Deuil : vivre mal et mourir avec honneur !Jeudi 19 Mars 2020 - 20:25 Le marché du deuil est en plein essor au Congo puisque les funérailles grandioses crédibilisent les membres de la famille. Un marché lucratif qui remporte gros et les commerçants ont bien saisi le message. « C’est incroyable ! Comment on devient important une fois mort ! Mon ami qui est mort récemment a manqué de médicaments lors de son hospitalisation », informe Alain visiblement affecté par la perte de son ami d’enfance. « Depuis l’annonce de sa disparition, les cotisations fusent de partout et, tenez-vous bien, les femmes ont déjà trouvé un pagne pour la cérémonie de mise en terre… C’est fou de voir les Congolais se déshumanisent », explique Alain écœuré par ce manque de compassion. Devenus des lieux de réjouissance et de rencontre, certains en profitent pour se chercher une âme sœur. « On va aux funérailles comme on va à un mariage, nouvelle coiffure, ongles bien faits, nouvelle tenue, le tout bonifié par des lunettes de soleil noires… Mais c’est ridicule ! On est quand même à un deuil ! », s’écœure Delphine Moutala qui ne comprend pas l’attitude des jeunes filles qui s’exhibent lors des funérailles, dansant, riant aux éclats et buvant des bières sans retenue. Si la mort ne représente plus rien pour les Congolais, elle est devenue en revanche des lieux d’exhibition des richesses des familles et les commerçants ambulants l’ont bien compris. Entre vendeurs d’eau et d’arachides, certains comme Aniel Kitoko sérigraphe se sont spécialisés dans l’organisation des funérailles. Trois ans déjà qu’il y roule sa bosse et avoue que c’est un marché fructueux. «Bien que ma spécialité soit dans la confection des T-shirts, je fais aussi louer les tentes, chaises, groupes électrogènes, confectionne des banderoles, fait des reportages photos et films lors de l’enterrement ». Mais motus et bouche cousue, Aniel ne nous dévoilera pas son chiffre d’affaires car, dit-il, «les gens sont de mauvaises foi. Mais je peux vous affirmer que je m’en sors bien ». En effet, plus les dépenses sont importantes, plus le deuil draine du monde. Aussi, la famille s’assure que le cérémonial, le jour de la mise en terre soit faste et belle. Et s’en suit la liste des achats : location des chaises, sonorisation, achat des bouquets de fleurs, T-shirts, badges à l’effigie du défunt, cercueils rocambolesques (avec télécommande ou en marbre), brochures racontant le parcours du défunt et pour couronner le tout, confection des posters géants à l’effigie du défunt. Quant à la famille, celle-ci n’est pas en marge, elle refait la peinture, électrifie parfois la maison. « Ironie du sort, le mort n’en profitera pas », a fait savoir Sita, militaire retraité qui pense que les Congolais ont perdu le sens du deuil. « Je ne pas dire à quel moment est arrivé cette absurdité qui consiste à étaler sa richesse lors des funérailles. Ce que je sais, avant et même dans les années 80, lorsque tu arrivais dans une veillée, on pouvait ressentir la tristesse, la compassion et le recueillement et tout cela se faisait dans le silence », a-t-il expliqué longuement. Même son de cloche pour Auguste Mabieto, sociologue et nzonzi (médiateur coutumier) qui condamne ces usages qui appauvrissent les familles et conduisent à l’endettement pour faire face à ce problème. « On ne vient plus compatir avec la famille endeuillée, on vient plutôt s’exhiber, se remplir la panse (certaines familles, pour pousser le vice plus loin, louent les services d’un traiteur le jour de l’inhumation). Des obsèques qui pèsent financièrement à la famille car les dépenses peuvent coûter au-delà du million », fait savoir le sociologue. Berna Marty Légendes et crédits photo :Les obsèques d'un artiste-musicien /DR Notification:Non |