Médiation en Centrafrique : défis à relever en vue de la tenue du dialogue inclusif dans le paysSamedi 3 Janvier 2015 - 16:00 Alors que la situation sécuritaire en Centrafrique semble quelque peu stabilisée en dépit des violences qui se poursuivent dans certaines parties du pays, l’accord de Brazzaville sur la paix en République centrafricaine est déjà partagé entre scepticisme et optimisme. Tout au moins par ses signataires et ceux qui avaient refusé de participer aux négociations. Malgré cela, la médiation congolaise soutenue par la communauté internationale entend maintenir le cap cette année pour que ce pays puisse effectivement renouer avec une vie normale. Brazzaville qui a prouvé sa détermination dans ce sens en envoyant des missions d’expertise et d’accompagnement à Bangui tient à poursuivre cette noble ambition. Menées par le ministre des Affaires étrangères et de la coopération, Basile Ikouébé, en sa qualité d’envoyé spécial du chef de l’Etat congolais et médiateur international dans la crise centrafricaine, les dernières missions de vérification de l’application de l’accord signé par les protagonistes ont eu pour but de s’enquérir des efforts consentis par les parties impliquées en RCA pour amener effectivement les Centrafricains à chasser les démons de la division dans tous les coins de leur pays et enterrer définitivement la hache de guerre conformément à l’accord de cessation des hostilités de Brazzaville. Les déplacements effectués par les autorités congolaises dans ce cadre ont mis l’accent sur la nécessité de sécuriser le pays, à commencer par Bangui la capitale ; accélérer le processus de transition ; ouvrir le dialogue politique avec les élites et les représentants de la population ; et consacrer l’année 2015 aux élections. De leur côté, les autorités centrafricaines de transition ont multiplié des contacts avec le médiateur afin de hâter la concrétisation des objectifs assignés. La détermination du médiateur de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (Cééac) ne souffre d’aucune entorse même si les Centrafricains ont été conviés ces jours-ci à Nairobi, au Kenya pour d’autres concertations ayant regroupé les principaux acteurs de la crise centrafricaine dont les anciens chefs d’Etat Michel Djotodia et François Bozizé. On y signalait également la présence du fidèle allié de Michel Djotodia, Nourredine Adam considéré comme le numéro 2 de la nébuleuse ex-rebellion seleka, ainsi que de quelques représentants de la milice anti-balaka dont Joachim Kokaté, actuel conseiller en charge du désarmement, de la démobilisation et la réinsertion (DDR) à la Primature. L’objectif de ces nouveaux pourparlers visait à trouver un consensus pour un retour à l’ordre constitutionnel en RCA. Pour y parvenir, les organisateurs qui estiment que la paix dans ce pays passe par les deux anciens présidents suscités et parrains des groupes armés qui sèment la mort et la désolation en RCA ont préféré les réunir dans un premier temps, avec l’espoir de les voir enfin fumer le calumet de paix pour que cette initiative ne soit pas vouée à l’échec. La seconde étape qui devra suivre à une date encore inconnue consisterait à associer les autorités de Bangui, sur la base d’un accord qui aura été trouvé entre ces deux principaux acteurs. En attendant la suite qui sera donnée à ces discussions, nombreux sont ceux qui avancent déjà que ces pourparlers de Nairobi, même placés sous les auspices de l’Union africaine, risquent de jeter un froid sur les relations entre la RCA et le Congo pour la simple raison qu’il subsiste des zones d’ombres autour de cette rencontre. Eviter d’être partagés par des propositions de médiation Les objectifs poursuivis par Brazzaville et Nairobi, ou peut-être éventuellement par une quelconque autre médiation qui pourrait voir le jour prochainement, ne peuvent nullement s’opposer comme certains pourraient le croire, bien au contraire, ils vont se compléter fortement. Pourquoi ? Parce qu’ils visent tous à rechercher le retour de la paix et de la stabilité ainsi que le rétablissement de l’ordre constitutionnel relevant de l’organisation d’élections libres et transparentes après des années de crise intervenue après la chute du régime de François Bozizé en mars 2013 et la prise du pouvoir par l’ex-rébellion Séléka, dirigée par Michel Djotodia. La rencontre de Brazzaville ayant débouché le 23 juillet dernier sur la signature d’un accord de cessation des hostilités et des violences est considérée comme le premier pas dans le règlement de la crise centrafricaine. Elle sera suivie, selon les signataires de l’accord, d’un dialogue inclusif dans les 16 préfectures du pays, puis d’un forum de réconciliation nationale à Bangui. Brazzaville a donc eu après avoir appelé à mettre en œuvre immédiatement et pleinement l’accord conclu, le mérite d’avoir arrêté l’ambition de partition du pays alors prônée par la séléka, mais aussi de donner la possibilité aux autorités de transition de procéder tant bien que mal à la restauration des services et de l’autorité de l’Etat dans les départements