Bruno Jean Richard Itoua : « L’Afrique doit être le moteur de la recherche »

Vendredi 6 Décembre 2013 - 10:14

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Le ministre congolais de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique, président de la Conférence des ministres africains en charge de la science et de la technologie (Amcost), revient sur la place de l’Afrique dans les domaines de la recherche et du développement

Bruno Jean Richard ItouaLDB : Monsieur le Ministre, l’Afrique est considérée comme un continent d’avenir, bien que la recherche semble négligée. Quel est votre regard sur ce secteur en tant que ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique ?

BJRI : Il est prouvé, selon les observateurs, que l’Afrique est probablement le prochain continent moteur de l’économie mondiale, et ce pour plusieurs raisons. La première, c’est une mutation politique, démocratique, inexorable, même s’il y a encore des incidents à quelques endroits du continent. La tendance générale africaine est à l’amélioration de la culture démocratique, à l’alternance, y compris dans les pays ancrés dans des systèmes considérés comme antidémocratiques. C’est un élément important qui vient consolider la paix et la sécurité, mais aussi la stabilité. En économie, le plus important est la stabilité, la stabilité du pays qui induit la stabilité des institutions, qui à son tour induit la stabilité de l’environnement et du cadre macroéconomique, du cadre fiscal et du cadre financier. L’Afrique est dans les bonnes tendances, en comparaison avec d’autres régions du monde.
Par sa croissance économique à deux chiffres, l’Afrique est considérée comme un continent d’avenir, une terre promise pour les générations à venir. Cependant la science et la technologie, au lieu de constituer l’avant-garde du développement, apparaissent en Afrique comme des domaines d’investissement mineurs bien que tout le monde reconnaisse leur importance. Aujourd’hui en effet, l’Afrique est en train de se rendre à l’évidence de l’importance de la science et de la technologie comme moteurs de développement, qui pilotent, par exemple, le développement des pays du Brics.

On ne peut parler de recherche sans évoquer les centres de recherche et de développement. Quelle est la politique de l’Afrique en général et du Congo en particulier dans ce domaine ?

Il est clair que parmi les éléments à financer au plus vite en Afrique, il y a les équipements de recherche. Il faut que l’Afrique se dote de laboratoires. J’espère que, cette fois-ci, sur la base de la stratégie que les ministres africains vont proposer aux chefs d’État, nous n’allons pas commettre la même erreur, comme dans beaucoup de domaines, celle de se draper de nationalisme et où chacun veut avoir la même chose, cela n’a pas de sens.
Au Congo, depuis plus de quinze ans, le gouvernement s’attèle à redorer le blason de la recherche et l’innovation. Le Chemin d’avenir, projet du gouvernement sur la base duquel le président de la République, Denis Sassou N’Guesso, avait été réélu, reconnaît la nécessité de soutenir la science, particulièrement la recherche appliquée, et de promouvoir la maîtrise des technologies en phase avec les besoins du développement. Le ministère de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique s’est engagé dans une démarche stratégique qui va lui permettre de disposer d’un document de stratégie et de politique sectorielle, d’une nouvelle loi d’orientation de la recherche scientifique et de l’innovation technologique, d’un plan national du secteur et également d’assurer l’émergence d’une culture nouvelle faisant la promotion de l’économie du savoir. Cette démarche va nous conduire à modifier fondamentalement le paysage scientifique de notre pays avec la création de sept instituts nationaux de recherche, deux agences de promotion de la recherche et de l’innovation et un fonds de développement de la recherche et de l’innovation

Quels sont les domaines vers lesquels l’Afrique peut orienter sa recherche, selon vous, président de l’Amcost ?

En tant que président de l’Amcost, nous venons de tenir une réunion au cours de laquelle nous avons adopté la stratégie africaine pour la science, la technologie et l’innovation pour les dix prochaines années. C’est très clairement l’expression que nous allons tout faire pour la partager avec tous les pays, pas seulement avec les ministres en charge de cette situation dans les différents pays, mais avec tous les acteurs, qui sont nombreux. Aujourd’hui, l’Union africaine a élaboré un plan d’action consolidé, ce qui permet à l’Afrique de se doter d’un instrument très important.

