Interview. Dr Irène Nsadiolanda : « Nous voulons que les médecins aient des soins de qualité »

Mercredi 1 Novembre 2017 - 17:38

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Dans cette interview accordée au Courrier de Kinshasa au terme de ses exposés instructifs à l’intention de ses pairs, les 30 et 31 octobre, le médecin est revenu sur la nécessité de la création d’une mutuelle de santé pour assurer des soins de qualité à toute la corporation médicale. "Les généralités sur la mutuelle de santé" et "l’Exposé sur les paquets de soins et la liste des hôpitaux" qu’elle a proposés à l’atelier de renforcement des capacités des médecins du Syndicat national des médecins (Synamed) sur la sensibilisation à la mutuelle de santé a nourri les débats dont l’intérêt était manifeste pour la cinquantaine des participants à ces travaux.

 Dr Irène Nsadiolanda

Le Courrier de Kinshasa : Comment devrait-on vous présenter à nos lecteurs ?

Irène Nsadiolanda : Je suis Dr Irène Nsadiolanda, responsable des médecins conseil au Programme national de promotion des mutuelles de santé (PNPMS) et la coordonnatrice nationale d’un Centre de gestion des risques et d’accompagnement technique aux mutuelles (CGAT), une ASBL de la société civile.

L.C.K. : Quelles sont les motivations premières pour la création d’une mutuelle de santé du Synamed comme vous l’avez préconisé lors de cet atelier ?

I.N. : La première motivation tient du fait que nous sommes dans un pays où la prise en charge des soins n’est pas assurée par l’État. Ainsi, lorsque ses employés, en l’occurrence les médecins, tombent malades, il faut lancer des communiqués pour que les pairs se cotisent afin de couvrir les frais des soins. Dès lors, parmi les résolutions prises à la fin du congrès des médecins qui s’est tenu il y a quelque temps, ils ont jugé intéressant d’avoir une mutuelle. Car face à un cas de maladie à domicile, ils préfèrent les gérer eux-mêmes au lieu de se rendre à l’hôpital. Cela a été confirmé pendant l’atelier, en réponse à la première question que j’ai posée aux médecins, à savoir comment ils agissent dans pareille circonstance. Ils ont répondu qu’ils se soignent eux-mêmes. Pourquoi ne vont-ils pas directement à l’hôpital ? Ils affirment que cela tient à un problème d’accessibilité financière aux soins. C’est par manque d’argent qu’ils se réservent d’aller à l’hôpital. C’est à cet effet qu’ils ont jugé important d’avoir une mutuelle qui leur profite  ainsi qu’à leurs familles respectives. De la sorte, ils sont assurés que, même en leur absence, dans le cas où ils seraient en déplacement, les membres de leur famille, épouses ou enfants, soient pris en charge. Cela va faciliter l’accessibilité financière aux soins.

L.C.K. : Sur quoi repose exactement la proposition que vous faites au Synamed ?

I.N. : Notre structure a pour mission de professionnaliser les mutuelles de santé. Il y a eu, autrefois, plusieurs expériences malheureuses de mutuelles dans notre pays où un quidam se levait un beau matin et mettait en place une mutuelle. Nous réalisons d’abord une étude des faisabilités avant de mettre en place une mutuelle. Pour ce qui est du Synamed, nous avons réalisé des études d’où nous avons proposé des produits disponibles dans la ville. Nous allons l’accompagner techniquement pour que cette mutuelle devienne professionnelle. Nous voulons que les médecins aient des soins de qualité. Pour cela, il faut bien faire le choix des hôpitaux, nous usons d’un outil qui nous permet de bien évaluer leurs plateaux techniques. Lors du débat qui a suivi mon exposé, il a été relevé que les hôpitaux étatiques ne sont pas pris en compte pour le moment parce qu'ils ne répondent pas aux normes. Notre souci est d’avoir ceux qui y répondent, de l’accueil jusqu’à la disponibilité des médicaments. Qu’ils aient un plateau technique convenable avec notamment des installations sanitaires, de l’eau courante. Nous offrons des paquets de soins avec des structures bien précises qui doivent permettre aux mutualistes de recevoir des soins de qualité, c’est cela notre mission. Nous avons aussi une équipe de médecins-conseils qui font le suivi de la prise en charge.

L.C.K. : Avez-vous des propositions concrètes d’hôpitaux déjà répertoriés soumises au Synamed ? Si oui, quels ont été les critères de votre choix ?

