Interview. Marie-Josée Kazadi : « Malgré sa maladie, il a continué de travailler »

Lundi 16 Mai 2016 - 21:12

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Proche collaboratrice du feu ministre de la Culture et des Arts, Baudouin Banza Mukalay, décédé le 14 mai à la Clinique Ngaliema-Center, sa directrice de cabinet l’a vu peu avant qu’il ne passe de vie à trépas. Dans cette interview exclusive accordée aux Dépêches de Brazzaville, l’on découvre que ce féru de la culture était fort consciencieux et a tenu à remplir ses fonctions jusqu’au bout.

 

La directrice de cabinet, Marie-Josée Kazadi YambaLes Dépêches de Brazzaville : Pour le défunt ministre de la Culture, sa charge était-elle juste une fonction ou une vocation ?

Marie-Josée Kazadi  : Le ministre Banza Mukulay était réellement un homme de culture, un écrivain et un homme de théâtre qui avait une âme culturelle. Cela se ressentait dans la manière dont il a exercé ses fonctions de ministre de la Culture en essayant de booster toutes les disciplines du domaine. Il était très sensible à tout ce qui touchait la culture et les arts. Aussi avez-vous remarqué, lors de la décoration du Prix national du mérite de la culture et des arts, plusieurs disciplines étaient représentées. L’année dernière, il a initié la première édition des Journées du manuscrit; il a donné un appui fort au théâtre, notamment tout récemment aux Journées congolaises de théâtre pour et par l’enfance et la jeunesse, il était né avec une âme culturelle.

LDB : Les gens trouvent fort surprenant que Banza Mukalay se soit mis à découvert dans son livre Kinshasa Bangalore en parlant de sa maladie avec tellement de franchise. Que dites-vous  ?

M-JK : Je vais vous surprendre encore plus. Il a toujours dit que les hommes d’État et dignitaires africains n’ont pas souvent la culture de parler de leur carnet de santé. Le sujet est tabou. Lui, par contre, a toujours parlé de sa maladie sans gêne. Il souffrait du diabète. Et cet ouvrage Kinshasa Bangalore, il l’a écrit lors d’un séjour médical à Bangalore, en Inde. Moi, je pense que c’est une manière d’aider et édifier les personnes malades. Une façon de dire même quand vous souffrez, vous pouvez continuer d’occuper vos fonctions en suivant des soins, être utiles et partager votre expérience pour emmener les autres à surmonter cette épreuve. Autre chose qui devrait surprendre, le jour de son décès, le 14 mai, entre 13h30’-14h00’, je lui ai apporté un certain nombre de dossiers à signer, une vingtaine. J’étais là depuis un temps. Il m’avait demandé de les sortir du signataire et de les lui porter dans une farde car le Premier ministre et celui de la Santé lui avaient interdit de travailler. Ils avaient insisté pour qu’il soit au repos. Il ne l’entendait pas de cette oreille : « Mais moi ma tête fonctionne encore et mes mains sont bien en mouvement. Je ne peux pas bloquer la machine de l’État », disait-il. Il a signé les documents correctement dans mes mains. Puis, il m’a parlé du livre qu’il écrivait et m’a dit ce passage : « Sur mon lit de mort, je continuais d’assurer et d’assumer les tâches de l’État avec responsabilité ». C’est pour vous dire que malgré sa maladie, il a continué de travailler. Et encore de quoi surprendre, il m’a prié de prendre un stylo et une feuille pour écrire le communiqué qu’il voulait me dicter. Mais, je n’ai pas pu écrire car je ne comprenais pas pourquoi il tenait à le faire. Il me fallait annoncer que le ministre Banza Mukalay était souffrant et que le président avait instruit le Premier ministre de faire en sorte de l’évacuer vers la Belgique pour des soins appropriés. Je lui ai dit que je ne pouvais faire passer pareil communiqué, qu’il devait s’en remettre à l’avis du Premier ministre avant de le publier. Et là, il est revenu sur le fait que le sujet n’était pas tabou, que je devais parler de sa santé. Je suis partie sans être convaincue de le faire. Passait encore de parler de son état de santé sans honte mais de là à rédiger un communiqué ! Je l’ai quitté à 17h car il devait avoir sa séance de dialyse et à 18h24’, j’ai reçu son dernier coup de fil. Dans le cours de la conversation, il me dit que son médecin traitant allait rédiger le communiqué et qu’il me restait à cibler les médias pour sa diffusion. Je l’ai appelé à 19h34’, son téléphone sonnait mais il ne décrochait pas. Arrivée sur les lieux les minutes suivantes, c’était déjà fini.

LDB : L’entendre dire sur « mon lit de mort », ne vous a pas paru fort ?

M-JK :. C’était prémonitoire. Maintenant avec le recul, je me rends compte qu’il m’avait confié ses derniers désirs.La couverture de Kinshasa Bangalore

LDB : Savez-vous de quoi parlait le livre qu’il écrivait sur son lit d’hôpital ?

M-JK : Il parlait de la mort, tout ce qui se passait sur son lit de mort, comment il continuait de travailler malgré tout. Il voulait parler de tout le personnel soignant, les citer nommément. De moi, la façon dont je l’ai accompagné dans l’exercice de ses fonctions. Il m’a même dit : « Je mettrai une grande photo de toi où je parlerai de la dame de fer ».

LDB : Un souvenir particulier, une anecdote qui vous revient à l’esprit  ?

M-JK :« Sur mon lit de mort, je continuais d’assurer et d’assumer les tâches de l’État avec responsabilité ». Cela veut tout dire. C’est une âme bien née, un brave qui est mort au front. Le sens des responsabilités, il l’a gardé jusqu’au bout.

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La directrice de cabinet, Marie-Josée Kazadi Yamba Photo 2 : La couverture de Kinshasa Bangalore

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