du Ghana,  qui   lutta  avec   bravoure  pour l’indépendance de la colonie britannique du « Gold  Coast », grand panafricaniste, s’il en   fut un,  qui   n’eut  de   cesse  de prôner  la   création  des  « Etats-Unis d’Afrique ».

- Kenneth Kaunda,  ancien président de la  Zambie, père de  l’indépendance de  ce pays.

- Ahmed  Sékou  Touré, seul  dirigeant nationaliste africain à avoir dit NON, en 1958,  au référendum sur la « Communauté franco-africaine »  proposée par le général De Gaulle.

- Leopold   Sédar    Senghor, premier président du Sénégal, acteur de premier plan de  la décolonisation en  Afrique francophone et grand militant de l’émancipation de  son pays.

- Félix Houphouet-Boigny, ancien Président de la Côte d’Ivoire, ancien député et  ancien ministre français, l’un des  plus illustres pionniers de  la  lutte pour l’émancipation de  l’Afrique et  des peuples noirs.

- Modibo  Keita,  premier  vice-président africain de l’Assemblée nationale française, homme  visionnaire  qui proclama l’indépendance de  l’ancien Soudan français, devenu par la  suite la République du Mali.

- Julius  Nyerere,   premier  président   de Tanzanie, fondateur  du l’Union nationale africaine  du Tanganyika, parti indépendantiste du pays, adepte de ce que l’on appela alors le « Socialisme africain ».

- Jomo    Kenyatta,  homme politique charismatique d’Afrique de l’Est, surnommé  le   « Javelot flamboyant du Kenya », ancien militant indépendantiste et ancien président de la République du Kenya.

- Kamuzu Banda,  premier président du Malawi, initiateur de l’un des  tout premiers référendums sur  le multipartisme,  en une  époque  où   le parti unique dirigeait l’Etat, sans partage, sur le  modèle du parangon soviétique.

- Barthélemy Boganda, homme politique d’Afrique centrale, qui se   singularisa par sa ferveur panafricaniste et  qui trouva la  mort dans un crash d’avion aux  causes  jamais  élucidées. Comme chacun se  souvient, il  voulut créer les « Etats-Unis d’Afrique centrale ».  Le projet n’ayant guère abouti, du fait notamment des pressions croisées des anciennes puissances  coloniales, son pays, l’Oubangui-Chari,  se  résoudra à prendre    le     nom    de     « République centrafricaine » pour pérenniser le noble dessein panafricain.

- Gamal Abdel Nasser fait partie des générations des jeunes nationalistes égyptiens farouchement opposés à la domination britannique sur le pays des pyramides. Père de la   révolution égyptienne et chantre de l’émergence du Tiers monde comme force  politique, champion du  Mouvement des non- alignés, leader incontesté du Panarabisme,  il fut tout cela à la  fois. On lui doit la courageuse nationalisation du canal de  Suez.

 - Le  roi  Mohammed  V  du  Maroc, principal soutien, à partir de  1944, du mouvement indépendantiste marocain, l’«Istiqlal». Il s’opposa avec  beaucoup de détermination à la  poursuite de  la domination espagnole sur son pays. Déposé par les  autorités françaises, le 20  août 1953, il fut  contraint à l’exil, d’abord en  Corse, puis à Madagascar, jusqu’en novembre 1955. Dans son pays, ce  Maroc ami, il est considéré comme le « Père de la Nation » et vénéré pour avoir initié la modernité dont les Marocains sont aujourd’hui si fiers.

 - Ahmed Ben Bella,  combattant de   la grande épopée de  l’indépendance algérienne, ancien président de  la République  algérienne  démocratique et  populaire,  qui est entré   dans l’histoire comme l’une des figures les plus emblématiques du XXe siècle.

- Antonio   Agostinho   Neto,  ancien président de  la  République  d’Angola et président du Mouvement populaire de libération   de    l’Angola    (MPLA),   très connu ici  en  Guinée-Bissau. Il fut arraché à la  vie alors qu’il  commençait à peine à poser les jalons du nouvel Etat angolais.

 - Nelson Mandela,  ancien président de l’Afrique  du  Sud, leader de   l’ANC  et grand militant anti-apartheid. Tous les hommes de  tous les continents se souviennent  et   se   souviendront qu’il passa vingt-sept longues années en prison, sans  jamais plier l’échine face à la  minorité blanche, arrogante, haineuse et cruelle.

A cette évocation, on aurait tort de ne pas associer ces nombreuses femmes, courageuses et intransigeantes, qui se sont levées pour soutenir la  cause de  la liberté en  Afrique et  qui  ont porté haut le flambeau de  leur propre émancipation.

Sans  être     exhaustif,      on       peut retenir parmi ces femmes :

- Tchimpa Vita,  prophétesse et  femme d’influence au sein du Royaume Kongo, personnalité politique déterminée, opposée à l’oppression coloniale portugaise,  figure emblématique de  la résistance féminine.

- Winnie Mandela,  grande militante de l’ANC, régulièrement arrêtée, persécutée,  incarcérée ou assignée à résidence. Comme son illustre époux, elle  non plus ne  baissa jamais l’échine face aux  violences  policières et aux menaces permanentes qui  pesaient quotidiennement sur sa vie.

- Myriam  Makeba,   grande  cantatrice, chantre de  la  liberté et « rebelle »  sud- africaine, qui  défia courageusement  le régime raciste de  son pays, véhicula à travers le  monde entier, avec   fierté et dignité, son message d’amour et  de pardon. Par le biais de  la chanson, elle célébra la beauté d’un continent spolié et  humilié, mais riche de  promesses et qui allait devenir la  nouvelle frontière du monde.

• Messieurs  les  chefs  d’Etat  et  de gouvernement !

• Mesdames et messieurs !

Un célèbre paysagiste africain a cru voir dans la carte de l’Afrique la forme d’une clé. Une  clé  prête à ouvrir une serrure. Si tel  est le  destin de  notre continent,  avec ses deux milliards cinq-cents millions d’habitants  à  l’horizon 2050,  majoritairement  jeunes,  l’Afrique peut effectivement devenir la  clé incontournable pour ouvrir les  portes du futur.

 Unissons nos bras et rassemblons nos forces pour devenir la clé qui  permettra à l’humanité de faire face aux nombreux défis qui  l’assiègent, notamment :

- grâce aux innombrables bras  valides de  notre jeunesse ;

- grâce aux innombrables richesses de notre sol  et de  notre sous-sol ;

- grâce à ces nombreux cours d’eau qui sillonnent notre continent, le Nil étant le plus long fleuve du  monde et le Congo étant le 2e par  son puissant débit ;

- grâce à nos forêts luxuriantes, source d’air  pur et oxygéné ;

- et grâce à notre  extraordinaire biodiversité.

Autant d’atouts essentiels à la lutte contre les changements climatiques qui nous préoccupent tant aujourd’hui.

Comme les  pères des indépendances africaines, comme les  combattants de  la liberté, comme tous  nos héros immortels, comme Amilcar Cabral :

- Levons-nous, à notre tour, pour porter aux yeux du monde la dignité de l’Afrique !

- Soyons les dignes et fidèles dépositaires du noble héritage de nos Anciens !

- Célébrons avec fierté le temps de l’Afrique !

 *Vive le centenaire d’Amilcar Cabral, héros national bissau-guinéen et  figure emblématique de  la  lutte de  libération en Afrique !

*Vive l’Afrique éternelle !

Je vous remercie…Muito Obrigado !

 

Les Dépêches de Brazzaville

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