Art contemporain : mémoire de femmes chargées de détresse et de douleur

Lundi 10 Mars 2014 - 17:45

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Entre performance vivante, peintures et vidéo, le tableau général offert par l’exposition de la plasticienne belge d’origine libanaise, Amal Kharrat, traduit les souffrances partagées par ces porteuses de vies. Qu’elles soient d’Afrique ou d’Orient ces peintures résonnent comme une invitation aux hommes à repenser leurs relations avec les femmes.

 Les toiles de l’exposition autour de l’installation vivanteOuverte depuis le 24 janvier à l’Espace Bilembo, l’exposition Mémoire de femmes qui ferme ses portes le dimanche 16 mars montre de manière saisissante la détresse et la douleur renforcée par un sentiment de captivité. Une exposition qui peut être perçue comme une manière pour la vidéaste, scénographe et peintre de conjurer le passé des femmes violées dans le monde.

Avant d’arriver à l’installation vivante, les quelques lumières perceptibles sur le sol dès l’entrée de l’Espace Bilembo esquissent le symbole de l’infini, entendu par l’artiste comme signe de renaissance de notre humanité, en référence au funeste calendrier maya qui prédisait la fin du monde en date du 21 décembre 2012. Il suffit de lever les yeux pour voir alors quelques pas plus loin, derrière un rideau de bambou, les fameux « Portraits de femmes ». Sombre tableau que le regard empreint de tristesse des femmes qui crevait l’écran. Silencieuses, mais pourtant un coup d’œil suffit pour lire cette sorte de chagrin indescriptible marqué sur les visages. Si Amal pose cette question fondamentale : « Pensez-vous que l’on puisse les sauver du monde injuste dans lequel elles essaient de survivre ? », c’est que malgré tout, l’on est en droit de penser  : « Tant qu’il y a de la vie, il y a encore de l’espoir, tout n’est pas fini ». À bien juste titre, le portrait flottant dans l’espace lui fait écho. L’on peut s’imaginer cette femme accrochée à une sorte de fil où l’espérance est encore de mise. Mais s’accrocher à la vie, c’est encore là une épreuve face à laquelle il convient d’opposer le courage. Ce, à l’instar de celui dont avait su faire preuve Nelson Mandela, une image-force dont l’espace carcéral avec un matricule écrit en rouge situé juste à côté avec pour fonction de rappeler le souvenir.

Les flemmes éplorées de l’installation vivante

Un théâtre vivant

Cette première installation au rez-de-chaussée reste un beau prélude à l’essentiel de l’exposition montée à l’étage. Une fois sur les lieux, l’on accède à un univers où le regard est saisi par la performance vivante qui s’impose à la vue bien au centre de la pièce. La pénombre qui y règne joue beaucoup et on arrive à une sorte de théâtre vivant. Les visiteurs se trouvent face à huit comédiens au cœur d’une installation vivante où des femmes portent en elles les stigmates profondes des guerres. On le voit au travers des visages tristes, parfois même sans expression, de celles dont les cris déchirants expriment tout. Dans les trames du récit de la mémoire de ces femmes on découvre une histoire quasi insoutenable : celle de L’enlèvement d’Europe (princesse phénicienne, fille du roi de Tyr, l’actuel Sud-Liban) par Zeus métamorphosé en taureau blanc. D’où la présence des trois personnages teints en blanc dans le rôle des hommes blancs venus du large en sa compagnie. Ils sont perçus, ici, telle une menace constante qui continue de guetter les affligées.

Zeus métamorphosé en taureau avec ses cornes en demi-lune

L’un des murs du théâtre d’Amal est un échafaudage de pierre et de fil de fer qui se veut le reflet « de la cruauté et de l’inertie du monde face à la situation des femmes » toutes de noir vêtues et qui s’y meuvent péniblement. Deux pans de tissus noirs où sont visibles des écrits à l’encre dorée empruntés à un poète palestinien font office de mur de fond. Une vidéo sur le sol où s’aperçoit une petite fille, moitié arabe, dansant un blues d’un chanteur israélien. Nouvelle note d’espoir dans cette vidéo au fond bleu qui devrait se lire comme un symbole d’« innocence et liberté dans un univers harmonieux ». Autour du théâtre vivant, des toiles et une robe noire faite de charbons entourées de fleurs rouges, symbole de séduction mais aussi de martyr.

 

L’exposition entière, chargée de symboles qui ramènent à un profond malaise, traduit l’expression d’une artiste pluridisciplinaire pour qui l’image sous toutes ses formes reste marquée par une sorte de magie. Mémoire de femmes, plus qu’un simple plaidoyer en faveur de la condition de la femme en RDC et en Orient a pour but de susciter un questionnement sur ce qu’il y a lieu de faire encore pour changer les choses et ne pas en rester à un discours creux.

La robe noire faite de charbons entourées de fleurs rouges

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Les toiles de l’exposition autour de l’installation vivante Photo 2 : Les flemmes éplorées de l’installation vivante Photo 3 : Zeus métamorphosé en taureau avec ses cornes en demi-lune Photo 4 : Vue de l’installation avec la vidéo bleutée de la petite fille sur le sol Photo 5 : La robe noire faite de charbons entourées de fleurs rouges