Le pape François : réformer l’Église par la manièreLundi 19 Août 2013 - 18:00 Le nouveau pape a engagé la réforme de l’Église catholique. Sa méthode ne passe pas par des textes théologiques, mais par le style et les petits pas Il n’y a plus de doute désormais que le nouveau pape argentin installé au sommet de l’Église catholique universelle a pris la mesure des changements à apporter. Son élection s’était d’ailleurs réalisée sur ces auspices, du moins de la part des commentateurs. Scandales de pédophilie, luttes ouvertes d’influences au Vatican, bruits discordants autour de graves questions de société, gabegie à la banque du Vatican : le chantier s’annonçait – s’annonce toujours – vaste, prédisaient les analystes. Et le souverain pontife commence à donner des signes fermes d’une prise de température objective de la situation et de sa volonté de faire face. Le « pape à la sacoche », comme on commence à le surnommer après l’image d’un souverain pontife grimpant sac en main l’échelle de l’avion qui le portait au Brésil, son premier voyage vraiment international en juillet dernier, ne veut pas se perdre en discours. Jésuite, donc rompu à l’art de dire le dogme et la foi, le pape François n’a pas choisi la voie des textes dogmatiques et des encycliques ronflants. Il veut conduire l’Église vers son rendez-vous avec la réalité du XXIe siècle par la manière. Un mot par-ci, un geste par-là, une admonestation sans en donner l’air, une petite phrase : il a pris tout le monde à rebours sur les postures les plus essentielles de l’Église. Sur les femmes ? Le pape François dit qu’il n’entend pas changer quoique ce soit à la doctrine. Mais, c’est pour ajouter tout de suite que l’Église doit engager dès maintenant une réflexion sur leur place, « une théologie sur la femme ». Et il argumente : les femmes ont été les témoins de l’agonie – « la passion » – de Jésus sur la croix, le fondateur de l’Église, dès les premières heures. Ce sont elles les premières qui ont accouru au tombeau pour constater sa « disparition » au jour de la Pâque de sa résurrection. Les femmes furent aussi – au moins une d’elles, Marie – témoins de sa « réapparition » au jour de la Pentecôte, assistant aussi probablement à sa montée au ciel. Tout cela fait d’elles « des témoins privilégiés de l’histoire du salut ». Une position qui ne peut donc aller de pair avec leur mise à l’écart visible dans l’Église d’aujourd’hui : pas d’ordination, pas de sacrements aux divorcées-remariées, pas d’accès aux ordres majeurs… Le pape a dit sans dire. Ses déclarations en la matière sont aussi importantes dans les mots que dans ce qu’ils suggèrent. Le pape ne donne pas de coups de crosse à grandes envolées lyriques, il suggère et laisse entendre dans une volonté qui ne souffre pourtant pas de faiblesse à l’interprétation. « Dans ses différents commentaires, je vous assure qu'il y a des remarques qui portent et qui font réfléchir… C'est d'abord cela la réforme, parce que chacun, après l'avoir entendu, se dit : où en suis-je? » Ce point de vue n’est pas de n’importe qui, mais de quelqu’un qui par ses fonctions et par ses origines ne peut être taxé de complaisance à l’égard du « chef ». En tant qu’originaire du Québec, une province canadienne qui s’y connaît aussi en fronde et en résistance, le cardinal Marc Ouellet, actuel préfet (ministre) de la congrégation des évêques au Vatican, résume un sentiment – une sensation – dans lequel beaucoup se retrouvent. On sait qu’il a mis sur pied un groupe de huit cardinaux qui devraient lui faire, en octobre, des propositions et lui suggérer un agenda. On sait qu’il attend aussi des propositions d’un autre groupe de réflexion sur l’IOR, l’Institut pour les œuvres de religion, trop perçue comme étant la banque du Vatican. On sait par ailleurs que là où c’était nécessaire, il n’a pas hésité à taper du poing sur la table : il a mis derechef à la retraite deux évêques slovènes et, en Afrique centrale, il n’a pas hésité à pousser fermement vers la porte Mgr Victor Tonye Backot, l’archevêque de Yaoundé, au Cameroun. Chiquenaude par ici, moue dubitative par là, le pape actuel est d’abord un style, une manière. « Le pape François est une grande bénédiction pour l'Église. Après un grand docteur comme Benoît XVI qui avait un style plus distant par sa personnalité et son histoire, l'Église avait besoin d'un pasteur vraiment proche de son peuple. Cela fait beaucoup de bien. Il a une qualité de présence et une qualité de contact personnel extraordinaire. » Il n’est pas dit que l’on doive épouser sans bémols ces autres propos de Mgr Ouellet, mais encore une fois le haut-prélat québécois donne la mesure d’un sentiment ambiant. Car même quand il ne fait que redire ce que l’Église soutient depuis toujours, par exemple sur l’homosexualité, le pape François semble parler dans un langage de réforme. Lucien Mpama |