Italie : Lapo Pistelli, le « monsieur Afrique » italien des AE, passe à l’Eni

Lundi 15 Juin 2015 - 19:46

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Vice-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération à la Farnesina, le diplomate a démissionné lundi pour embrasser une carrière dans le pétrole.

C’est un concert de louanges qui a salué lundi à Rome la démission de Lapo Pistelli de son poste de N° 2 du ministère italien des Affaires étrangères. Homme de dossiers, présenté comme « un bosseur », M. Pistelli n’est pas de ces hauts-fonctionnaires qui se projettent volontiers au-devant de la scène. En Afrique, passé le cercle des décideurs, son nom pourrait même ne pas dire grand-chose à l’homme de la rue, d’ailleurs plus intéressé par les exploits de la Juventus de Turin que par les arcanes de la diplomatie lorsqu’il est question d’Italie. C’est pourtant un pilier certain de la diplomatie africaine de l’Italie qui quitte la Farnesina, le ministère italien des AE.

La primature s’est fendue d’un communiqué élogieux à l’endroit de ce « Monsieur Afrique » qui connaît sans doute aussi bien les couloirs du siège de l’Union africaine, à Addis-Abeba, que la plupart de nos chefs d’État. C’est l’homme des dossiers ; celui qui suit patiemment le développement de la coopération italienne en Afrique et au Proche-Orient dont il avait la charge, au moins dans le gouvernement de M. Enrico Letta, le prédécesseur du premier ministre italien actuel. « Le vice-ministre des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, l’Honorable Lapo Pistelli, quitte ses fonctions aujourd’hui pour une nouvelle responsabilité professionnelle dans le secteur privé », a annoncé le cabinet de M. Renzi lundi. Pistelli devient un haut-dirigeant du groupe pétrolier italien Eni.

De manière plus personnalisée, le Premier ministre italien a dit son estime et son respect pour l’homme et sa décision. « Je respecte le choix de Lapo dont la contribution au travail de l’exécutif a été importante, à partir de l’engagement à la coopération internationale qui a porté, au bout de 30 années, à la loi 125/2014 qui sera pleinement active d’ici à la fin de l’année ». Le Premier ministre Renzi faisait référence à un des succès les plus éclatants de M. Lapo, à savoir la signature du Processus dit de Khartoum, qu’il a définie comme « une plateforme politique de dialogue entre l’Europe et les pays de la Corne de l’Afrique sur les migrations ». Il a également rappelé le rôle décisif joué par M. Lapo pour débrouiller une des affaires les plus médiatiques où s’est illustrée la diplomatie italienne ces dernières années.

Il s’agit de la libération des geôles du Soudan de Meriam, une jeune femme née musulmane, mais convertie au christianisme après avoir épousé un jeune Américain d’origine soudanaise. Emprisonnée à Khartoum malgré les protestations internationales, et condamnée à mort, c’est la Farnesina et Lapo Pistelli qui s’activèrent en secret pour libérer le couple en juin 2014, les ramener à Rome et fournir des documents à leur enfant pour qu’ils gagnent tous les trois les États-Unis où ils vivent aujourd’hui.

Quant au Processus de Khartoum que tous semblent pourtant avoir enterré aujourd’hui, il fut signé en décembre 2014 à Rome. Il engageait les 28 pays de l’Union européenne, avec les pays de la Corne de l’Afrique et de l’Afrique du nord (Djibouti, Égypte, Érythrée, Éthiopie, Kenya, Somalie, Soudan, Soudan du Sud et Tunisie), dans une politique concertée sur les flux migratoires. Inutile de dire qu’aussi bien les pays de départ que les pays européens visés par les accords semblent avoir allègrement piétiné ces accords, au regard des vagues de migrants qui piétinent à la porte de l’Union européenne aujourd’hui ! Mais M. Pistelli fut l’artisan de cette approche, plus humaine, de la question des migrations dont on peut au moins saluer la volonté de bien faire.

« Je lui dis aujourd’hui bon travail. Je suis sûr que même ici, il saura faire du bon travail dans cette nouvelle phase de sa carrière », a dit le Premier ministre Matteo Renzi à l’endroit de celui qui s’en va. L’homme a reçu éloges et appréciations diverses après une décision qui peut susciter des interrogations au moment où sa carrière politique s’interrompt. Il a tenu à anticiper les interprétations erronées : « ma décision est personnelle. J’en ai largement discuté avec le premier ministre. Elle est liée à une nouvelle phase (de ma vie) et une dimension de mon expérience internationale, longuement mûrie pendant des années au sein des institutions ».

En cohérence avec ses nouvelles charges, et afin d’éviter le conflit d’intérêt, Pistelli annonce qu’il va abandonner ses charges de député à l’Assemblée nationale italienne où il siège depuis 1996. Et d’ailleurs, sans aucun lien peut-être avec cette décision qui a fait du bruit le 9 juin dernier, l’ancien Premier ministre Enrico Letta a lui aussi annoncé sa démission du Parlement. Lui aussi ira prendre une autre haute fonction à l’étranger, assumant un poste de professeur à la prestigieuse école de « Sciences Po » de Paris, en France. Seule différence entre les deux hommes qui ont l’un le chef de l’autre, Pistelli dit qu’il quitte en même temps la politique, alors que Letta affirme : « on ne démissionne jamais de la politique ».

Lucien Mpama

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