I.N. : Nous avons un outil d’évaluation des plateaux techniques des hôpitaux qui comporte la partie ressources humaines qui fait la relation entre le nombre de lits et le personnel soignant. La majorité des hôpitaux ne répond pas aux normes. Il y a parmi eux ceux qui n’ont pas de toilettes. Un malade ne peut être hospitalisé dans ces conditions. Il aura été reçu pour une maladie mais risque de repartir avec une autre. Que fera une mère dans une formation sanitaire sans eau courante ? Devra-t-elle acheter de l’eau à l'extérieur pour laver son enfant en pédiatrie qui fait des selles fréquemment ?  Nous signons avec des hôpitaux qui répondent aux normes et disposent du nécessaire pour soigner les malades. C’est cette évaluation du plateau technique qui permet de faire la sélection des hôpitaux. Il faut savoir que dans notre pays, les centres de santé ne fonctionnent pas en ville, sauf peut-être en province et en milieu rural. Tous les centres de santé sont médicalisés avec des médecins partout, mais répondent-ils aux normes ? Dès lors, nous proposons au Synamed les quelques structures qui ont contractualisé avec nous parce qu’ils répondent aux normes. Il a voulu que l’on puisse élargir l’offre. Nous lui avons promis de procéder à l’évaluation du plateau technique d’autres hôpitaux tout en notant qu’il y a contradiction entre médecins. Ils ont relevé un problème de gestion dans ceux où ils prestent. Faut-il signer avec les hôpitaux étatiques ? Nous allons leur rendre compte après évaluation.

L.C.K. : Combien d’hôpitaux avez-vous proposés au Synamed jusqu’ici  ? Est-ce seulement pour Kinshasa ou pour toute la République ?

I.N. : Nous avons une liste d’au moins une quarantaine de formations sanitaires composée à 80% de formations privées. Nous voulons bien signer avec les hôpitaux étatiques, à condition qu’ils améliorent d’abord certains services. Synamed veut d’abord commencer avec Kinshasa en attendant d’élargir l'expérience aux provinces en partant des caisses de solidarité du médecin (Casomed) qui fonctionnent déjà dans certaines d’entre elles. L’offre débutée à Kinshasa va être dupliquée au fur et à mesure. Le souhait des adhérents était d’abord d’avoir une proposition du paquet des soins. Nous avons présenté un paquet complet qui englobe la consultation en ambulatoire, l’hospitalisation, la chirurgie et la maternité ainsi que la conservation à la morgue. Il revient à 54$ (dollars américains) par personne par an. Pour les médecins salariés, il sera procédé à un retrait à la source. Pour ce qui est des personnes à charge de leur famille, ils payeront 4.5 $ par individu pour bénéficier des soins.  

L.C.K. : Quand pensez-vous lancer la mutuelle ? Avez-vous déjà établi un calendrier, où en êtes-vous à ce niveau ?

I.N. : Nous en sommes à un niveau où les deux jours d’ateliers servaient à former les sectionnaires des différentes sections du Synamed de Kinshasa. Ils ont été instruits sur les notions élémentaires des mutuelles et sur les paquets qu’ils devront vendre. Ils ont posé beaucoup de questions afin de savoir comment parler à la base, c’est ainsi que nous leur avons montré comment communiquer, transmettre ce qu’ils ont appris. Puis, nous leur avons donné les fiches de renseignement à distribuer à tous les médecins de sorte que nous ayons toutes les informations nécessaires avant de débuter. Cela nous permettra d’avoir la taille moyenne des ménages de tous les médecins de la ville. Tous souhaitent que la mutuelle commence au début de l’année prochaine. Si l’on ne tarde pas, l’on est pour que la prise en charge se fasse à partir du 1er janvier 2018. C’est notre souhait, également celui des médecins du Synamed, j’en fais partie moi aussi. La mutuelle est annuelle, la cotisation est annuelle. Au regard de la loi sur les mutuelles de santé de février 2017, les travailleurs du secteur formel, les salariés sont dans les assurances obligatoires. Donc, si Kinshasa compte 2 000 médecins, ils sont tous obligés de s’affilier à la mutuelle. Et donc, en ajoutant aux titulaires les personnes à charge, l’on peut commencer la mutuelle avec environ 10 000 membres.

L.C.K. : Pensez-vous être en mesure d’assumer la gestion d’une mutuelle de cette taille dès le début  ?

I.N. : Bien sûr ! Le CGAT est une structure chevronnée qui accompagne les mutuelles. Pour votre information, dans la ville-province de Kinshasa, nous le faisons déjà avec seize mutuelles. Je peux vous en citer cinq, à savoir les mutuelles Lisanga, Tosungana, Bomoto, Elikya et La Borne. Et celle dont la cotisation est à 54$ compte à ce jour autour de 15 000 bénéficiaires. Parmi les cinq, il y a des mutuelles qui ont des adhérents communautaires mais il y a aussi quelques corporations, à l’exemple de l’école Les Loupiots dont tout le personnel enseignant y compris leurs personnes à charge. Pareil pour l’entreprise Transco. Il existe d’autres mutuelles dont le paquet des soins offert est à 24$ pour la population de la partie est de la ville, Masina, Ngaba, Matete et Kisenso. Elle est à sa deuxième année de prise en charge.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Dr Irène Nsadiolanda

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