Alexandre Gandou : « L’emprunt obligataire du FAGACE est une expérience unique dont il faut souhaiter le succès »Lundi 16 Juin 2014 - 18:12 Après le lancement, le 5 juin à Brazzaville, de l’emprunt obligataire par le FAGACE, l’ancien président de la Cosumaf a levé, dans une interview exclusive, quelques zones d’ombre sur cette opération. Alexandre Gandou pense que cette action mérite un soutien pour faire école dans le marché financier sous-régional Les Dépêches de Brazzaville : Deux opérations d’emprunt obligataire d’un montant global de 75 milliards FCFA se déroulent actuellement sur le marché financier de la Cémac Elles vont profiter respectivement au Fonds africain de garantie et de coopération économique (FAGACE) pour 40 milliards et à la Banque de développement des États de l’Afrique centrale (BDEAC) pour un montant de 35 milliards. Quelle est la portée de cette action ? Alexandre Gandou : Le marché financier de l’Afrique centrale va connaître au cours du premier semestre de l’année 2014 une animation de son compartiment obligataire grâce à la Société de Bourse « La Financière » qui a obtenu deux visas de la COSUMAF (Commission de Surveillance du Marché Financier de l’Afrique Centrale) l’autorisant à solliciter l’épargne régionale à travers ces deux opérations. La portée de cet événement est considérable en ce qu’il se produit au Congo par l’entremise d’une société de bourse privée de droit congolais, non adossée à une institution financière. C’est une expérience unique dont il faut souhaiter le succès pour qu’elle enseigne à d’autres émetteurs, privés ou publics, qu’il est possible de croire et de s’appuyer sur des compétences locales, pour moderniser nos modes de financement et assouvir nos ambitions de croissance. LDB : Outre la Financière, quels sont les différents intervenants sur cette opération de levée de capitaux ? AG : Selon la réglementation du marché financier, seul un intermédiaire en bourse, La Financière notamment, est habilitée à accompagner les entreprises publiques ou privées dans la recherche de nouvelles sources de financement, en organisant leur collecte sur le marché primaire. Ce rôle est fondamental et crucial, faute de quoi, le marché financier ne peut fonctionner. Dès lors, on comprend encore mieux l’apport de « La Financière » dans l’animation dudit marché financier de la Cémac. Mais, en dehors de la société de bourse, il existe d’autres intervenants parmi lesquels les émetteurs. Ce sont, en l’occurrence, toutes les entreprises privées ou publiques ainsi que les États et leurs démembrements. Ces agents économiques interviennent sur le marché primaire en proposant des obligations à l’achat. Ils peuvent aussi intervenir sur le marché secondaire en procédant au rachat de ces titres. LDB : Un rôle important semble être joué par les États dans l’animation du marché financier depuis quelques années. Les résultats sont-ils rassurants ? AG : Au début des années 2000, les États de la Cémac ont volontairement fait le choix de ne plus recourir au financement monétaire de leurs budgets qui consistaient à recevoir de la Banque des États de l’Afrique centrale, au titre des avances en compte courant, l’équivalent de 20% du total du budget de l’année écoulée. Et, sur le marché financier, ces États jouent pleinement leur rôle d’aiguillon en émettant des titres publics. Par exemple l’État du Gabon a été le premier à lancer avec succès une opération d’emprunt obligataire de 82 milliards en 2008. Aucun incident de paiement n’a été observé et aujourd’hui cette dette a été totalement remboursée. L’État du Tchad a sollicité le marché en deux occasions en émettant des emprunts obligataires d’un montant de 100 milliards en 2011 et 85 milliards en 2013. Les fonds ainsi levés ont eu pour objectif principal le développement de l’économie dans la vision du président Idriss Deby Itno qui veut une transformation du pays à l’horizon 2025, avec notamment la construction d’un centre d’affaires dans la capitale N’Djamena et, la création de plusieurs édifices modernes regroupés au sein d’une cité internationale des affaires au cœur de la ville. Enfin, l’État du Cameroun, quant à lui, a fait appel au marché financier régional de manière importante et récurrente. En décembre 2010, il a lancé un emprunt obligataire de 200 milliards pour une durée de cinq ans avec un rendement de 5,6% net par an. Cette première émission a été réalisée par voie de syndication à travers la Douala Stock Exchange et visait à répondre aux besoins infrastructurels et à développer et dynamiser le marché national et régional. LDB : Qu’en est-il des autres intervenants ? Quel est leur rôle dans cette opération de levée de capitaux ? AG : Précisons qu’il s’agit principalement des investisseurs institutionnels tels que les banques, caisses de retraite, caisses de dépôts de consignation et compagnies d’assurances. Lors du lancement des emprunts obligataires, sur le compartiment primaire du marché financier, ces intervenants souscrivent en achetant les titres. Et quand ils veulent retrouver leurs liquidités, ils transmettent des ordres de vente sur le marché secondaire dudit marché financier. Certains de ces acteurs assurent la liquidité du marché financier en se portant vendeur ou acheteur pour leur propre compte et contribuent de la sorte à l’animation du marché. Enfin, dans cette catégorie d’investisseurs, on trouve également les personnes physiques qui achètent les obligations sur le marché primaire et achètent et vendent des obligations sur le marché secondaire. La Bourse régionale des valeurs mobilières et la COSUMAF sont également des acteurs importants. La première étudie et décide de l’admission des sociétés à la cote et gère le système de cotation, puis diffuse les informations concernant les transactions. Quant à la COSUMAF, c’est le gendarme de la Bourse. Elle veille à la protection de l’épargne investie dans les instruments financiers et tout autre placement donnant lieu à l’appel public à l’épargne. Elle surveille le bon fonctionnement du marché financier. LDB : Pour lever ces capitaux, il a été fait appel à la