Interview. Astrid Matron : « Je crois avoir appris la patience et à être confiante »

Samedi 16 Septembre 2023 - 18:15

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Dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, la deuxième directrice du bureau de liaison du Goethe Institut à Kinshasa depuis son ouverture dresse le bilan de ses cinq années de mandat arrivées à leur terme à cette mi-septembre. Elle fait état des résultats, de l’expérience acquise à la suite de l’appui assuré à plusieurs acteurs de la scène artistique qu’elle qualifie de très vibrante et vivante après l'avoir côtoyée de près depuis 2018.

Dr. Astrid Matron, Directrice Bureau de liaison  Goethe-Institut Kinshasa/DRLe Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Quel bilan faites-vous de vos cinq ans d’exercice comme directrice du bureau de liaison du Goethe Institut  ?

Astrid Matron (A.M.) : Quand je suis arrivée, je dois avouer que je ne savais pas grand-chose sur le Congo ou sur Kinshasa. Ainsi, la première année était un temps d’apprentissage où j’ai rencontré beaucoup d’artistes et d’acteurs culturels de la scène locale ici. J’ai remarqué après un certain temps qu’il y avait un besoin de formation dans presque tous les domaines et de renforcer certaines capacités particulières et connaissances dans divers domaines. C’est ainsi que j’ai fait un focus sur la formation spéciale des jeunes artistes dans les disciplines spécifiques comme le cinéma. C’est un secteur très vivant ici mais il n’y a pas une industrie de cinéma, pas de formation à la régulière du genre d’une école de cinéma. C’est en discutant avec la scène artistique que nous avons identifié les besoins réels afin de trouver des formateurs ou experts capables de donner des formations, des ateliers sur certains thèmes. Je l’ai fait dans diverses disciplines, notamment les arts visuels, en donnant lieu à la collaboration avec l’Académie des beaux-arts en photographie avec le soutien de la Délégation de l’Union européenne à Kinshasa.

Mais aussi dans le domaine du digital, nous avons collaboré avec des partenaires d’ici et de l’extérieur. Tout cela a été réalisé dans l’objectif de répondre à un besoin de la scène locale, communiquer avec elle sur les besoins réels afin de renforcer les capacités des uns et des autres. En même temps, comme institution, nous avions le devoir de favoriser les échanges culturels. Autant que possible, nous avons essayé d’offrir des contacts avec l’Europe, l’Allemagne en particulier. Favoriser des rencontres d’artistes d’ici et d’Allemagne, faire voyager les uns vers les autres pour des résidences, ateliers, échanges pour établir un réseau international. En exercice, j’ai été témoin des expériences qui ont très bien fonctionné. Notre bureau étant assez petit, nous n’avons pas de gros budgets mais j’ai vu des projets commencer timidement et réussir au fil des ans avec des contacts, asseoir un réseau avec des artistes et acteurs culturels internationaux. La chose la plus satisfaisante pour moi c’est de voir artistes et acteurs culturels progresser et trouver leur voie sur la scène et le domaine de la culture.

L.C.K. : Le bureau de liaison du Goethe Institut n’est pas à proprement parler un centre culturel. Quelle est la différence entre les deux  ?

A.M. : Ce n’est pas un centre culturel mais plutôt une institution d’échange et d’appui mais aussi le Goethe Institut n’est pas une institution de l’Etat allemand. Mais nous en recevons le soutien tout le temps comme une organisation indépendante. C’est toujours dans le but de soutenir les échanges culturels entre notre nation et celle où nous sommes basés en offrant une image de l’Allemagne contemporaine qui n’a pas une culture claire, définie mais plutôt diversifiée. Une diversité qu’il est toujours important de manifester autant que les valeurs de cette culture. Ainsi, nous les intégrons toujours dans les projets et collaborations que nous avons.

L.C.K. : Existe-t-il un projet tout à fait particulier initié lors de votre mandat qui a exploré de nouvelles pistes et offert des opportunités tout à fait nouvelles  ?

A.M. : Je peux en mentionner deux ou trois, bien que j’aie collaboré avec plusieurs. Dans le domaine des arts visuels, il y a le projet « Laboratoire Kontempo » que j’ai vu naître et j’ai accompagné dès le début pendant quatre ans sur l’art contemporain. Il est assez particulier parce que ses initiateurs essaient de trouver une alternative pour le discours de l’art contemporain dominé par l’Occident. Ils tentent de trouver d’autres façons d’en parler au Congo sans les termes déjà définis par l’Occident. C’est aussi un projet très intéressant pour notre institution, consciente de cet aspect et surtout de la responsabilité de travailler sur l’histoire coloniale dans le continent. Trouver les voies de faire avec le passé mais bien plus comment bâtir un avenir ensemble. Ce projet exige de trouver de nouveaux termes, d’établir de nouvelles discussions et de nouveaux discours, trouver une autre balance entre l’Occident et l’Afrique, c’est très nécessaire.

