Les Dépêches de Brazzaville : Le forum de Douala a été présenté comme une réflexion de haut niveau sur des questions financières en Afrique au sud du Sahara. Que peut-on retenir des analyses faites à cette occasion ?
Emmanuel Kamba : Les spécialistes venus de Suisse, de France, d’Angleterre, du Sénégal, du Mali, du Congo, du Gabon et du Cameroun ont saisi cette occasion pour livrer les résultats de leurs expériences sur la finance, la finance des marchés, l’ingénierie financière, les montages financiers et la monnaie dans notre région. Les réflexions ont tourné autour du thème « La surliquidité bancaire, l’épargne et le sous-financement du secteur privé : quels mécanismes et nouvelles techniques pour résoudre ce grand paradoxe de l’économie africaine ? » Nous en avons tiré des conclusions et fait des propositions en axant le regard sur neuf volets de ce grand thème.
Justement, on dit souvent que les mécanismes de financement de nos économies ne sont pas à la mesure des ambitions. Qu'en est-il ?
Les banques africaines au sud du Sahara et en particulier les banques de l’Afrique centrale, en dépit de leur surliquidité, ne peuvent pas financer et accompagner nos pays vers l’émergence économique parce qu’elles reçoivent en général des dépôts à court terme et ne peuvent financer des projets à long terme. Par exemple, environ 86% des actifs et passifs financiers sont gérés par les banques africaines. Cette situation est anormale. D’où la nécessité de trouver des solutions alternatives de financement en développant le marché à court terme (marché monétaire) et le marché à moyen et long termes (marché financier). On peut aussi développer des techniques alternatives en mettant en place des private equities (capital risque et capital d’investissement) pour financer des projets à risques ou des projets innovants.
Comment, de manière concrète, cette option pourrait se traduire sur le terrain ?
Les pays au sud du Sahara devraient notamment aller vers un capitalisme d’État en créant des fonds souverains qui serviront à financer le développement de nos pays et les emmener vers l’émergence, à l’instar des fonds souverains créés pays des pays comme la Norvège, la Chine, le Qatar, les Émirats arabes unis, l’Algérie ou la Libye et qui ont donné d’excellents résultats pour leurs économies. C’est pour cela que la création d’un fonds souverain au Congo est une très bonne initiative. Il sera un très bon instrument de politique économique pour notre État.
Pensez-vous que le fonds souverain en création au Congo permettra à tous les acteurs de l’économie, sans distinction, de trouver des financements pour leurs projets ?
C’est ce que nous espérons, en effet. Mais pour ce faire, il faudra aussi que nos banques s’adaptent aux acteurs de l’économie informelle pour leur financement. Car, au niveau des pays de la Cémac, environ 80% des acteurs économiques évoluent dans le secteur informel. Il est donc souhaitable de réinventer un modèle économique et financier africain adapté aux acteurs économiques de la sous-région. Il faudra aussi, par ailleurs, former des techniciens de pointe dans les métiers de la finance des marchés, l’ingénierie financière et les montages financiers structurés pour favoriser un plus grand accès aux financements. La maîtrise des métiers de la finance est très capitale pour nos États.
Nos pays attirent peu d’investisseurs internationaux. L’amélioration de l’environnement financier suffira-t-il, selon vous, à tout régler ?
Il sied de signaler que 60% des terres arables sur la planète Terre se trouvent en Afrique. Cela signifie qu'il y aura obligatoirement de la croissance en Afrique. Pour le cas de notre pays, la stabilité retrouvée depuis plus d’une décennie permettra aux investisseurs de tous bords de venir au Congo. Parce que la demande de financement en Afrique est largement supérieure à ce qui existe.
Vos travaux ont aussi porté sur les modèles islamiques. De quoi s’agit-il ?
Les produits financiers islamiques sont des solutions alternatives à la question de financement dans nos États. Il s’agit entre autres des mourabaha qui sont des contrats de vente et d’achat qui peuvent, par exemple, permettre de financer la construction d’infrastructures ou de logements à moindre coût et facilement accessibles. Les sukuk, qui sont des emprunts obligataires islamiques, sont aussi cités parmi ces produits.
Avez-vous aussi réfléchi aux questions morales, dans ce continent où la gouvernance est souvent un maillon faible de la chaîne de développement ?
Justement, les conclusions de Douala ont par exemple insisté sur la nécessité, en vue d’une évaluation de leurs capacités en matière de crédits, que les États, les grandes entreprises et les PME utilisent les services des agences de notation qui existent en Afrique. Il faudra aussi que les États construisent chacun un système national d’éthique dans le domaine des affaires.
Finalement, quelle suite sera donnée aux conclusions de vos travaux ?
La synthèse de toutes nos analyses, réflexions et propositions constituent une documentation importante qui sera remise à qui de droit, dans tous les pays concernés, pour servir les économies de notre région d’Afrique sub-saharienne.