Traditions : le public ponténégrin redécouvre le Kiébé-KiébéVendredi 5 Novembre 2021 - 14:30 Les habitants de Pointe-Noire ont eu droit, du 28 octobre au 5 novembre, à l’exposition sur le " Kiébé-Kiébé, patrimoine culturel congolais éducatif et mystique. Organisé par le collectionneur et protecteur des artistes et des traditions, Yves Dubois, l’événement a été une occasion de plus pour les Pontenegrins de découvrir, comprendre et en savoir plus sur les principaux éléments de l’initiation et de la danse folklorique Kiébé-Kiébé. Le Kiébé-kiébé fait partie des arcades complexes de la pensée animiste. Il repose sur le cultuel d’un serpent géant, dénommé «Odi». Société traditionnelle et initiatique des hommes (à partir de l’âge de 7 ans) de la partie septentrionale du Congo, le Kiébé-Kiébé, dirigé par un chef (Yombi) et ses officiers, renferme beaucoup de valeurs éducatives et mystiques. Il est une danse folklorique initiatique, un code de conduite de l’homme vertueux. Il a comme éléments principaux les robes en raphia couvertes de plumes d’oiseaux et les marottes (marionnettes, forme de masques) servant de levier pour soulever ladite robe pendant l’exécution de la danse. Ce sont ces robes et ces marottes, principaux éléments de l’initiation et de la danse Kiébé-Kiébé, qui constituent l’exposition qu’abrite l’hôtel Elaïs. A cela s’ajoutent des photographies de l’artiste photographe congolais Robert Nzaou, réalisées en 2019 à Obouya, dans le département de la Cuvette, lors d’une manifestation inter villages sur le Kiébé-kiébé. Ce dernier a su capturer les moments intenses de l’événement ainsi que des mouvements très expressifs de la danse Kiébé-kiébé. L’exposition comprend aussi les tableaux des peintres congolais Samuel Matoko et Guillaume Makani. Restaurées et repeintes pour la circonstance, les marottes de l’exposition (qui constituent une partie de la collection Kiébé-Kiébé d’Yves Dubois), de couleurs vives, ont brillé de mille feux au hall de l’hôtel Elais, ne laissant personne indifférent. De formes, dimensions et couleurs différentes, elles sont composées de trois parties : la tête (partie colorée), la rigole (partie intermédiaire) et le manche en forme de phallus (parties cachées couvertes de petites robes). Classée selon leur représentation symbolique, chaque marotte est unique et a une signification et un message particulier à transmettre. Ce qui fait qu’il y a des marottes symbolisant l’eau, l’air, le feu, la terre, des marottes initiatiques, politiques, sacrées, mystiques et des marottes représentant la beauté, le travail, les attitudes et comportements humains. Malgré son format réduit à cause des mesures restrictives de la covid-19, l’exposition a attiré un grand nombre de gens (y compris les touristes et clients de l’hôtel Elais) qui l’ont, tour à tour, visitée, dans le respect strict de ces mesures, s’informant sur les différentes pièces. Cela, grâce aux étiquettes affichées mettant à leur disposition les informations nécessaires. «Merveilleux», « intéressant », sont les mots qui sont sortis le plus de la bouche des visiteurs. Certains déjà avertis, d’autres surpris, ont eu le temps de regarder curieusement ces marionnettes multicolores et attirantes, exprimant diverses émotions. Plusieurs Congolais ont confié avoir seulement entendu parler du Kiébé Kiébé. D’autres ont avoué avoir fait une découverte. Le cas de Serge Batchi qui a confié : « Je suis surpris de voir toutes ces marionnettes et cette robe en raphia. Je découvre là une de nos traditions que je ne connaissais pas. Je déplore juste le fait que ce soit un étranger qui présente l’exposition». Apprendre la culture du pays aux enfants dans les écoles Cependant, il faut signaler que les définitions et les commentaires sur les pièces de l’exposition ont été faits sous le contrôle du Congolais Emmanuel Kamba, initié, chercheur et spécialiste du Kiébé-Kiébé. Les marottes portent des marques symboliques décodables par les initiés pour faire passer les leçons de morale et de spiritualité. Leurs couleurs, formes, coiffures et accessoires (plumes d’oiseux et autres) ont aussi une signification. Le jaune, par exemple, c’est la couleur du beau et le jaune orangé celle de la vertu. Le Kiébé–Kiébé dispose des forces liées au magnétisme et qui se matérialisent par des charges incorporées dans les anneaux métalliques (en fer, argent, plomb, cuivre et or) fixés dans les rigoles des marottes qui permettent aux danseurs qui s’emmitouflent dans les robes en raphia de tourner à