Exposition Kiébé-Kiébé à Salvador de Bahia : les Brésiliens enthousiastes

Mercredi 11 Septembre 2013 - 14:30

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Ils ont manifesté cet enthousiasme lors de la conférence-débat sur la danse initiatique Kiébé-Kiébé qu’animaient les experts le 10 septembre dans l’amphithéâtre Teodoro-Fernandes-Sampaio de l’université fédérale de Bahia

Le professeur Théophile Obenga ; le président du Sophia du Congo, Camille Bongou ; le préfet du département de la Cuvette, Pierre-Cébert Ibocko-Onangha sont les principaux animateurs de cette conférence à laquelle se sont joints Lydie Pongault, directrice du Musée-Galerie du Bassin du Congo et conseiller à la culture du chef de l’État ; l’équipe du Musée afro-brésilien (Mafro) de l’université fédérale de Bahia, dont le professeur Graçe Teixeira, directrice de cet espace, qui a donné le top de cette conférence-débat en remerciant les ancêtres qui ont permis que ces assises se tiennent, car elles ont été un moment important et très riche pour cette université et pour ce musée.

Le professeur Théophile Obenga, originaire du département de la Cuvette, où est pratiquée cette danse, a défini le Kiébé-Kiébé, donné son contexte et son déroulement. Il a commencé ces propos par une observation sur le mot Kiébé-Kiébé qui est une duplication. Si Nanga, dit-il, veut dire en mbochi noble, sa duplication, Nanga-Nanga veut dire noble par excellence. Ainsi le Kiébé-Kiébé qui est une duplication veut dire danse par excellence. C’est une expression du beau.

Son contexte implique deux éléments constructifs, il y a la forêt ou la savane où se prépare mystiquement et techniquement le Kiébé-Kiébé (le bosquet sacré) par les initiés, et il y a le village où se déroule la cérémonie. Bien qu’il soit préparé par les initiés, tous ceux qui la dansent en public ne sont pas des initiés. C’est comme quelqu’un qui mange avec les francs-maçons mais qui n’est pas franc-maçon, selon l'exemple cité. C’est dire que les initiés et les profanes constituent le Kiébé-Kiébé, car son spectacle implique tout le village, parce que la mémoire du Kiébé-Kiébé est le  village. On jure au nom du Kiébé-Kiébé.

Le Kiébé-Kiébé ne se danse pas pour le spectacle en soi mais pour la signification

Le moment le plus émouvant du Kiébé-Kiébé, pense le professeur Théophile Obenga, est lorsque celui qui est dans la robe, c’est-à-dire « Okoué » ou « fantôme », paraît en public selon la chanson de son choix. Bien qu’il fasse peur à voir, son spectacle est beau à vivre, ce qui suscite toujours la clameur générale. « Okoué » peut tourner trois à quatre heures de temps. Pour l’arrêter, il y a une technique que le « Ndumbè », qui est l’interface, met en place. Les vrais initiés ne tournent pas sur la place publique, mais en allant dans le sens du village, ils vont de case en case et montent quelquefois sur les toits pour danser. Avant d’ajouter que le Kiébé-Kiébé ne se danse pas pour le spectacle en soi mais pour la signification, parce qu’il protège. Il est présent dans la mémoire du village, c’est un patrimoine dans lequel toute la société est impliquée.

Camille Bongou, qui s’est reconnu élève du professeur Théophile Obenga en philosophie africaine, a abordé le Kiébé-Kiébé sur trois volets : les métiers, le sport et les compétitions. Pour lui, la réalisation du Kiébé-Kiébé en tant qu’œuvre collective est rendue possible grâce au concours de plusieurs métiers, parmi lesquels l’ébénisterie, la vannerie, la fabrication de métiers à tisser, le tisserand, le bas fourneau, la forge, enfin la confection. Ainsi, l’air et le mouvement permettent de donner une image parfaite au masque dansant.

Quant au volet sportif, Camille Bongou a déclaré que le Kiébé-Kiébé était la danse sportive par excellence. C’est une danse très spectaculaire parce qu’elle impose un mouvement à plusieurs composantes nécessitant une endurance et une vélocité à toute épreuve. Il s’agit de se déplacer à partir d’un point proche du reste des danseurs réunis, de tourner sur soi-même, de déployer l’habitacle en tissu, d’obtenir en même temps et grâce à l’air et au mouvement la rotondité nécessaire et ainsi donner l’occasion aux spectateurs d’apprécier le travail de confection sans arrêter de suivre l’appel du conducteur dans un mouvement observant un itinéraire préfixé. Si par hasard l’itinéraire a été improvisé, il faudra revenir sans faute au point de départ. C’est donc une course particulière pour laquelle la règle de l’art veut qu’en plus la tête ne soit point relevée, que le dos reste parfaitement arrondi et le tissu de l’habitacle en mouvement touche le sol dans jamais trop décoller.