technique de l’appel public à l’épargne. Quelles sont les formalités relatives à cette technique ? AG : La technique de l’appel public à l’épargne n’est rien d’autre que la recherche des capitaux par un émetteur en utilisant soit la publicité, soit en offrant ses titres (actions ou obligations) à des investisseurs au-delà d’un cercle d’une centaine d’investisseurs, soit en optant d’introduire ces titres financiers sur la cote officielle d’une bourse de valeurs mobilières. Dans chacune de ces hypothèses, on qualifie cette mobilisation des ressources, de technique d’appel public à l’épargne. Elle est très encadrée par l’autorité du marché financier pour protéger l’épargne. Cette autorité doit délivrer un visa en s’assurant que l’information financière soumise au marché financier pour le convaincre de lui faire confiance en mettant à sa disposition les capitaux demandés, que cette information-là est claire, sincère et de bonne qualité. Autrement dit, la principale formalité est donc la production d’un document d’information de l’émetteur décrivant son organisation, sa situation financière, son évolution ainsi que les motifs de cette opération financière. C’est en quelque sorte, le contrat moral entre le demandeur des capitaux et les offreurs des capitaux. LDB : Le FAGACE n’est-il pas un émetteur étranger peu connu des citoyens de la zone Cémac ? Son intervention ne va-t-elle pas provoquer une fuite des capitaux au profit des ressortissants de la zone UMOA ? AG : Le FAGACE dont le siège est à Cotonou, au Bénin, est un établissement public international à caractère économique et financier, doté d’un capital social de 350 milliards de FCFA. Le FAGACE a introduit auprès du régulateur régional (COSUMAF), par l’entremise de la société de bourse La Financière du Congo (LFC) une demande de levée de fonds d’un montant de 40 milliards FCFA. Les fonds ainsi collectés serviraient prioritairement et totalement aux opérateurs économiques de la zone Cémac. De plus, dans la géographie du capital du FAGACE figurent déjà quatre pays membres de la Cémac (le Congo, le Cameroun, le Tchad et la Centrafrique). Une démarche d’adhésion est actuellement conduite pour faire entrer les États du Gabon et de la Guinée Équatoriale dans le capital du FAGACE. Enfin le FAGACE, au moyen de son activité principale d’octroi de garantie à des opérations d’emprunt obligataire sur le marché financier de l’UMOA, a rendu possible le succès de la levée de fonds d’un montant global de 1.000 milliards FCFA. Au regard des arguments présentés, le FAGACE est un émetteur qui est en droit d’intervenir sur le marché régional. C’est ainsi que le Comité monétaire de l’UMAC a donné son accord pour qu’il soit autorisé à faire appel à l’épargne régionale pour assouvir son ambition de croissance. LDB : Cela dit, quels sont les avantages pour l’émetteur de recourir à ce type de financement ? AG : Sans se perdre dans des explications érudites et d’initiés, on peut d’ores et déjà dire que le recours à des emprunts obligataires permet d’accéder à des sources de financement complémentaires aux prêts bancaires classiques. De plus l’émetteur dispose de ces fonds sur une longue période et peut les rembourser d’une manière échelonnée. Au regard de l’avantage relatif à la levée des capitaux, on peut aujourd’hui donner raison aux chefs d’État de la Cémac qui s’étaient appuyés sur cette raison pour affirmer leur volonté politique de diversifier le secteur financier en le dotant d’un marché financier régional. Depuis sa création en 2003 et le lancement effectif de la première opération d’emprunt obligataire en 2007 par l’État du Gabon, le marché financier régional dans son ensemble a rendu possible une levée de capitaux qui se chiffre à près de 1000 milliards FCFA. Un deuxième avantage est l’obtention de la baisse des taux d’intérêt débiteurs. Les ressources financières mobilisées par le canal du marché financier n’ont pas coûté plus de 7%. Certains clients possédant une bonne signature ont trouvé des fonds à 4,75%. Enfin, la transparence, la notoriété, l’évaluation de l’entreprise sont les autres avantages attribués à la sollicitation du marché financier par emprunt obligataire. LDB : Quelles sont, en dépit de tous ces avantages, les limites auxquelles le financement des investissements par emprunts obligataires pourrait se confronter dans la zone Cémac que vous connaissez si bien ? AG : Le développement du marché financier à travers un accroissement des emprunts obligataires va être confronté à un ensemble de contraintes. Sans les citer toutes, je pourrais évoquer l’insuffisante culture financière des investisseurs potentiels, due elle-même à une faible communication. Le développement d’un marché financier passe nécessairement par la compréhension par les investisseurs et les émetteurs de l’ensemble de ses mécanismes et de ses avantages. Leur méconnaissance est un facteur de blocage. La coexistence des deux places boursières dans la zone Cémac implique aussi des contraintes qui freinent sérieusement le développement du marché financier régional. De même que l’inexistence d’une courbe de rendement. L’examen de taux d’intérêt sur le marché financier régional montre une insuffisante hiérarchisation des coupons, des durées qui soient établies en fonction du risque et de la qualité des signatures. Cette situation montre l’absence d’un taux d’intérêt de référence qui servirait de « benchmark » pour former les autres taux d’intérêts. En outre, on constate une inadéquation entre la maturité des emprunts obligatoires (3 à 7 ans) et la rentabilité des projets d’infrastructures (10 ans et plus). Beaucoup de contraintes répertoriées trouveront une solution, si l’on met en place un marché financier régional véritablement intégré, comme le proclame la volonté d’intégration maintes fois réaffirmée par les chefs d’État de la Cémac. Propos recueillis par Thierry Noungou et Rock Ngassakys Légendes et crédits photo :Photo : Alexandre Gandou, ancien président de Commission de surveillance du marché financier de l’Afrique centrale.
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