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La jungle centrafricaine ?

Lundi 30 Décembre 2013 - 6:16

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À quelques heures de la fin de l’année 2013, c’est bien malheureusement le constat qui colle à la réalité centrafricaine : ex-rebelles Séléka, milices anti-balakas, soldats perdus des forces armées centrafricaines qui tentent de se muer en armée républicaine centrafricaine, contingent français de Sangaris, troupes africaines de la Misca (Mission de soutien internationale à la Centrafrique), autant d’unités organisées ou non, beaucoup trop sans doute, pour ne pas transformer le pays de Barthélemy Boganda, le père de la nation centrafricaine, en une véritable jungle. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les images qui passent en boucles sur les écrans des télévisions, de lire la presse, d’écouter la radio et aussi de prendre connaissance de quelques statistiques : la Centrafrique va mal.

Dotées d’armes lourdes et légères, d’hélicoptères d’assaut, mais aussi de haches, de gourdins ou de machettes, les forces qui opèrent sur le territoire centrafricain depuis la fin de l’année 2012 ne sont évidemment pas à mélanger. Il y a d’un côté celles qui sont à l’origine de tout le chamboulement, les ex-Séléka. Tombés en mars dernier sur les ruines de ce qui restait des institutions publiques de leur pays, ces rebelles se sont emparés du pouvoir à Bangui. Une chose était de parvenir à chasser François Bozizé, dont dix années passées à la tête de la Centrafrique n’ont rien apporté de mieux, une autre était de rendre au pays un minimum de paix et de tranquillité, d’en éloigner le cauchemar des violences et de la précarité cinquantenaires. Chacun voit que rien de tel n’a été offert aux Centrafricains. Au contraire, la situation a empiré.

Comme forces en présence en dehors des ex-Séléka, il y donc  aussi  des groupes d’autodéfense nés dans la foulée sous l’appellation d’anti-balakas. Ils s’opposent aux premiers, jugés coupables de pires exactions sur les populations civiles, mais rivalisent sur ce chapitre. Très vite est apparue la stigmatisation religieuse entre musulmans et chrétiens par ex-Séléka et anti-balakas interposés. La guerre sans merci qui en découle jette le doute sur la survie de la Centrafrique en tant qu’État. On sait pourtant qu’en dépit d’une instabilité chronique, la République centrafricaine est restée une et indivisible, jamais les clivages communautaires ou ethniques n’avaient connu une telle ampleur. Était-ce peut-être une méprise sur la réalité des faits ? Pour les observateurs avertis, les dirigeants politiques qui se sont succédé au sommet de la Centrafrique ont souvent cédé aux sirènes de l’ethnocentrisme, grevant ainsi les chances de consolider l’unité nationale. Ceci expliquant sans doute cela.

Dans ce chaos s’empêtre également l’armée française. Depuis le 5 décembre, son léger dispositif de quelque 400 hommes qui veillaient sur l’aéroport de Bangui-M’poko a pris du poids dans le cadre de l’opération Sangaris, lancée la veille du sommet de l’Élysée (6 et 7 décembre) sur la paix et la sécurité en Afrique. La France connaît bien la Centrafrique pour y avoir disposé d’importantes bases à l’indépendance, pour y avoir conduit aussi des opérations musclées. Les unes destinées à rétablir la paix, d’autres, touchant au respect du principe sacré de la préservation de ses intérêts dans son ancienne colonie, consistaient à remplacer un mauvais président de la République par un meilleur. L’opération Barracuda, en 1979, fit le bonheur de David Dacko contre Bokassa 1er ; les opérations Almandin 1 et 2, en 1996, permirent de briser les mutineries de soldats centrafricains affamés qui menaçaient le régime d’Ange-Félix Patassé. Ordonnée par l’ONU, l’opération Sangaris a-t-elle peut-être péché, non par sa louable intention de mettre un terme aux massacres insoutenables de civils, mais par le fait d’avoir ignoré l’existence d’autres forces, en particulier africaines, sur ce terrain miné ? Car un mécanisme de dialogue, certes fragile, était en place.

La Misca a pris la suite de la Micopax (Mission de consolidation de la paix en Centrafrique) le 19 décembre, sous un commandement uni. Le président de transition, Michel Djotodia, a beau « rétablir » la vérité sur « une supposée » altercation entre les troupes tchadiennes et burundaises survenue le 23 décembre, les violents incidents du jour de Noël sont plus parlants. Des statistiques datant de seize ans montrent que différentes missions de maintien de la paix se sont relayées en Centrafrique sans succès : la Mission internationale de surveillance des accords de Bangui, la Mission des Nations unies en République centrafricaine, le Bureau politique d’observation des Nations unies en Centrafrique, la Force multinationale en Centrafrique… Autant d’hommes, de moyens et d’expertises que le bourbier centrafricain a engloutis corps et biens comme dans une véritable jungle.

À propos de cette jungle, la responsabilité première en incombe à l’acteur centrafricain lui-même. D’où cette prière de début d’année en direction du ciel : l’œuf dont devrait sortir l’oiseau rare qui délivrerait la Centrafrique du chaos ne pourrait-il pas éclore en 2014 ?

Gankama N'Siah

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Édition Quotidienne (DB)

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