Les Dépêches de Brazzaville : Le Kolatier, que vous dirigez depuis onze ans, n’est pas qu’un simple lieu de concerts. Comment définissez-vous cette manifestation ?
Luc Yatchokeu : Le Kolatier est une plate-forme d’échanges et de rencontres entre les groupes musicaux d’Afrique particulièrement émergents et les professionnels de tous les continents. Nous sélectionnons des groupes par appels à candidatures via un comité de sélection qui propose les meilleurs que nous invitons pendant le Kolatier pour des shows cases de trente minutes devant les diffuseurs et le public. S’y ajoutent des tables rondes sur des sujets actuels concernant les musiques d’Afrique et les musiques du Nord.
Vous privilégiez énormément les partages Sud-Sud plutôt que Nord-Sud…
Oui, parce qu’on a toujours tendance à regarder vers le Nord alors qu’il existe trop de blocages dus aux problèmes de visa que rencontrent les artistes lorsqu’ils sont sélectionnés. Il est également important qu’à l’échelle africaine les diffuseurs africains prennent des groupes et leur permettent de tourner en Afrique pour mieux roder leur spectacle et se donner un nom sur le continent. Ce n’est qu’à partir de là que l’on peut attaquer le monde. L’inverse est plus compliqué.
Après onze ans de festival et d’expérience, quel regard portez-vous sur la rigueur dans l’évolution de la création musicale africaine ?
C’est un regard mitigé. La volonté y est chez beaucoup de jeunes artistes. Certains comprennent qu’il faut proposer quelque chose de digeste sur le plan international. Et j’aime à dire que l’on peut être un artiste très populaire localement et ne jamais faire l’international. Par contre, il y a des jeunes qui ont compris la démarche de faire la fusion. Ceux-là méritent d’être accompagnés. C’est le cas de Dobet Gnahoret ou de Karetse Fotso. Le marché international des spectacles a besoin de renouveler l’offre artistique. Les jeunes doivent travailler pour pouvoir y répondre.
Sur quels critères choisissez-vous les artistes que vous invitez au Kolatier ?
Nous misons d’abord sur l’originalité parce que le déjà-entendu ne se vend pas. Il faut que l’on ressente de la recherche dans le patrimoine parce que c’est ce qui fait l’identité africaine ou personnelle. L’un ne doit pas nécessairement ressembler à l’autre, car souvent les artistes sont paresseux. On exige aussi la qualité du produit tant sur plan du son que du rendu du spectacle, et cela ne nous fait pas toujours des amis.
Quels étaient les contours de la formation que vous avez animée avec Luc Mayitoukou pendant le festival Feux de Brazza ?
La formation était dédiée aux directeurs de festival. Nous avons fait le tour des points essentiels liés à l’organisation d’un événement de la conception à la production puis à la diffusion d’un événement. C’était des échanges sur le vécu des uns et des autres selon les expériences de chacun sur le terrain.
En tant que spécialistes des musiques africaines, que dites-vous de la montée en puissance des artistes anglophones sur l’ensemble du continent ?
Par essence, la culture anglo-saxonne est pragmatique. En tant que francophones, nous avons toujours tendance à trop réfléchir, à chercher des contours. Pour le cas pratique du Nigeria, les artistes utilisent les rythmes de chez eux, telle la high-life, et ils l’ont américanisée. Cela marche, l’État les aide, et ils possèdent un grand marché. À partir de ce moment-là, l’artiste peut exiger un gros cachet, peut se voir accompagner par des studios et les majors s’y intéressent. L’avenir de la musique, c’est l’Afrique, cela est incontournable. Chacun doit maintenant se positionner et être pragmatique.