Evocation : Jarria, une idylle à Pointe-Noire

Jeudi 5 Mars 2020 - 21:54

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Jarria, nzembo mwana Ponton,

 

Mama alingi yo mingi, Bernadette

 

Les premiers vers de la chanson « Jarria » donnaient le ton et la cadence d’une mélodie qui rentra dans l’histoire musicale des deux Congo comme l’une des plus belles évocations amoureuses du début des années 70.

Nous sommes en 1971, à Pointe-Noire, la ville aux yeux rivés sur le vaste océan. En cette journée du 14 avril, le vent qui le fait frémir d’une douce sensation ne vient pas de l’Atlantique. Pointe-Noire est à l’heure des « Grands Maquisards », une bande de quinze copains kinois qui viennent de débarquer à son aéroport pour la conquérir.

Au carrefour des années 60 et 70, Pointe-Noire vivait déjà au rythme de l’explosion musicale qui, outre-Mayombe, ravageait Kinshasa, Brazzaville et toute l’Afrique centrale. En effet, alors que le Grand Maître Luambo Franco de Mi Amor, retrouvait une seconde jeunesse avec le concours du compositeur Lutumba Simarro et du chanteur Sam Mangwana, alors que le Seigneur Ley, plus que jamais debout enchantait ses fans enchaînant succès sur succès, des airs jusque-là inconnus s’infiltrèrent subitement aux oreilles des mélomanes, emportant sur leur passage le plébiscite de la jeunesse. Bella-Bella des frères Emile et Maxime Soki (qui deviendront Soki Vangu et Soki Dianzenza), Pépé Kallé à la voix inimitable, Mando Negro Kwalakwa de Fidel Zizi, Lipua Lipua de Canta Niboma, un chanteur à la voix éclatée reconnaissable au milieu de mille voix, et, bien sûr « Les Grands Maquisards » de Dalients, un garçon à la voix chaleureuse, émotionnelle, imposent une nouvelle démarche musicale qui singularisera cette époque. Plus tard, des chroniqueurs reconnaîtront que cette première vague musicale préparait, en haute mer, la lame de fond d’Evoloko qui, emportant tout sur son passage, renouvèlera la musique congolaise.

L’arrivée à Pointe-Noire des Grands-Maquisards avait été balisée par la sortie, l’année précédente, de leurs 33 tours. Avec des chansons comme Maria Mboka, Dellya, Nsonia, Obotami mobali ndima passi etc, le coup d’essai était passé coup de maître. « A Pointe-Noire » écrit Jean-Claude Gakosso dans son livre-hommage à Ntesa Dalients, « ils jouèrent aux endroits les plus chics de la ville comme la plage et la Grande Poste. Prise par une sorte de maquisardmania, la ville entière accourut au stade municipal admirer les jeunes stars ! Jamais auparavant, orchestre n’avait drainé dans la ville océane des foules aussi nombreuses ».

Dans la foule des fans qui se pressaient pour voir et écouter les jeunes de Kinshasa se détachait une jeune pontenégrine dont le visage incandescent brûlera le cœur de la star Dalients. Cette demoiselle s’appelait Jarria. Jarria Demba, fille d’un ancien combattant était née métisse de gauloise et de bantou. Elle vivait au quartier Roy dans le secteur de l’école Ma-Loango. Elève en classe de 4e au collège Monseigneur Carrie, Jarria et ses amies étaient tous yeux pour un de leur enseignant, un Don Juan au visage d’ange appelé Ibara. Celui-ci, redoutable séducteur, venait d’arriver dans ce collège et était professeur de géologie. Des bruits couraient le collège autour de Jarria et Ibara.

L’entrée en lice du chanteur bouleversa la donne. Au marché central de Pointe-Noire, sur l’avenue qui mène à Foucks, à quelques encablures de la mairie de l’arrondissement 1 Lumumba, le bar « Le village » était une attraction indiquée parmi les lieux mondains de Pointe-Noire. C’est là que la star Dalients et la nymphe Jarria, rayonnants d’amour se retrouvaient et, les yeux dans les yeux, buvaient l’instant ineffable, du bonheur d’être aimé. De cette relation amoureuse, Jean-Claude Gakosso écrira « Jarria était apparue comme la mystérieuse Mamiwata, cette insaisissable femme-poisson qui hante les flots aquatiques, à l’heure où le crépuscule est tout argenté. Un ami de l’artiste prétend que celui-ci voulut alors tout abandonner pour se consacrer à ce qu’il avait cru être l’amour de sa vie. »

Quand Dalienst repris ses quartiers sur les rives du pool Malébo, à Kinshasa, Jarria, la nymphe océanique s’envola le rejoindre. Puis, ce fut la chanson éponyme « Jarria » où la star donnera à toute la terre, la mesure insondable de son amour pour la fée de Pointe-Noire.

Que c’était jeunesse ! A vingt-cinq ans, Daniel Ntesa « Dalients » avait su trouver des mots justes qui enflammèrent le cœur de la belle Demba Jarria. Des mots, des regards, des rires, de la joie…

Les jours de Kinshasa parurent un ton moins étincelant que ceux de la ville océane. Elle se rappelait de Pointe-Noire, et, Pointe-Noire, la rappela à ses gaités. Mais, déjà, elle était, à la face du monde, une héroïne de l’amour.

 

François-Ikkiya Onday-Akiéra

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