Jean-Pierre Heyko Lekoba : « je porte la culture mbéré dans ma chair »

Samedi 25 Avril 2015 - 12:30

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Jean-Pierre Heyko Lekoba est préfet du Niari, homme politique et écrivain. Après Le Poids des souvenirs ; La quête du présent (2012), il a publié l’an dernier, toujours chez L’Harmattan, Les sentiers des origines ; O’tsina. Deux livres à l’écriture charnelle, fluide, à la narration presque visuelle. Le premier, un beau récit de l’existence ; le second, un roman sensible, riche de mythes et de descriptions de la cosmogonie du peuple Mbéré.

 

Les Dépêches de Brazzaville :Vos deux livres sont le prolongement l’un de l’autre. Le premier retrace votre parcours sur les chemins du monde et le second, un regard sur la lumière des vertus mystérieuses et singulières de l’âme Mbéré. Comment est née cette quête ?

J.P.Lékoba : Vous avez raison de parler de quête. En effet, le besoin de comprendre la mort de ma mère m'a habité longtemps. Revisiter mes origines, retrouver les sensations des lieux de naissance de mes parents est dès lors devenu une exigence. J'ai eu la chance d’être élu député d'Etoumbi, une circonscription dont le territoire épouse mes origines. Étonnement, la culture et les traditions étaient restées figées, comme si le monde moderne n’avait fait que les effleurer.

L.D.B : Qui sont donc les Mbéré ? Souvent ce peuple est dénommé Mbéti… 

J.P.L: Mbétis est une transcription coloniale, en réalité, on dit Mbérés. Pareil pour les Koras, une ethnie voisine, et non Kotas.

L.D.B :On est frappé par l’omniprésence dans vos livres de deux figures : votre mère et votre grand-père. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

J.P.L : Les garçons, c’est connu, ressentent un fort attachement à la mère. De même, les aînés de leurs fils, outre le fait de procurer une joie aux grands-parents, sont la garantie que la lignée ne s’éteindra pas. Tant et si vrai que dans la tradition mbéré, systématiquement, le garçon porte le nom du grand-père paternel. Il est de fait, le légataire testamentaire des reliques du clan du père. La fille, elle, porte celui de la grand-mère maternelle, tutrice du clan, figure qui protège la fratrie de la toute puissance de l’oncle. Pour mon cas, j’ai toujours été Oloma mè (mon mari) pour grand-mère et Ndoa (homonyme) pour grand-père. Une position qui a construit ce rapport particulier, mélange d’affection et d’exigences. Pour maman, c’est autre chose : elle a quinze ans quand je suis né, je suis son premier enfant. On peut imaginer à quel point s’est tissée une relation fusionnelle, différente de celle qu’elle a construite avec mes frères et sœurs.

L.D.B :Enfant de la ville, vous n’avez connu le village qu’épisodiquement. Pourtant, malgré votre parcours, vous êtes dépositaire d’un savoir profond de la culture mbéré. Comment s’est faite l’initiation aux côtés de votre grand-père ?

J.P.L : Oui, sans avoir grandi au village, je porte la culture mbéré dans ma chair. Et les terres de mes origines sont constamment un appel que je ressens comme un manque. Dans la culture mbéré, certaines connaissances se transmettaient d’emblée, sans initiation préalable. La vie moderne nous a fait perdre une grande partie de ce patrimoine, particulièrement le rapport divin avec la nature. Je n’ai pas souvenir du premier contact avec grand-père dont on dit que dès notre arrivée au village, il m’a kidnappé toute une nuit dans la forêt. J’avais deux ans. Par contre je me souviens qu’à sept ans, quand la famille s’est refugiée au village pour fuir les évènements de 1959, j’ai toujours dormi aux côtés de grand-père. Le reste ne se dit pas. Notre histoire s’est poursuivie tant qu’il était en vie. Et mon père a pris le relais, en m’appelant Walangoye, le nom de son père.

L.D.B :Dans « Les sentiers des origines », le récit de la dynastie Oloba est conté par le griot sous l’injonction du Nkani et de son Obéla. Ce palabre existe-t-il encore sur les terres d’Etoumbi ?

J.P.L : Oui, heureusement ! Les traditions demeurent. Les us et rites anciens sont prégnants dans la société congolaise, y compris dans les villes. Ils sont le référent qui cimente les rapports de famille et gère les conflits. On y a toujours recours dans des cas de maladie, de décès, notamment d’une personnalité pilier de la famille ou du clan. On observe d’ailleurs, de la part des cadres congolais, un mouvement de retour vers le terroir et les valeurs traditionnelles.

 

 

Propos recueillis par Gabriel Okoundji