Interview. Angèle Makombo Eboum : « Le deuxième forum mondial des femmes francophones doit favoriser la mobilisation pour une paix durable en RDC »

Lundi 3 Mars 2014 - 19:49

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Actrice politique, leader du parti politique Ligue des Démocrates Congolais (Lidec), Angèle Makombo Eboum s’est exprimé sur le forum des femmes francophones en cours à Kinshasa et a fait le point de la participation de la femme congolaise au développement de la RDC. Elle a reconnu des avancées mais a également estimé que le chemin à parcourir reste encore long.  

Les Dépêches de Brazzaville : En votre qualité de leader politique, quelle place donnez-vous à la femme dans vos actions ?

Angèle Makombo Eboum : En tant que présidente nationale du parti politique de l’opposition dénommé Lidec, j’accorde une place de premier plan à la femme dans les actions que nous menons car je suis convaincue que le développement de notre pays passe par l’implication des femmes. N’oublions pas que nous constituons 52% de la population congolaise. Nous voulons aussi que la femme rattrape le retard qu’elle a accumulé par rapport à l’homme sur le terrain politique. Aussi avons-nous choisi trois axes prioritaires. D’abord l’attribution de responsabilités à des femmes au sein du leadership du parti. Parité oblige, nous veillons à ce que la femme soit bien représentée au sein du bureau exécutif du parti. Ensuite, renforcement des compétences des femmes par la formation dans les domaines de l’analyse et du message politiques, la communication, l’informatique, le leadership afin d’améliorer leurs capacités à faire de la politique. Enfin, les activités d’implantation du parti, de mobilisation et d’encadrement des membres et des sympathisants à la base.

LDB : Croyez-vous que la Congolaise est assez outillée pour jouer son rôle dans le développement de son pays ?

AME : Je n’ai aucun doute là dessus ! Le dicton populaire en lingala selon lequel « muasi atongaka mboka te » (une femme ne bâtit pas un pays) est complètement faux. Aujourd’hui, nous retrouvons des femmes congolaises compétentes dans presque tous les secteurs d’activités de la vie nationale (enseignantes, médecins, ingénieures, agronomes, avocates, journalistes, générales dans l’armée et la police, etc. ).  Une jeune femme ingénieure congolaise est l’inventeur d’un robot qui régule la circulation routière dans notre capitale! Tous les Congolais sont très fiers d’elle. Mais les femmes congolaises outillées pour jouer un rôle dans le développement du pays ne sont pas assez nombreuses car un nombre incalculable d’entre elles n’ont pas eu la chance d’avoir accès à l’éducation, même de base.  Il est malheureusement établi que notre pays, la RDC, n’atteindra pas d’ici 2015 les objectifs du millénaire pour le développement (OMD). Or comme on le sait, les OMD comprennent l’accès à l’éducation primaire pour tous.

LDB : Après plus de cinquante ans d’indépendance, quel bilan faites-vous de la participation de la femme francophone en général et congolaise en particulier aux initiatives de développement ?

AME : Des progrès ont été réalisés depuis les indépendances africaines, mais on aurait pu faire mieux et  plus vite pour augmenter la participation de la femme francophone en général et congolaise en particulier aux initiatives pour le développement du pays. Je pense, par exemple, à l’éducation dont je viens de parler, et puis à l’agriculture, pourtant proclamée priorité nationale dans notre pays.  65% environ de Congolais vivent en milieu rural, et parmi ces ruraux, il y a une multitude de femmes qui travaillent dans l’informel pour la production agricole nationale. Or qu’avons-nous fait jusqu'à présent pour les aider à quitter l’informel et leur donner des moyens adéquats pour contribuer à  développer notre agriculture ?

LDB : Vous avez été candidate à la phase préliminaire de la dernière présidentielle. Comment pensiez-vous le développement de la femme congolaise ?

AME : Je voudrais que tout enfant congolais puisse avoir la chance que j’ai eue d’avoir de quoi manger, d’aller à l’école et d’avoir accès à la santé. Savez-vous par exemple que dans notre pays, chaque minute, un enfant de moins de cinq ans meurt; six millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition aiguë ; 7 millions d’enfants de moins de 17 ans ne sont pas allés à l’école en 2012 ?  C’est insoutenable ! Vous l’aurez sans doute compris, pour moi, le développement de la femme congolaise passe par son accès à l’éducation et une solide formation. La Banque mondiale ne dit pas autre chose lorsque dans son Rapport 2013 sur le suivi de la situation économique et financière pour la RDC, elle invite les pouvoirs publics à investir davantage dans l’éducation.  Le développement de la femme congolaise passe aussi par sa protection contre les atrocités et les violences sexuelles, un véritable fléau national.   

LDB : De quel type d’actrice la RDC a-t-elle besoin pour faire son entrée dans le rang des pays émergents ?

AME : La RDC a besoin de former et d’accroitre le nombre de femmes agents de développement dans les grands secteurs d’activités de la vie nationale. Mais par-dessus tout, à mon avis, la RDC a besoin de femmes leaders dans leurs communautés, de femmes leaders dans la société civile, de femmes leaders politiques. Des femmes qui s’intéressent réellement au débat public et aux questions d’intérêt national, des femmes qui s’engagent, qui s’impliquent dans la gouvernance du pays, qui osent donner leurs opinions, prendre  position et faire des propositions pertinentes pour faire avancer les choses. 

LDB : Qu’est-ce que les Congolaises peuvent attendre du forum mondial des femmes francophones au lendemain de la fin de la guerre dans l’est de la RDC ?

AME : Les rebelles du M23 ont été défaits militairement depuis novembre dernier, mais il est établi que d’autres rebelles continuent à sévir dans notre pays, notamment dans les Kivu, la Province Orientale et au Katanga. Comme l’a si bien dit le patron de la Monusco Martin Kobler, « c’est la fin de la guerre mais maintenant il faut gagner la paix ». Mais étant donné que nous n’avons pas encore « gagné la paix » et que sans la paix, il n’y a pas de développement, j’émets le vœu que le deuxième Forum mondial des femmes francophones, qui se tient actuellement à Kinshasa et qui a pour thème « Femmes actrices de développement », favorise l’inclusion et une forte mobilisation des femmes congolaises pour nous permettre de gagner une paix durable et de reconstruire notre pays pour nos enfant et les générations futures..

 

Jeannot Kayuba

Légendes et crédits photo : 

1. Angèle Makombo Eboum 2. La présidente de la Lidec en compagnie des leaders de l'opposition congolaise