Abdoul Aziz Mbaye : « La croissance constitue la valeur ajoutée du développement en Afrique »

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:30

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À en croire le ministre sénégalais de la Culture, Abdoul Aziz Mbaye, la culture est source de sentiment national ; elle structure la société, ce sont des savoirs, des savoir-faire et du savoir-être. Sa transmission devient un faire-savoir, une source d’existence. Il précise que dans la culture, il existe un ensemble de comportements qu’il faut identifier pour le renforcement de la structure du groupe

Les comportements sont un soutien à la culture, ce qui la récompense

Abdoul Aziz Mbaye indique que tout sentiment d’interdit affaiblit le groupe, et qu’une société est aussi régie par une grille de mérite, ce qui implique la récompense. C’est le cas des soldats. Et tout comportement humain concourt à sa préservation. Mais, ajoute-t-il, la culture est également le lieu de spécialisation de la société, la base même de notre économie et de notre relation avec la structure.

La spécialisation étant le début des échanges, sa théorisation est un début de l’économie. Donc fondamentalement, la culture est au cœur de l’action humaine, ce que l’homme crée de plus. C’est en effet, l’un des premiers des droits, celui du droit à la propriété.

La relation entre la culture et le développement

Plus on fait des choses pour améliorer le quotidien, plus on peut échanger avec l’autre, rappelle le ministre. La spécialisation est donc une nécessité pour se développer et ainsi augmenter la capacité des richesses. Toute la différence, souligne-t-il, se trouve dans la valeur ajoutée, dont la somme constitue le produit intérieur brut. Et la croissance constitue la valeur ajoutée, créée grâce à la spécialisation  ce qui commence à arriver en Afrique, observe-t-il.

« On tire du sol au lieu d’y ajouter de la valeur », relève-t-il. Il milite donc pour sa création par la culture du développement, c’est-à-dire de la valeur ajoutée, pour rompre la culture de la consommation des ressources : « Il faut arrêter de vivre des biens du cousin (assistanat) en y contribuant par une valeur ajoutée. »

La valeur ajoutée de la jeunesse africaine dans le développement

Les jeunes Africains peuvent apporter de la valeur ajoutée au continent, selon Abdoul Aziz Mbaye. Leur contribution peut aujourd’hui être évaluée, selon leur domaine de compétence et leur talent. Il regrette que les Africains ne fassent que consommer leurs ressources, important l’essentiel, ce qui aide à leur propre développement. Il en appelle à la transformation des richesses africaines pour le développement du continent. Il prend l’exemple de l’Europe, où la culture oblige à produire, à échanger, donc à créer de la valeur ajoutée. Il milite pour un changement d’état d’esprit. : « Nous avons rompu notre cycle de vie à cause de la colonisation en développant, calquant notre vie sur l’exploitation et les besoins des pays occidentaux, et les organisations internationales ne nous ont pas aidées », note-t-il.

La culture de la sécurité et de la défense de son milieu

« Le colon nous a fait penser que chez lui c’était mieux. Il faut dire aux jeunes que vous pouvez être mieux chez vous en créant de la valeur ajoutée, en vous imposant de croître au quotidien, en apprenant », explique le ministre, qui invite les Africains à repenser leurs manières de faire de l’économie, de faire de la sécurité. Il rappelle que les relations internationales ont été dominées par les rapports de force. C’est le cas du concept de la puissance nucléaire et de la puissance économique : une équation anthropique qui maximise le désordre, qui a par contre un effet de mobilisation de l’économie.

Avec ces théories, les pôles deviennent restreints et la pensée unique dans chaque pôle, ce qui annihile la diversité culturelle. Il faut abattre toute autre pensée. C’est ainsi que le communisme mourra en 1991. Alors que le système européen va demeurer grâce à l’économie. Ainsi toute planification économique tue l’individu qui n’exprime plus son génie créateur, sa structure dépérit et son adhérence à la société faiblit. Le fort peut tuer le faible : la France peut imposer au Sénégal d’être comme elle. C’était la culture du moment, qui a perdu face à une autre pensée unique. Mais, ce n’est pas la fin de l’histoire. L’histoire se poursuit.

11 septembre 2001, un premier choc sur le libéralisme

Dans cette nouvelle équation, la culture explose : on peut tout détruire. Se pose la question de la défense, de la sécurité. Le soldat est devenu un employé banal, prévu pour rentrer à la maison. Ce qui n’était pas le cas auparavant. En effet, depuis 1991, on a créé des soldats qui ne restent plus au champ de bataille. Alors « sont arrivés les hommes de la foi », qui partent à la guerre pour ne plus revenir. La perspective a changé. L’ennemi n’est plus dehors, il est avec nous.

Ce modèle de société est économiquement ingérable, d’après le ministre. Car le terrorisme crée la peur. Il note une montée du nombre de crises économiques depuis 2001 : « C’est l’accélération des bulles. On est parti d’une culture de certitude, généalogique, du durable à la culture de l’incertitude, où le terrorisme peut même frapper nos ancêtres morts », s’exclame-t-il.

La valorisation des cultures, de l’appartenance comme porte de sortie possible

L’appartenance à un groupe, à une société est essentielle, d’après Abdoul Aziz Mbaye, qui appelle les Africains à s’arrêter un instant sur leur culture. « Il faut dire aux enfants de moins de trente ans qu’ils seront mieux là où ils sont », insiste-t-il. Le programme de développement ce n’est pas de devenir comme l’autre, c’est de devenir mieux là où on est, dit-il. Il faut donc se redécouvrir, voir ce qui reste de sa culture et valoriser son patrimoine, se voir et se demander quels sont les moyens de devenir mieux demain.

C’est là la question à se poser : « Que pouvons-nous faire de mieux pour développer notre économie ? », convaincus que notre faiblesse d’hier peut devenir notre force. « Nous devons apprendre à transformer nous-mêmes ce que nous mangeons, à changer notre manière de regarder la vie. Dakar ne peut pas être Paris, mais peut devenir ce qu’elle voudra elle-même être. »

 

NB : Ministre de la Culture du Sénégal depuis le 29 octobre 2012, Abdoul Aziz Mbaye, né le 18 octobre 1954, a ainsi succédé à Youssou Ndour lors du second gouvernement Mbaye. Cet ancien directeur de cabinet de Macky Sall, président de la République du Sénégal, a derrière lui une longue carrière de diplomate qui a commencé en 1988 où il fut fonctionnaire scientifique auprès de la Commission européenne pour le programme stratégique de recherche et de développement.

Propos recueillis par Noël Ndong