Culture : A quand des politiques culturelles viables en Afrique ?Vendredi 18 Septembre 2015 - 16:03 Ils sont musiciens, stylistes, plasticiens, débordent de créativité et refusent de porter un discours misérabiliste sur le continent. A Abidjan, Rokia Traoré, Laurence Chauvin et Pierre-Christophe Gam ont montré ce que pourrait être le rôle de la créativité africaine dans l’essor du continent. Insistant de fait, sur la nécessité pour chaque Etat d’avoir de véritables politiques culturelles. En Afrique, les artistes sont pour la plupart ceux qui ont réussi, là où les Etats ont échoué. La représentation de la créativité africaine dans le monde demeure à elle seule un marché aux potentiels importants. Mais, elle est encore très peu connue, évaluée et subventionnée à sa juste valeur intra muros. Cette situation a démontré, depuis 50 ans que les plus grands défenseurs de l’art contemporain africain par exemple sont des européens venus d’Europe, qui se sont pris de passion pour le travail des artistes africains vivants sur leur terre. La querelle entre le sculpteur Béninois Romulad Hazoume, 53 ans, et l’homme d’affaires d’origine congolaise Sindika Dokolo, 43 ans, illustre fortement le positionnement de certains artistes africains, longtemps laissés à leur propre sort au profit des seuls galeristes et collectionneurs d’arts occidentaux. Un rejet de la parole africaine est né. L’origine de ce malaise, rapporte Le Monde, remonte à l’époque où l’homme d’affaires a voulu racheter des œuvres de l’artiste directement à son atelier de Cotonou. Ce dernier lui a alors renvoyé aux galeries qui le représente à Paris, Londres et Genève. Et voici ce qui ressort de leur propos reconstitués par notre confrère du journal Le Monde : -Sindika : « Je trouve insupportable que des gens extérieurs au contexte de l’art contemporain africain en fixent la valeur. Je veux reprendre le contrôle du marché, dire ce qui est pertinent de ce qui ne l’est pas ». -Romuald Hazoumé : « Il veut contrôler qui, quoi ? Il se prend pour qui ? Il y a trente ans quand on mourrait de faim où étaient ces africains qui ont aujourd’hui une arrogance inouïe ? (…) dans les années 1980, j’ai croisé un certain André Magnin, curateur et marchand d’art, à Cotonou. Il est venu chez moi voir mes œuvres. Il dormait par terre ! Il était là, avec nous ! Il nous écoutait, il disait ce qu’il pensait du boulot et je me remettais en question. (…) Je voulais lui faire des rabais mais à chaque séjour, il triplait les prix d’achat de mes œuvres(…) ». Cette situation particulièrement déstabilisante, pourrait s’expliquer par le vide juridico structurel qui a longtemps existé dans l’espace culturel africain, du fait de l’absence de politiques culturelles nationales dans chaque Etat. Une problématique longuement indexée par les artistes réunis aux débats du Monde Afrique à Abidjan. En tenant compte des particularités du continent riche de 54 Etats, certains artistes estiment qu’il y a urgence pour les Africains de définir leur propre expérience. Aux oubliettes, le temps où l’Africain se définissait selon le regard de l’autre. En effet, il se crée avec importance, une forme de communauté de destin. Le monde a un désir d’Afrique. Venise, Arles, Paris, Londres, New-York. Pour Franck, « Il y a toute une mouvance qui permet aux artistes africains d’être beaucoup plus sollicités. On s’adresse à nous différemment. Nous commençons à rentrer dans le circuit économique de l’art ». Mais Laurence Chauvin, styliste et créatrice de la marque Laurence Airlines relève néanmoins que « c’est une évolution à deux vitesses et que l’on doit mettre un peu plus de distinction dans ce qui se fait » réellement. Dans le monde, les circuits économiques de l’art se bousculent, l’Afrique séduit. Ses énergies créatrices se libèrent et inspirent le monde, « mais l’africain ne profite pas encore de l’essor de sa culture. Nous n’avons pas ce qu’il faut pour véhiculer notre propre culture », note dans son intervention la chanteuse Rokia Traoré. « Une énergie qui suppose l’existence d’une politique culturelle où les gouvernements communiquent », ajoute-t-elle, expliquant qu’il est impératif pour les gouvernements de réfléchir à « comment faire pour donner à la masse les moyens de s’intéresser à la culture et comment faire pour que les lieux de consommation de la culture soient à la portée de la masse » sur le continent. Cependant, sur le terrain, la réalité démontre que très peu d’Africains ont accès à la chose artistique. Pourtant, l’Afrique qui excelle c’est surtout l’Afrique de la musique, la mode, l’architecture, la danse, l’art et d’autres domaines artistiques. Ainsi, les intervenants s’accordent sur le fait qu’il existe à tort sur le continent une forme d’élitisme de la chose culturelle, qui n’existe nulle part dans le monde. « Il faut arriver à une forme de réappropriation et une consommation par tous les Africains quels qu’ils soient ». Un discours qui renvoie à la nécessité pour les Etats en Afrique d’éduquer le peuple africain. Romuald Hazoumé disait à ce sujet : « allez demander aux enfants de Cotonou qui est Jean-Michel Basquiat, qui est Samuel Fosso. Ils le savent ! Le salut viendra de là et s’appuiera sur un grand nombre de personnes ». Dans ce contexte, l’urgence est claire: définir de véritables politiques culturelles dans nos Etats. Et, Rokia Traoré ne mâche pas ses mots. Dans une interview qu’elle nous a accordée, l’artiste qui s’apprête à annoncer la sortie de son prochain album, n’y va pas de main morte : « il faut qu’il y ait des politiques culturelles qui servent de cadre de travail aux ministres de la culture, aux artistes et aux dirigeants. C’est dans ce cadre-là que des promoteurs vont avoir droit à des rendez-vous avec des ministres ou leur cabinet ; le droit de déposer des demandes par rapport à tel budget parce que dans cette politique culturelle, on aura déterminé au préalable que le ministère de la culture a droit à telle somme, parce qu’il a des missions au sein de l’éducation et du développement. Bref, c’est ce qu’on appelle politique culturelle. Je ne vais pas leur apprendre leur métier ! Je ne suis pas ministre. Je n’ai pas envie d’être ministre. Je suis très bien là où je suis. Mais à un moment mon travail n’avance pas si eux ne font pas le leur. Et au niveau de la culture en Afrique, on se demande un peu ce qu’ils font ». Les politiques culturelles en Afrique ont souvent été au cœur des débats réunissant acteurs culturels africains lors des nombreux forums en Afrique et dans les Caraïbes. Elles sont reconnues par les dirigeants comme une étape majeure dans le développement des industries culturelles locales. Mais très peu de pays se lancent véritablement dans des actions concrètes sur le territoire pouvant favoriser la formation d’un écosystème nécessaire à la démocratisation de la culture. En somme, il est urgent d’aller au-delà des rendez-vous des bonnes intentions en exhumant les recommandations des états généraux de la culture, des masterclass et autres forums organisés pêle-mêle sur le continent et à l’extérieur. Ceci pour poser des actions sur le terrain, en faire écho pour asseoir le socle d’une nouvelle ère où la culture en Afrique deviendra une affaire populaire. L’urgence étant signalée, les politiques doivent jouer leur partition. Rendez-vous au résultat. Meryll Mezath Légendes et crédits photo :Créations du plasticien Pierre Christophe Gam; Crédit photo: DR Notification:Non |