Afrique-France : Emmanuel Macron et le réveil de l’influence française sur le continent

Vendredi 29 Juillet 2022 - 15:35

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Réélu en avril, Emmanuel Macron veut faire de l'Afrique l'une des priorités de son second quinquennat, face à la concurrence de la Chine et de la Russie, mais en pariant sur le « soft power » plutôt que sur la politique ou le militaire, les outils traditionnels d'influence de la France.

Au premier jour de sa tournée africaine au Cameroun, au Bénin et en Guinée-Bissau (25-28 juillet), alors que le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov se trouvait également sur le continent, le chef de l’Etat français a déclaré : « Il nous appartient d'être meilleurs, plus efficaces ». Pour Emmanuel Macron, la France n’a pas le choix si elle veut continuer à conserver une certaine influence dans son ancien pré-carré, reconnaissant  que « nous [la France] sommes bousculés », et s’interrogeant « peut-être parce que nous nous étions endormis », ou alors que la Chine, l'Inde, la Russie, la Turquie ou l'Allemagne menaient l'offensive et prenaient une bonne partie des parts de marché. Au Cameroun, les deux cents  entreprises que compte la France ne pèsent plus qu'environ 10% de l'économie du pays contre 40% dans les années 1990. En effet, la perception de la France s’est brouillée. A cause du recul de la France, elle cesse d’apparaître comme une actrice du développement du pays. Claude Leroy, l’ancien entraîneur des Lions Indomptables, l’équipe nationale camerounaise, préconise que la France « joue un rôle de synthèse et de suggestion » auprès des pays africains.

Pour les chercheurs Ilaria Allegrozzi (Human Rights Watch) et Fabien Offner (Amnesty International), la France avait jusqu'à présent trop misé « sur le politique et le militaire ». Emmanuel Macron parie désormais sur la société civile et la jeunesse, avec lesquelles il entend parler culture, numérique, sports, environnement. Un collectif camerounais a invité le président français à reconnaître les « crimes de la France coloniale », annonçant la mise en place d’une commission d’historiens pour faire la lumière sur l’action de la France au Cameroun pendant la colonisation et après l'indépendance. Cette nouvelle méthode d’Emmanuel Macron est également testée dans la lutte contre le djihadisme au Sahel. Le président français a ainsi déclaré : « Nous ne lâcherons pas la sécurité du continent africain », avec la volonté de «  réinventer » le « dispositif militaire et sécuritaire », et soulignant : la France doit « être là de manière plus explicite encore à la demande des États africains, avec une demande claire et explicite, en étant plus présente sur les sujets de formation, d'équipements, en étant en appui des armées africaines pour les aider à monter en capacité et en articulant toujours notre dispositif avec la sécurité, la défense, la diplomatie et le développement ».

Une tournée sur fond de rivalité franco-russe

Invitant le président Paul Biya à condamner explicitement l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Emmanuel Macron a essuyé un non-recevoir, malgré sa dénonciation de la « présence hybride » de la Russie en Afrique, qui « passe par la désinformation et des milices, [et qui] est une préoccupation d’abord pour le continent africain », soulignant l’activisme de Moscou en Afrique, par l’intermédiaire du groupe de sécurité privée militaire Wagner, qui vient, selon lui, « en soutien soit aux pouvoirs politiques affaiblis qui ont mal à s’assumer soit à des juntes illégitimes », en Centrafrique et au Mali.  Sans attendre, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov,  qui se trouvait à Oyo, au Congo-Brazzaville, a appuyé que son pays allait « significativement accroître » son rôle en Afrique. Sergueï Lavrov et Emmanuel Macron se trouvaient tous les deux en tournée africaine.  Emmanuel Macron a aussi dénoncé « l’hypocrisie, en particulier sur le continent africain » qui refuse de reconnaitre clairement « une agression unilatérale [en Ukraine] parce qu’il y a des pressions diplomatiques ».

A Cotonou au Bénin, deuxième étape de sa tournée, le président français a continué à saper la Russie, la qualifiant d’être  « l'une des dernières puissances impériales coloniales » et de mener une nouvelle forme de « guerre hybride » dans le monde. « Je parle sur un continent [l'Afrique] qui a subi les impérialismes coloniaux », a-t-il souligné, mettant en garde les capitales africaines. Sergueï Lavrov a affirmé  que son pays n'était pas responsable des « crises de l'énergie et des denrées alimentaires ». Il a dénoncé « une campagne très bruyante autour de cela ». 

En Guinée-Bissau, dernière étape de sa tournée africaine, où il a rencontré son homologue Umaro Sissoco Embalo, également président en exercice de la Cédéao,  il a été notamment question de la sécurité au Sahel. Emmanuel Macron a  à nouveau dénoncé  « l'agression unilatérale caractérisée » de la Russie en Ukraine, alors que  Sergueï Lavrov fustigeait l'attitude des occidentaux. Emmanuel Macron a également évoqué une complicité « de fait » entre les dirigeants de la transition au Mali et le groupe russe Wagner qu’il a estimé inefficace pour lutter contre le terrorisme. « Force est de constater que les choix faits par la junte malienne aujourd'hui et sa complicité de fait avec la milice Wagner sont particulièrement inefficaces pour lutter contre le terrorisme ».

Sergueï Lavrov a appelé les pays en développement, notamment africains, à ne pas soutenir un monde régi par les États-Unis, les avertissant qu'ils pourraient être les prochains à subir les foudres américaines. « C'est à nous de décider si nous voulons un monde où un Occident […] totalement inféodé aux États-Unis […] estime qu'il a le droit de décider quand et comment promouvoir ses propres intérêts sans respecter le droit international ». Avant de conclure : « Nous traversons une période historique très importante. Une période où nous déciderons tous dans quel univers nous allons vivre, pour nos enfants et nos petits-enfants : un univers basé sur la charte des Nations unies […] ou un monde où domine le droit basé sur la force, la loi du plus fort ». Sergueï Lavrov était en Égypte, au Congo-Brazzaville et en Ouganda.

Noël Ndong

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