ras du sol comme une toupie. Très spectaculaire, la danse folklorique Kiébé–Kiébé, déprogrammée en respect des mesures restrictives du covid-19, est exécutée par un initié instructeur ou danseur, qui manœuvre la marotte qui apporte un message à caractère moral et spirituel aussi bien aux jeunes initiés qu’aux spectateurs dans le cadre des cérémonies de danse organisées. Cela, pour implorer les esprits des ancêtres dans diverses situations heureuses ou malheureuses. Certaines robes en raphia Kiébé-Kiébé peuvent monter à plus de quatre mètres de hauteur. Pratiqué depuis des très nombreuses années, le Kiébé-Kiébé, une des traditions les plus anciennes du Congo, tant à disparaître à cause de l’exode rural. Les initiations se font de moins en moins. Les jeunes devant être initiés se retrouvent en grande partie dans les grandes villes. Or, l’initiation ne peut se faire qu’au village, a confié M. Ondogo, un initié du village d’Olongoné ( Boundji), lors du vernissage de l’exposition. « Les initiations ne se font que dans les Kindas qu’on ne trouve que dans les villages. Sauf qu’il y a de moins en moins de jeunes dans les villages. L’initiation ne se fait pas à n’importe quel âge, il concerne des jeunes d’une certaine tranche d’âges, dépasser l’âge requis, vous ne pouvez plus être initié», a-t-il expliqué. Tombo-Tombo, originaire du même village, n’a pu finir son initiation. Il a témoigné : « J’ai suivi une initiation théorique à 18 ans, je n’ai pas pu faire la partie pratique parce que j’étais plus en ville qu’au village. Et c’est au village qu’on acquiert les fondamentaux du Kiébé-Kiébé. Mais la partie théorique que j’ai suivie m’a permis d’acquérir des valeurs culturelles du Kiébé-Kiébé qui me servent jusqu’aujourd’hui». L’exposition initiée par Yves Dubois entre dans le cadre de la préservation de cette tradition jugée importante par lui, du fait qu’elle vise l’éducation des jeunes. Et selon le collectionneur, la préservation des traditions comme le Kiébé-Kiébé s’avère nécessaire. La perte de leurs valeurs et de leurs fondamentaux est une des causes du mauvais comportement des jeunes d’aujourd’hui. Mieux faire connaître la tradition à la jeunesse Cette exposition sur le Kiébé Kiébé est le deuxième événement sur cette tradition qu’organise Yves Dubois à Pointe-Noire après la manifestation (exposition et danse) qui avait eu lieu les 21 et 22 mai 2016 au Centre culturel Jean-Baptiste-Tati-Loutard. Et pour Henri Djombo, président de l’Union des écrivains et artistes congolais, qui a aussi pris part, à titre privé, au vernissage de l’exposition, c’est à travers les expositions et manifestations culturelles que l’on fera mieux connaître les traditions et la culture profonde du pays à la jeunesse. «Il faut encourager les jeunes et les suivre pour qu‘ils grandissent dans cette tradition. Il faut que les anciens servent de boussole pour eux tous. Il faut créer des musées, des écoles d’apprentissage et d’initiation du Kiébé-Kiébé ainsi nous allons perpétuer cette tradition», a-t-il conseillé. Epousant ces propos d’Henri Djombo, Joseph Kifoko Madoungou, conservateur du musée de Diosso, a aussi estimé qu’il faut apprendre la culture du pays aux enfants dans les écoles au lieu qu’ils apprennent seulement la culture des autres. Félicitant Yves Dubois pour son engagement, son amour et sa passion pour l’art et pour le Kiébé-Kiébé, Henri Djombo a confié : «J’ai trouvé une exposition de Kiébé-Kiébé à Cuba et c’était fantastique. Parfois chez soi on ne fait pas très attention, mais ailleurs, tout ce qui représente le Congo vous réveille, vous éveille et vous émeut». Par ailleurs, en vue de préserver cette tradition, les communautés Mbochi des grandes villes se réunissaient périodiquement pour parler des spécificités de leur société, continuer à conserver l’éducation reçue dans leur village, danser et célébrer leurs retrouvailles. Malheureusement, ces rencontres se font de moins en moins. En outre, au cours du vernissage de l’exposition d’Elaïs, des chefs d’entreprises ont manifesté le désir de soutenir des initiatives allant dans le sens de la sauvegarde des traditions comme le Kiébé-Kiébé. Lucie Prisca Condhet N’Zinga Légendes et crédits photo :1- Vue de 'exposition de Kiébé-Kiébé à l'hôtel Elaïs Kassai / Adiac
2- Des marottes et la robe en raphia à l'exposition / Adiac
3- De gauche à droite Henri Djombo, Yves Dubois, le peintre Samuel Matoko et le photographe Robert Nzaou à l'exposition/ Adiac
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