La recherche en Afrique est-elle possible sans l’effort de l’Occident ou des autres partenaires ? Sur qui l’Afrique peut-elle compter ?

L’Afrique a compris le fait que la science, la technologie et l’innovation sont les piliers sur lesquels elle doit s’appuyer pour atteindre les objectifs qu’elle s’est fixés. Il faut que l’Afrique commence à être le premier acteur du développement de la science, de la technique et de l’innovation avec ses ressources. Évidemment, les fortunes des pays ne sont pas les mêmes, elles sont très inégales. Il y a des pays qui ont une situation économique qui leur permet de financer largement leurs besoins en recherche et en innovation, d’autres le font au-delà du 1% visé à travers le plan d’action de Lagos. À travers les engagements pris, certains pays financent la recherche à 4 ou 5% de leur produit intérieur brut. Il faut que l’Afrique soit plus motivée, il ne faut pas qu’elle compte sur l’Occident. Elle doit placer la science et la technologie au cœur des premiers bénéficiaires des ressources pour qu’elles aient des effets induits sur d’autres secteurs, telles l’agriculture, l’alimentation, la santé, l’industrie. L’Afrique doit se rendre compte que tout franc investi dans ces deux domaines a un retour, un impact, un effet amplificateur sur d’autres facteurs, notamment sur la croissance.
Malheureusement, dans beaucoup de pays la science est enfermée dans les limites des frontières, et cela n’a pas de sens d’imaginer qu’un pays se consacre seul à la recherche sur le paludisme, par exemple. Nous avons intérêt à mutualiser nos efforts, à les fédérer, mais il y a aussi des matières qui dépassent l’Afrique. Les changements climatiques impliquent, par exemple, le monde entier, et nous avons l’obligation de coopérer. Dans cette coopération, il est normal que là où l’Afrique ne peut mettre des ressources suffisantes, elle revienne à ses partenaires en fonction de ce qui lui est demandé.

Un mot sur la part de la recherche dans les budgets des États ?

Il faut mettre en place des politiques à travers les communautés économiques régionales pour que soient érigés progressivement en Afrique de grands moyens de calcul, des moyens d’analyse à la disposition des chercheurs africains. Il faut que l’Afrique investisse massivement, autant qu’elle le fait pour les infrastructures de base (routes, aéroports, ports). Nous militons pour que soient intégrées aux infrastructures en général celles de la recherche, donc les laboratoires, les moyens de calcul. Il faut privilégier un certain nombre de démarches fédératrices là où c’est possible. L’investissement doit porter sur les laboratoires, sur les universités, les instituts de recherche, mais aussi pourquoi pas dans les secteurs de l’agriculture, la forêt.
Il faut également investir massivement dans l’homme, c’est-à-dire massifier l’accès à l’éducation de qualité, une éducation pointue. Le plaidoyer des chercheurs doit convaincre les acteurs de la gouvernance économique nationale, sous-régionale ou continentale. Les efforts que nous fournissons au Congo dans la sensibilisation, la vulgarisation, la promotion de l’intérêt de la recherche pour les populations commencent à payer puisque nous avons vu le budget consacré à la recherche augmenté de façon assez importante, même si nous sommes encore loin du compte. C’est une dynamique indiscutable.

Propos recueillis par Parfait Wilfried Douniama

Légendes et crédits photo : 

Bruno Jean Richard Itoua, actuellement ministre de la Recherche scientifique et de l’Innovation technologique depuis le 25 septembre 2012 sous la présidence de Denis Sassou Nguesso, est né en 1956. Ancien ministre de l’Énergie et de l’Hydraulique entre 2005 et 2011, Bruno Jean Richard Itoua a étudié à l’université de Brazzaville où il a obtenu une licence en mathématiques appliquées avant de rejoindre l’École spéciale des travaux publics et du bâtiment à Paris. Bruno Itoua a été aussi directeur général de la Société nationale des pétroles du Congo entre 1998 et 2005.