Evocation : Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (12)

Vendredi 30 Avril 2021 - 12:47

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12 Querelle au ruisseau

 

Il ne put en dire plus. Mwakoumba ne l’écoutait plus. Tout ce qu’elle savait du complot contre la petite orpheline venait de se dévoiler en plein jour. Seule la scène de crime changeait de décor.

Cependant, malgré l’indignation qui montait en elle, Mwakoumba avait surpris dans l’exposé de Kololo des séquences qui ne justifiaient pas l’urgence de la requête dont il était le porteur. En effet, pourquoi sa mère Tsama, bien que mouillée dans le complot, avait-elle préféré envoyer des émissaires, négocier la captivité de l’orpheline, alors que sa mère savait son opposition de principe à ce type de forfait. Jadis Mwakoumba vécut dans la peur, horrifiée par la disparition forcée de sa camarade de jeu et cousine Mwelenga. Rien, apparemment, ne semblait justifier le changement du scénario nocturne de l’enlèvement de Mwana Okwèmet parce que ce plan, en apparence, soumis à l’examen de tout le monde, mettait hors d’accusation de complicité de disparition forcée la maison d’Elion Mbossa. Mwakoumba savait d’autre part qu’Etou, le geôlier de sa sœur, était lié au respect de la parole donnée : il ne se débarrassera pas de sa prisonnière avant la date prévue : or, il restait encore cinq jours sur le calendrier lunaire. C’est l’amenuisement des jours de ce calendrier qui avait fait craindre à Tsama amba Dimi la perte d’Apila et l’avait jeté dans le complot contre la fille d’Obambé Mboundjè. A l’approche du marché forain de Lessanga, Etou ne s’était pas manifesté. Il était étonnant, dans ces conditions, constata Mwakoumba que, Ngatsè Kololo mit dans la balance la liberté d’Apila en évoquant tout le désagrément qu’elle subirait si jamais, elle, Mwakoumba ne s’exécutait pas. Ce qu’elle avait entendu paraissait plus tenir d’un chantage fondé sur un schéma mensonger que du résultat d’une concertation entre sa mère, sa tante et les deux complices qui se tenaient devant elle.   Mwakoumba savait aussi que ses parentes avaient encaissé l’argent de la transaction. Elle pensa que c’est certainement, à cause de cet encaissement que les acolytes d’Olomi a’Ngongo l’avaient suivie au ruisseau en usant de mensonge pour l’engager à leur donner Mwana Okwèmet. Elle émergea de ses réflexions et affronta les deux hommes. Son visage affichait une indignation provoquée par l’horreur de l’indécente proposition. Quand elle ouvrit la bouche, ce fut pour crier son dégoût :

  • Allez-vous-en, sinon j’appelle au secours !

Les deux hommes se retournèrent du côté du village, embrassèrent le vide et revinrent poser le regard sur le visage qui écumait de colère. Ngatsè Kololo hasarda une menace de sa voix traînante :

  • Tant pis pour votre sœur, demain elle sera au-delà du fleuve, vous ne la reverrez plus jamais !

Mwakoumba voulut dire « vous mentez ! ». Elle entendit sa bouche prononcer une nouvelle fois avec la même rage :

  • Allez-vous-en partez d’ici ! Je suis au courant de vos manigances. Tout à l’heure quand le soleil était au-dessus de nos têtes, j’étais couchée dans la case et j’ai tout entendu. Prenez garde ! Un de ces jours, Ibara E’Guéndé sera dans nos murs. Sa colère sera telle qu’il ne vous vendra pas, il vous écorchera vif, il vous mettra en morceaux. Quant à ma sœur, sa liberté ne dépend pas de votre argent. Laissez-la tranquille. Allez-vous-en !

Elle avait parlé à haute voix, presque en criant de colère. Celui qui répondait au nom de Ngatsè Kololo répondit :

  • Détrompez-vous E’Guéndé et son damné père sont sous la terre. Les Falatchais ont tanné leurs peaux, ils ne viendront plus jamais parader ici. Donnez-nous l’enfant de Mboundjè, c’est notre droit, on nous l’a vendu !

Mwakoumba n’en démordit pas.

  • La famille maternelle d’E’Guéndé vit au quartier Emboli, là où se tiendra la manifestation Embonga ce soir, avez-vous trouvé des signes de deuil là-bas ? Mwana Okwèmet est ma fille, j’ai en horreur le commerce des personnes qui constitue votre gagne pain ; je ne vous la donnerai jamais ! Méfiez-vous, un de ces jours, E’Guendé vous convoiera les membres encombrés de carcans au-delà du fleuve.

Les deux hommes étaient pris à leur propre jeu. Leur requête était dans l’impasse. Ils pensaient émouvoir Mwakoumba, s’emparer de Mwana Okwèmet mais, avaient buté sur une personne qui leur criait son horreur d’accomplir le geste qu’ils attendaient.

Les deux complices se regardèrent interloqués. Ils étaient désarmés. Sans le consentement de Mwakoumba, ils ne pouvaient pas emmener leur victime. En effet, la société mbochie n’était pas à une contradiction près, à l’entrée du 20e  siècle. L’esclavage, le déracinement et la transplantation des personnes étaient légales et légitimes mais le rapt, l’enlèvement des personnes était illégal et considéré comme une activité criminelle qui exposait son auteur à des représailles. Or, en dehors des cas d’insolvabilité, et de crime de sang légitimes aux yeux de la population pour justifier d’un déracinement, la filière esclavagiste était souvent alimentée par des disparitions forcées

 de personnes que les prédateurs enlevaient. Le mode opératoire puisait son jeu dans l’hypocrisie ambiante de la société et consistait souvent à profiter de la bonté ou de la naïveté de la future victime. Comme dans le cas de Mwana Okwèmet et Kololo, le prédateur proposait à sa victime de l’accompagner ou d’accompagner des visiteurs, ou de lui donner un coup de main dans un bois non loin du village. Le piège se refermait rapidement : des complices armés de carcans étaient toujours à l’affût.

Mwakoumba savait que Kololo et son complice ne pouvaient pas l’agresser devant ses enfants, ni s’emparer de force de Mwana Okwèmet sans se faire lyncher.

Elle tourna le dos aux deux individus, ordonna aux enfants de terminer leur bain, cependant qu’elle s’occupait du bébé accroché à son flanc. A cette heure où l’après-midi donnait des signes d’essoufflement, d’autres baigneurs allaient affluer et rendre intenable la présence de Kololo et son compagnon.

Son plan d’exfiltration de Mwana Okwèmet vers Mbey Ongwala était remis en cause. Elle constata, ironie du sort, qu’elle avait espéré exfiltrer la gamine vers Mbey Ongwala en empruntant la même voie qui figurait dans le plan des deux malfaiteurs. Elle finit par prendre l’échec de cette exfiltration du bon côté : il lui donnait l’occasion de dire à sa mère, et à sa tante, face à face, tout le mal qu’elle pensait de la trahison dont elles s’étaient rendues coupables. Comment avaient-elle osé planifier un crime aussi noir contre cette pauvre enfant, si douce, si agréable et dont la fragile mobilité dans l’espace était le symbole de l’innocence humaine. En attendant de ramener l’orpheline à Bèlet, elle devait la protéger en mettant en garde sa famille, et en aidant ses parents à jeter bas le masque d’hypocrisie qu’ils portaient et expliquait  leurs divers excès. (à suivre)

 

 

 

 

Ikkia Ondai Akiera

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