Immigration : il y a un an, la tragédie de Lampedusa

Jeudi 2 Octobre 2014 - 16:41

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Avant et après l’an dernier, les migrants ont continué de se noyer en Mer Méditerranée. Mémoire.

Il faut croire que l’alignement de trois-cents cercueils dans une salle communale de Lampedusa, en octobre de l’année dernière, a fortement marqué les esprits. Il s’agissait d’hommes, de femmes et même de tous jeunes enfants morts au large des côtes italiennes. Cette année, pour le premier anniversaire de cette tragédie, l’Italie institutionnelle, religieuse et civile enfile les commémorations et les symboles. Une manière comme une autre de re-prononcer, pour la énième fois, après la mort d’aussi nombreuses personnes le dérisoire « plus jamais ça » qui a ponctué tant de drames de l’histoire.

Ce 3 octobre 2014 veut en tout cas être un jour de mémoire pour les immigrés d’Italie. Signes forts de la commémoration, un groupe des survivants de la tragédie de l’an dernier a sollicité et obtenu une rencontre avec le pape François au Vatican. Eux-mêmes viennent de mettre au point une « Charte de Lampedusa » qui veut rappeler que les centaines de morts sans noms engloutis par la Mer Méditerranée sont aussi des humains. Des livres, des évocations, des émissions radio et télévisées, des manifestations diverses sont programmées.

Mais tout cela semble bien léger quand on sait que les morts noyés d’il y a un an, 321 au total et des Africains pour la plupart, ont été « dépassés » par un plus grand record de vies humaines perdues cette année. Il y a un mois, en effet, quelque 500 autres candidats à la téméraire traversée vers l’Europe, ont été envoyés par le fond lorsque leur bateau éventré a coulé. Le drame de cette immigration qui vient d’Afrique ou qui transite par elle est qu’elle commence à s’imposer dans un paysage de banalité.

« J’ai du mal à vous parler. Il n’y a pas de mot pour exprimer votre souffrance. On ne peut que contempler dans le silence, pleurer, et chercher la manière de vous être proche ». Ces mots sont du pape François, mercredi soir au Vatican devant une dizaine de survivants de l’effroyable tragédie du 03 octobre 2013. Impuissance et rage rentrée. Et pourtant, on ne peut pas dire que le pape actuel ait été le plus en retrait dans cette succession de tragédies. Fils d’immigrés italiens en Argentine, il sait plus que quiconque ce qu’est un « voyage de l’espérance ».

Il est le premier pape à s’être rendu en Sicile pour aller jeter en mer, à Lampedusa, un bouquet de fleurs pour « pleurer ces morts sans noms ». Il y dénonça « une globalisation de l’indifférence ». Mercredi, en peu de mots, il a regretté ces trop nombreuses portes et cœurs fermés aux immigrés. « La vie des personnes qui doivent émigrer est dure, et quand sur le chemin, il y a des tragédies, c’est plus dur encore. Et quand à la fin, ceux qui sont parvenus à émigrer et à arriver à un port, qui semblait sûr, voient devant eux des choses extrêmement dures, comme des portes fermées... tant de fois, on ne sait plus où aller ».

« Je demande à tous les hommes et les femmes d’Europe d’ouvrir les portes du cœur. Derrière se trouvent les souvenirs, il y a la Patrie et les morts. Le migrant ne peut pas oublier cela. Cela fait partie de sa vie. Il y a ses ancêtres. Il y a l’Histoire, la Patrie et aussi ces morts ». Le pape François a encouragé les initiatives du migrant et promis d’exaucer quelques-unes de leurs requêtes dont, notamment, la volonté de réunir les dépouilles du naufrage de l’an dernier en un seul lieu.

Il n’est pas sûr que l’Église catholique puisse faire plus sur une question qui touche à la fois aux lois, celles de l’Italie et celles de l’Europe ; aux mœurs, à la culture et à la réalité d’une crise économique qui fait se renfermer les gens sur eux-mêmes. Au cours de la rencontre avec le pape mercredi, les immigrés ont offert au Souverain pontife une bouteille en fer forgé contenant, à l’intérieur, de l’eau de mer avec en son milieu une famille.

L’Italie officielle continue de se dire dépassée par l’ampleur des vagues de migrants sur son territoire. Plus de 100.000 depuis janvier. Elle confirme que l’opération « Mare Nostrum », qu’elle avait lancée l’an dernier pour recueillir les naufragés en mer va bien prendre fin. Trop coûteuse. Elle entend passer le relai à une opération avoisinante en finalités, capotée par l’Union européenne, « Frontex-plus ». Une proposition de loi a été présentée au Parlement afin que le 3 octobre soit reconnu comme « Journée en mémoire des victimes de la mer ».

Les symboles se multiplient, mais les tragédies aussi. En pleines commémorations, on apprend en effet que dix migrants venus d’Afrique ont encore péri en Méditerranée jeudi. Les gardes-côtes libyens annoncent que leur embarcation a sombré et que 80 à 90 personnes avaient pu être repêchées. Le rafiot transportait près de 200 personnes se dirigeant vers l’Italie. Mais pour des immigrés sauvés, combien gisent au fond de la mer sans même qu’on s’en doute. Leurs mères attendent toujours et attendront pour longtemps de  leurs nouvelles…

Lucien Mpama