Intelligence artificielle : les stratégies de défense en profonde mutation

Dans le cadre du Sommet international sur l’IA à Paris, le ministère français des Armées avait organisé dans les bâtiments de l'École militaire un cycle de conférences sur les questions de défense introduit par Sébastien Lecornu, ministre des Armées. L’occasion de dresser un état des lieux et de s’interroger : demain quels seront les usages de l’IA militaire et comment s’y préparer ?

La révolution technologique que constitue l’intelligence artificielle ouvre la voie à de profonds changements dans les zones de conflits. Préparation au combat par la simulation, renseignement et ciblage de précision transforment en profondeur l’approche de terrain.

Les applications d’imagerie viennent en tête des domaines les plus avancés grâce aux nombreuses apports technologiques du monde civil. Ainsi, les algorithmes d'intelligence artificielle peuvent analyser divers types d'images, qu'elles proviennent de satellites, de prises de vue aériennes ou de sources en ligne. Par exemple, pour classifier, détecter et alerter des changements sur une zone ciblée (création de routes et de bâtiments), évaluer l’impact d’opérations, identifier des équipements d’intérêt militaire (avions, bateaux, véhicules…).

Mais pas seulement l’image. Ces technologies puisent dans la masse gigantesque de documents, de vidéos ou d’enregistrements sonores pour les extraire, les traiter et les interpréter grâce à la classification automatique de textes, l’identification de la langue, la transcription des contenus audio et vidéo ou même la traduction de langues rares. Par ce traitement de données stratégiques, l’IA apparaît dès lors comme une partie de la solution pour protéger des vies humaines mais aussi comme un moyen de manipuler des données.

De la lutte informationnelle aux applications d’aide à la décision

L’information est devenue à travers le monde l’un des champs d’action militaire privilégié pour pousser un intérêt au risque de déstabiliser les sociétés. On parle ici d’influences. Dans une période où la désinformation est devenue une arme et où la guerre informationnelle s’amplifie, l’on comprend que s’interroger sur la fiabilité de l’information devient stratégique.

Mais là encore le progrès avance et pour répondre à ce défi, les technologies d’intelligence artificielle détectent désormais les images comme les sons manipulés ; s'ils ont été générés par une IA (les deep fakes) ou pour identifier de fausses informations (les fake news).

Tout aussi spectaculaire, l’IA permet des réactions rapides et ciblées ce qui peut donner un avantage décisif sur l’adversaire. Très précisément, dans une zone de combat, des robots d'exploration pilotés à distance analysent l’environnement tandis que l’IA ne restitue que les données stratégiques essentielles. Résultat, le choix du commandement gagne autant en rapidité qu’en efficacité. C’est aussi ce que permettent les outils de détection d’obstacles qui évitent les collisions en vol grâce à une transmission de données accélérée au pilote.

Des opportunités et des risques qu’il convient de mesurer

Outil d’anticipation, de préservation des vies humaines, ou de destruction selon l’usage qui en est fait, l’intelligence artificielle soulève des inquiétudes en particulier au regard du respect du droit international et des droits humains. Et les failles sont nombreuses.

Exploiter son potentiel est devenu un objectif mondial ; encore faut-il veiller à ce que son développement et son utilisation soient conçus et poursuivis de manière responsable. Sur un champ de bataille, les systèmes d’IA doivent fonctionner de manière fiable, toute erreur pouvant entraîner des conséquences dramatiques. Le besoin d’une connectivité permanente et sécurisée conditionne dès lors une supériorité militaire.

Autre dimension, compte tenu des conséquences possibles et des risques de défaillance, toute décision devrait revenir à l’humain. Ce qui conduit nécessairement à la question de la formation, un sujet tout aussi stratégique. La transition vers des systèmes basés sur l'IA nécessite des connaissances pour comprendre et utiliser ces outils efficacement tout en restant vigilant face aux risques.

Sans compter qu’au-delà de ces principes de précaution, l’automatisation, la miniaturisation dans un contexte d’intensification de la compétition mondiale augmente le risque de prolifération des armes et, partant, de leur utilisation abusive. Avec des dimensions plus complexes à appréhender : la domination de certains pays en la matière, les différences d’ordre juridique et éthique selon les nations, la compétition géopolitique, les vulnérabilités aux cyberattaques.