Ce projet a grandi avec le temps, et c’était un plaisir d’y voir s’améliorer les échanges entre l’Allemagne et le Congo. Notre collaboration avec l’Académie des beaux-arts a été fructueuse, nous l’avons accompagné pendant plusieurs années pour l’installation du département photographie. Jusqu’en 2019, il n’y avait pas de formation structurée, officielle mais avec le soutien de la Délégation de l’Union européenne, c’est fait. Depuis, plusieurs experts internationaux viennent y offrir séminaires, ateliers et formations aux enseignants locaux de sorte que dans quelques années ils puissent gérer ce département. L’évolution a été manifeste avec au début des petites master-class organisées avec des petits groupes d’étudiants pendant deux ans. L’Académie a réussi à faire accréditer le département au bout de quelques années avec un curriculum et une structure très stable, nous avons apporté notre appui aussi avec les matériels. Il y a désormais un futur pour le département photographie et pour les jeunes enseignants en apprentissage. Il y a aussi le Festival international du cinéma de Kinshasa qui existait déjà avant mon arrivée mais que j’ai vu évoluer pendant cinq ans, il a établi un plus grand réseau dans la région et à l’international. Et j’ai aussi assisté au passage du flambeau aux jeunes par l’équipe du début qui a beaucoup d’initiatives pour bien faire les choses. C’était un plaisir d’accompagner ce festival qui est vraiment en contact avec la scène du cinéma et est engagé à travailler avec les jeunes.

L.C.K. : Impossible de faire l’impasse sur la période Covid, comment y avez-vous fait face  ?

A.M. : C’était une période très difficile pour tout le monde, un peu comme presque dans tous les pays, les restrictions n’ont pas permis d’organiser des événements, impossible de voyager. Et à ce moment-là, comme je n’étais pas au pays, c’était difficile de gérer les choses au loin. C’était franchement frustrant car les événements ne pouvaient plus se tenir en présentiel, il fallait trouver les moyens de continuer à soutenir la scène surtout qu’il n’y a pas une infrastructure numérique optimale, c’était difficile de réaliser des événements hybrides ou digitaux. Il fallait trouver des alternatives, il n’y avait pas trop d’espace pour laisser libre cours à la création. Cette période où il n’y avait plus d’occasion de rencontres où se parler de vive voix, de se voir a eu des conséquences ici tout comme en Allemagne. Cela nous a privés de connexion sociale. Et maintenant, même après la pandémie, j’ai l’impression que l’atmosphère est un peu lourde, même si il n’y a plus de restrictions, il y a de nouveau des événements, des expositions, fêtes, etc., ce n’est plus pareil qu’avant. C’est plus calme comme si tout le monde avait sorti trop d’énergie en cette période-là et est en phase de rétablissement. Cela a beaucoup changé le monde culturel.

L.C.K. : La République démocratique du Congo était votre première expérience africaine. Quels étaient les grandes difficultés rencontrées dans l’ensemble  ?

A.M. : S’il faut tenir compte des différences, il y a le fait que beaucoup de choses sont plus difficiles ici de manière pratique. Il fallait faire face à des problèmes d’électricité, d’espace adéquat ou de pluie qui oblige de tout arrêter. Il fallait souvent improviser. Les Allemands sont réputés pour le sens poussé de l’organisation, très bureaucrates et faire fonctionner une institution allemande dans un lieu où tout ne marche pas vraiment de cette manière c’était un défi. Ce que j’ai appris ici c’est d’être confiant qu’à la fin tout irait, que mes collaborateurs trouveraient le moyen de réaliser les choses. Au début, c’était difficile d’être sereine car j’avais beau planifier, tout régler une semaine à l’avance mais tout n’était pas prêt. Je crois avoir appris la patience et à être confiante qu’au bout du compte il y aura des résultats. Les gens ont beaucoup d’énergie et sont disposés à travailler même si les défis sont importants. C’était toujours impressionnant de voir comment ils mettaient toute leur énergie à exécuter les projets, même si cela semblait impossible, il était toujours possible de réaliser quelque chose.

L.C.K. : Un regret face à une épine qui l’est restée sur les cinq ans d’exercice  ?

A.M. : Ce n’est pas vraiment relié au Congo, à Kinshasa, mais plutôt aux conditions de notre institution. Nous n’avons pas encore un statut clair de sorte que je n’avais pas la liberté d’employer du personnel. Je travaillais avec des prestataires mais je ne pouvais pas employer sur du long terme et nous ne pouvons pas offrir de cours de langue allemande alors que le Goethe Institut les offre dans presque tous les pays où nous sommes présents. Il y a certaines restrictions administratives à cause de ce manque de statut, il y a un certain seuil que je ne pouvais pas dépasser, cela était frustrant. Je voyais le potentiel et les possibilités mais sans avoir vraiment les capacités d’organiser et de faire de plus grandes choses. Nous avons tenté pendant ces années de bouger les lignes mais c’est un processus très compliqué entre les gouvernements des deux pays. Ce n’est pas une question que moi je peux soulever, il faut du temps, écrire des dossiers et discuter et cela prend du temps. A cause de cette situation, je n’ai pas pu agir quelquefois comme je le voulais.

L.C.K. : Un mot pour décrire la scène artistique kinoise, congolaise  ?

A.M. : Energie, je crois que c’est le mot car tout est très vibrant et vivant.

 

Propos recueillis par Nioni Masela

 

 

 

 

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Dr Astrid Matron, directrice du bureau de liaison Goethe-Institut Kinshasa/DR

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