et de s’engager progressivement dans la préparation des prochaines élections générales prévues pour cette année. De fait, malgré des péripéties douloureuses durant l’année qui vient de s’achever et de multiples initiatives de la communauté internationale en vue de calmer les tensions qui secouent le pays, une lueur d’espoir existe lorsqu’on considère la détermination avec laquelle la médiation traite la crise centrafricaine. Ceci pour éviter que les prochains mois puissent voir se poursuivre la guerre civile mais aussi pour éviter que ce conflit entraîne des effets néfastes sur la sous-région d’Afrique centrale. L’optimisme de la médiation va jusqu’à croire que les Centrafricains qui se sont entretués depuis des mois à coup de machettes et échangés vengeances et représailles parviendront cette fois à se serrer la main de nouveau et à regarder ensemble dans la même direction, celle du salut de leur pays et de leur peuple. Au lieu d’être partagés par des propositions de médiation autre que celle de Brazzaville qui a posé les bases d’un consensus réel ayant manqué auparavant aux Centrafricains, les acteurs du pays doivent plutôt apprendre à se surpasser et rechercher le bien de leur nation en veillant sur l’application des conclusions de ce cadre de dialogue qui leur a été offert plutôt que de continuer à se regarder en chiens de faïence. S’ils s’y engagent effectivement, cela tournera à coup sûr à l’avantage de leur pays eu égard à la disponibilité dont le médiateur fait toujours montre et surtout parce qu’il connaît bien les acteurs centrafricains. Les bons offices des autorités congolaises revêtent encore tout leur intérêt lorsqu’on sait que les dirigeants centrafricains – principalement la présidente de transition, Catherine Samba-Panza qui est déjà débordée par sa tache – disent ouvertement qu’ils n’ont pas été associés aux pourparlers de Nairobi. Les dangers de boycotter l’accord de Brazzaville Il y a donc péril en la demeure si les frères ennemis centrafricains négligent l’accord signé dans la capitale congolaise et s’obstinent à croire que leur pays pourra se tirer facilement de difficultés et autres tracas liés à la crise actuelle juste parce qu’ils auront changé de médiation sans fournir eux-mêmes le moindre effort de réconciliation. Il leur faut plutôt comprendre que le retour au calme en Centrafrique viendra du sérieux que les différents acteurs confieront ensemble et à cœur ouvert à l’arbitrage les divers antagonismes qui tuent leur pays à petit feu. Les hésitations que l’on relève dans les deux camps opposés en Centrafrique - les anti-balaka et les ex-séléka - portent toujours sur la question du désarmement puisqu’en dehors de l’arrêt immédiat des exactions, l’accord de Brazzaville n’avait pas prévu le désarmement des milices faute de consentement des belligérants. A ce sujet, les Centrafricains dénoncent le fait que les criminels continuent de sévir dans le pays sans être ni désarmés ni contraints par la force onusienne au respect des règles du droit international. Les autorités sont appelées à prendre des mesures qui s’imposent contre ces groupes armés actuellement en déliquescence et manquant de leadership clair, mais qui cherchent tout de même à étendre leur contrôle sur le territoire parce qu’ils confondent banditisme et politique. Il faut donc les contenir pour rendre possible un processus politique dans le pays. À cette préoccupation du désarmement s’ajoute le partage du pouvoir. Une fois ces points d’achoppement réglés, il ne restera plus aux autorités de transition que de clarifier la marche à suivre pour une bonne transition politique. Pour ce faire, la présidente devra présenter sa vision y relative et en discuter avec les élites politiques ; chercher à trouver un large consensus sur des questions en suspens en vue de favoriser la réconciliation nationale; prioriser la relance économique et la gestion des ressources naturelles, essentielles pour la stabilisation de la Centrafrique ; préparer sereinement l’organisation des élections afin de doter le pays des institutions véritablement démocratiques et républicaines. Outre ces priorités, il faut aussi ajouter le rôle que doit jouer la justice de manière à en finir avec l’impunité qui règne en Centrafrique en vue notamment de permettre à ses filles et fils de vivre en harmonie entre eux et de se faire mutuellement confiance. En raison de l’importance de ce dossier, la communauté internationale avec les Nations unies en tête, demande que soit jugés les auteurs et autres commanditaires des barbaries commises contre de paisibles citoyens dans ce pays. Avec le concours des pays de la sous-région et plus largement de la communauté internationale, la médiation de la Cééac réussira à coup sûr son pari concernant le retour de la paix en Centrafrique si toutes les mesures énoncées sont appliquées sur le terrain. Elles contribueront à n’en point douter à améliorer la situation sécuritaire, à faire avancer la transition politique et stimuleraient l’économie centrafricaine. Nestor N'Gampoula, Yvette Reine Nzaba et Fiacre Kombo |