Le Kiébé-Kiébé, conclut-il, comporte trois sortes de compétition : celle du masque dansant parfait, qui vise à déterminer le meilleur danseur selon la règle de l’art ; celle qui évalue et compare la durée de danse des compétiteurs, car, c’est la durée individuelle du danseur en mouvement qui compte ; le Pé-pa, ou le démarrage simultané, qui est une compétition qui vise à partir d’un démarrage simultané de deux compétiteurs à constater celui des danseurs qui faillit le premier.

Un autre exposant qui a mis à la disposition de l’auditoire ses ingrédients sur le Kiébé-Kiébé, est le préfet du département de la Cuvette, Pierre-Cébert Ibocko-Onangha. Cette danse initiatique, a déclaré ce sachant, est une danse qui frise la morale et qui prend en compte les dix commandements de Dieu. C’est un garde-fou. Pour lui, lorsqu’on a tué, volé, commis un acte d’adultère, etc., il faut que le coupable l’avoue auprès du le Kiébé-Kiébé qui est un guide moral.

Pierre-Cébert Ibocko-Onangha a ajouté que le Kiébé-Kiébé connaissait trois moments importants, à savoir la jouissance populaire qui est un moment de grande retrouvaille après une semaine de dur labeur. Et quand arrive ce moment, tout le monde  converge vers le lieu de la cérémonie. Il peut arriver aussi qu’on exhibe le Kiébé-Kiébé lors du décès d’un initié. C’est d’ailleurs ce qui ressort de la dimension fraternelle et morale. Cependant, lorsqu’un « Kani » qui est l’incarnation de toutes les danses trouve la mort, il faut attendre la veille et tôt le matin quel que soit l’heure à laquelle il a trouvé la mort pour propager la nouvelle. Cela fait, la population doit observer un profil bas, et le « Ndumbè » qui est l’interface organise le Kiébé-Kiébé. C’est le troisièmement moment.

Parlant du masque serpent du Kiébé-Kiébé, ce sachant a dit que ce masque faisait intervenir la dimension exotérique de la chose. Quand il peut envelopper une personne, c’est fini pour elle. Mais il y a aussi le côté intéressant, c’est lorsqu’il monte plus haut.

Puis les Brésiliens ont voulu savoir…

Les curieux dans la salle ont voulu savoir pourquoi le Kiébé-Kiébé était parti de l’autre côté de l’Atlantique pour être exposé chez eux. La réponse venue de Lydie Pongault, a été claire : « Le Brésil a reçu à une certaine période de son histoire des hommes valides venus d’Afrique, il y en avait certainement qui venaient du Congo. Pour nous, c’est un moyen de montrer notre culture, d’aider les autres, de communiquer et d'échanger. L’exposition vient d’arriver, les résultats nous les aurons dans les jours à venir. »

Alors que le professeur Théophile Obenga devait répondre à la question de savoir si rien ne se cachait derrière cette exposition. « Derrière le Kiébé-Kiébé il n’y a rien de religieux. Il y a juste la jouissance populaire. Le Kiébé-Kiébé qui a plusieurs dimensions est une danse congolaise qui peut être partagée partout dans le monde. Car la culture est à partager et non à garder par devers soi. Je pense que les efforts que déploie Mme Lydie Pongault d’organiser des expositions itinérantes sur le Kiébé-Kiébé méritent d’être encouragés. »

Ils ont voulu également savoir si avec la modernisation qui s’impose à tous, les générations futures congolaises s’imprégnaient de cette culture du Kiébé-Kiébé. « Le Kiébé-Kiébé est une partie de notre existence. De ce point de vue, les générations futures doivent faire avec. Il y a un processus de valorisation et cela est valable pour toutes les générations. Même à Brazzaville qui est une ville moderne, on danse le Kiébé-Kiébé », a répondu Pierre-Cébert Ibocko-Onangha.

Les Brésiliens n’ont pas étanché leur soif

Lorsque Lydie Pongault clôt le débat tout en remerciant le public d’être venu nombreux découvrir l’aspect descriptif du Kiébé-Kiébé, puis invite les Brésiliens à venir vivre cette danse dans son environnement congolais, les Brésiliens qui ont manifesté leur intérêt et leur enthousiasme ont regretté que la conférence soit si brève. « Je n’ai pu étancher ma soif. La conférence aurait dû continuer, parce que nous apprenons beaucoup. J’ai par exemple aimé lorsque le professeur Théophile Obenga a dit que les Blancs avaient dépouillé l’Afrique de ses hommes valides. Au lieu de s’arrêter là, la colonisation a continué. Heureusement que les Africains sont polygames et mettent beaucoup d'enfants au monde, sinon l'Afrique ne serait pas peuplée comme elle l'est aujourd'hui », a déclaré une Brésilienne de couleur que nous avons abordée à l’issue de la conférence.

De notre envoyé spécial au Brésil, Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La façade de l’université fédérale de Bahia abritant le Mafro. (© DR) ; Photo 2 : Les conférenciers. (© DR)