Est de la RDC : échec des mesures internationales contre les minerais de sangJeudi 11 Septembre 2014 - 15:54 Le constat a été fait par soixante-dix activistes, politiques et autres experts de différentes nationalités dans une lettre ouverte datant du 9 septembre et adressée aux gouvernements, ONG et acteurs qui mènent depuis plusieurs années une campagne acharnée contre la commercialisation des richesses responsables de l’instabilité dans la partie orientale du pays. Les auteurs ont débuté leur lettre ouverte par une réflexion sur deux évènements majeurs qui marquent une inquiétude persistante de la communauté internationale sur les zones minières de l'est du pays. En premier lieu, il y a la publication au début de l’année des politiques de responsabilité sociale détaillées sur les minerais en provenance de l’Est par les groupes Intel et Apple. Ces deux géants industriels internationaux ont inscrit leurs décisions dans le cadre de la dynamique internationale enclenchée par le mouvement de lutte contre le minerai de sang. En effet, l'on a observé une recrudescence inédite de règlements, projets de loi et initiatives visant à assainir le secteur minier dans l’est de la RDC, ont expliqué les auteurs. En deuxième lieu, il y a l’initiative américaine reprise dans la section 1502 de l’Acte Dodd-Frank Act qui exige aux entreprises cotées en bourse aux États-Unis et qui s’approvisionnent dans l’est de ce pays de détailler leurs chaînes d’approvisionnement à la Commission des titres et de la bourse. Au-delà de ces deux évènements, il faut ajouter une tendance qui se généralise à promouvoir des mesures similaires dans d’autres pays et espaces régionaux, notamment le Canada, l’Union européenne et plusieurs organisations dont l’OCDE. D’emblée, les auteurs de la lettre constatent qu’il s’agit des initiatives qui visent pour la plupart les mines artisanales de l’est de la RDC. Ces initiatives poursuivent comme objectif ultime de mettre fin à la relation entre les groupes armés et une série de minerais bien identifiée dont la cassitérite, le tantale, le tungstène et l’or. Leur exploitation illégale aurait alimenté vingt années de crise en RDC. Certes, la démarche a réussi à influencer les politiques au niveau international mais elle est assise sur une relation de cause à effet non fondé, a révélé le document. En effet, pour les auteurs, les minerais aident à perpétuer les conflits mais ils n’en sont pas la cause. Les facteurs responsables de l’instabilité de la RDC sont d’ordre géostratégique, c’est-à-dire les luttes de pouvoir et d’influence au niveau national et régional. Il faut ajouter également les tensions relatives à l’accès à la terre, à la citoyenneté et à l’identité des différents groupes qui vivent dans la région. Autre fait important, ces groupes armés qui écument ou ont écumé l’est de la RDC n’ont pas eu besoin forcément de contrôler des zones minières pour survivre. D’ailleurs, un rapport des Nations unies montrent que seulement 8% des conflits en RDC sont liés aux minerais. Aussi les auteurs de la lettre appellent-ils à une meilleure analyse de la réalité du terrain. Cela devrait passer par l’écoute des acteurs locaux. Il se pose effectivement un problème pour identifier les milliers de mines artisanales dans les endroits isolés et difficile d’accès faute d’infrastructures. Il y a aussi en bonne place les capacités limitées de l’État. Il n’existe pas de système permettant de fournir de telles preuves. Quatre ans après l’adoption de l’acte Dodd-Frank, seule une petite faction des centaines de sites miniers à l’Est a été atteinte par les efforts de traçabilité et de certification. La majorité continue encore d’opérer dans l’ombre, peut-on lire. Par ailleurs, les conséquences sont lourdes sur les mineurs artisanaux contraints à une reconversion forcée, parfois à la limite de la légalité. Ils alimentent le trafic illicite de minerai ou alors ils quittent l’exploitation artisanale suite à l’arrêt des activités pour l’agriculture avant de rejoindre éventuellement les milices. Entre-temps, les groupes armés visés contournent la difficulté en se tournant vers le trafic de charbon, de marijuana, d’huile de palme, de savon ou d’autres produits de consommation. En guise de réponse aux défis posés, les rédacteurs de la lettre ont proposé cinq recommandations : améliorer la concertation avec le gouvernement et les communautés, travailler sur une réforme de fond du processus d’audit, mettre en place des incitations juridiques pour de meilleures pratiques (projets concrets réalistes), promouvoir une compétition équitable et élargir l’objectif en s’inspirant des causes profondes des conflits au lieu de ne prendre en compte que les seuls minerais. Laurent Essolomwa Légendes et crédits photo : Une vue globale de la ville de Goma dans le Nord-Kivu |