Pre Yvette Balana : « Il faudrait que les dirigeants du Congo nous offrent un musée de la rumba à Brazzaville »Vendredi 21 Juillet 2023 - 15:15 Pr Yvette Balana est enseignante de la littérature et civilisations africaines à l’université de Douala au Cameroun. Depuis le 16 juillet 2023, elle prend part au symposium organisé en marge du Festival panafricain de musique (Fespam). Elle dégage les enjeux de cette rencontre et pense que le meilleur endroit de conserver un patrimoine est le musée. Les Dépêches du Bassin du Congo : la 11e édition du Fespam est placée sur le thème "La rumba congolaise : envol de la base identitaire vers les vertices du patrimoine de l’humanité." Quel commentaire pouvez-vous faire de ce thème ? Pre Yvette Balana : C’est un thème très important, parce que la question identitaire était au centre des travaux que nous avons tenus sur la rumba congolaise. On ne peut pas partir de nulle part ; on part de ces racines, de ces questions identitaires, de l’histoire de la rumba pour monter vers les cimes du patrimoine de l’humanité. Parce qu’à ce moment là, la rumba s’est déjà ouverte au monde entier. Mais de manière institutionnelle, elle devient un patrimoine commun pour tous les hommes du monde. LDBC : Quand elle va vers le patrimoine de l’humanité. Qu'est-ce que cela signifie ? Pre. Y.B : C’est pour dire que la rumba s’est développée dans le monde entier, a nourri les rythmes d’ailleurs et a même inspiré les écrivains. Cette musique devient le patrimoine mondial de l’humanité. Elle entre dans le cursus d’études de musique dans les départements qui étudient la culture du patrimoine africain. Et d’autres peuples s’approprient son histoire, à savoir toute la cosmogonie, les mythes derrière ces danses. Plus que la vie de plusieurs intervenants, cette danse nous vient de nos rituels, cette danse qui a été taxée d’obscène vient du tréfonds des Africains qui se remémorent toujours leur mythe, leur histoire, leur culture et leur vision du monde. C’est pour cela qu’on parle des sommets, des vertices. Ce n’est pas une distraction ou encore aller danser dans un bar. C’est plus fort que cela. C’est pourquoi on a eu des spécialistes de tout bord : historiens, littéraires, spécialistes des civilisations, des marketings. Des cimes à ce que la rumba devienne toute une économie. Pas seulement pour le Congo. Ce Congo que l’on croît être seulement celui de Brazzaville et Kinshasa. Mais non. Le Congo veut dire les peuples africains, les peuples du Bassin du Congo. Pour moi qui suis littéraire, je n’ai pas seulement lu la rumba dans les œuvres d’Alain Mabanckou, d’Henri Lopez… Non. La rumba est dans les œuvres du Guinéen Tierno Monéné Mbo. Il faudrait donc, de manière officielle, que la rumba se trouve sur les toits de cette liste représentative du patrimoine commun que les hommes de ce monde ont. Mais ce n’est pas parce que la rumba est un patrimoine commun que la rumba n’a pas son identité. Ce n’est pas parce que l’on n’appartient pas à un monde que l’on ne vient pas de quelque part. Je pense que ceux qui ont retenu ce titre ont tout dit sur la rumba et sur ce qu’elle a fait de ses origines à aujourd’hui. Elle a atteint les vestices communs de l’humanité. Mais il fallait que cela soit officialisé par l’instance qui est l’Unesco. LDBC : En 2021, la rumba a été inscrite au patrimoine immatériel de l’humanité de l’Unesco. Qu'est-ce que peut apporter la place accordée à la rumba congolaise ? Pre. Y.B : Cette reconnaissance de la rumba par l’Unesco en l’inscrivant sur la liste du patrimoine immatériel de l’humanité va apporter beaucoup de choses aux Congolais des deux rives, mais aussi à l’Afrique. Ces choses sont d’abord sur le plan identitaire. Nous montrons au monde que nous lui apportons quelque chose d’extraordinaire. Dans ma contribution, je montre que la rumba n’est pas un texte présent dans les œuvres littéraires, mais un fait littéraire entièrement à part que nous pouvons confronter à la théorie littéraire. Et je l’ai confrontée à des théoriciens de la littérature reconnus comme Jean Paul Sartre, Roland Barthe, Gérard Genette, Todorov qui n’est pas d’ailleurs un Français. C’est-à-dire que tous les hommes du monde peuvent revendiquer la rumba comme leur patrimoine commun. Déjà au plan de la recherche scientifique, cela va ouvrir un pont de la recherche scientifique pour ce phénomène mondial. Au plan économique, elle va permettre l’entrée des devises importantes au Congo. Vous imaginez des mausolées pour les Tabu Ley, des touristes qui viennent voir des manifestations culturelles dédiées à ce que j’ai appelé pendant ce symposium « Nos classiques » : Franco, Tabu Ley, Papa Wemba, Jean Serge Essou, Nganga Edo qui ont produit des textes importants sur la vie, sur la société faisant d’eux des poètes lyriques, parce qu'ils chantent l’amour, la femme africaine qu’on dit toujours qu’elle était opprimée. Nous disons que cette danse vient de Kumba, le nombril. C’est la danse de la fécondité. C’est ça le sommet. Au plan éducatif, des corps scientifiques vont se développer dans les universités pour étudier la rumba. LDBC : Quels peuvent être alors les objectifs spécifiques au sortir de ce symposium ? Pre. Y.B : Les objectifs spécifiques vont être connus. Nous allons les présenter en termes d’axes stratégiques. C’est l’inscription de la rumba comme objet d’étude dans les écoles, dans les universités. C’est ouvrir les ponts de l’industrie culturelle à l’objet rumba pour apporter des devises, C’est s’inscrire dans un objectif de patrimonialisation, c’est-à-dire la collecte de tout ce qui concerne la rumba pour que l’on ne perde pas les archives. Il y a un grand travail d’archivage qui va se faire, de la pochette de disque de Tabu Ley aux textes de Fally Ipupa. Ce sont des choses pratiques qui peuvent se faire mais il faudrait un accompagnement institutionnel. Et que le ministère de l’Industrie culturelle, l’Unesco et les autres partenaires se mettent ensemble pour faire un plaidoyer auprès des dirigeants politiques pour dire que la rumba est inscrite dans la liste du patrimoine immatériel de l’Unesco, mais il faut des actions précises à mener. Et ces actions-là sont multiformes. En outre, il y aura des recommandations que le symposium va faire à l’endroit des décideurs. Même les musiciens doivent comprendre que ce n’est pas un jeu, la rumba. LDBC : Pour terminer, que doivent faire les dirigeants pour la conservation de la rumba ? Pr. Y.B : Pour la conservation, c’est simple. Dans l’institution de la culture, de la littérature, le meilleur lieu de conservation d’un patrimoine culturel est l’école. Ce que toutes les générations étudient car elle est au bout de la chaîne. Il y a aussi d’autres secteurs de conservation : le musée. Il faudrait que les dirigeants du Congo nous offre un musée de la rumba à Brazzaville. Les gens qui étudient la musique au plan touristique viendront au Congo. Ils payent des billets d’avions, Ils logent dans des hôtels, ils mangent dans des restaurants et ils vont visiter le musée. L’entrée au musée n’est pas gratuite. Et les bibliothèques sont des lieux patrimoniaux de conservation. Mais pour lancer la construction du musée de la rumba, c’est seulement la volonté politique des dirigeants. Propos recueillis par Achille Tchikabaka Légendes et crédits photo :Pre Yvette Balana Notification:Non |