Interview. Barbara Kanam : «Je pense que je réponds à une demande»

Les Dépêches de Brazzaville : Il y a près de sept ans, vous débarquiez à Kinshasa avec l’ambition de la conquérir. Êtes-vous parvenue à vos fins ?

Barbara Kanam  : Je m’en souviens comme si c’était hier. Oui, j’avais ce souci car j’avais l’impression que j’avais une certaine reconnaissance à l’extérieur et pas forcément à Kinshasa, en tout cas pas au Congo. Je crois qu’aujourd’hui après que les années sont passées, avec tous les trophées, toutes les récompenses et tout ce que j’ai pu réaliser à Kinshasa, cela nous permet de faire un bilan. Et donc, oui, quelque part, je pense que j’ai atteint une partie de mes objectifs parce que j’en ai encore beaucoup. Et je crois que le public congolais, des deux Congo d’ailleurs, parce que nous sommes un même peuple, a finalement compris ce que j’avais envie de faire comprendre comme message, ce que j’avais envie de montrer, de donner. Et surtout, je ne dis pas que j’ai la baguette magique, mais j’avais envie de montrer une autre image de l’artiste congolaise mais aussi de la femme congolaise tout simplement. Et je suis très heureuse parce que beaucoup de femmes me disent : « On se retrouve en toi, on se reconnaît en toi ». Cela me fait énormément plaisir d’avoir su être quelque part comme une forme de référence surtout pour les jeunes filles qui se demandent si elles peuvent y arriver. Oui, le rêve peut devenir réalité.

LDB : Après l’album Karibu qui a servi à mieux vous introduire à Kinshasa, il y a maintenant Zawadi. Comment est-il accueilli par les mélomanes ?

BK. : Karibu était sorti sous mon label. J’avais déjà deux albums qui avaient été produits par Koné Dodo, d’où les gens avaient l’impression que j’étais Ivoirienne. Mais c’est parce que j’ai débuté ma carrière en Côte d’Ivoire bien que j’ai eue à passer toute mon enfance ici au Congo. Karibu a été un défi, celui de créer mon label et de me produire. Et puis maintenant, il y a Zawadi. C’est un album un peu plus abouti parce que j’ai mûri aussi avec le temps. J’ai pu réajuster le tir, voir ce que je n’ai pas bien fait, ce que je dois mieux faire. Je pense que la vie aujourd’hui, en écoutant les autres, en voyant ce qui se fait autour de moi et les expériences que j’ai vécues personnellement m’ont permis justement de faire l’album Zawadi qui signifie cadeau en swahili. C’est le cadeau que j’avais envie de donner à tous mes fans, à tous les amateurs de bonne musique, à toutes les femmes, à toute l’Afrique, au monde, je dirais. Préciser que mon cadeau, c’est ma voix, mes messages, l’amour que j’ai à vous transmettre, le bonheur et surtout l’espoir pour ce continent.  

LDB : Zawadi comporte un titre assez particulier, la fameuse Danse du président. Quel message voulez-vous faire passer à travers cette chanson  ?

BK : (Gros rires) C’était une nouvelle expérience pour moi. C’est vrai qu’il y avait eu Bibi Madeleine qui était déjà très dansant, Réponds-moi également, mais je pense qu’avec La danse du président, on est beaucoup plus dans le ndombolo. De la vraie kinoiserie, la musique de chez nous, c’est plus du seben. J’ai travaillé avec mon orchestre, Kanam Music avec qui je tourne depuis plus de six ans. Nous avons tourné dans beaucoup de pays africains et La danse du président, ça veut tout dire. C’est vrai que le titre est assez singulier, La danse du président ? Est-ce que les président dansent ?, se sont demandés certains… Comment dansent-ils ? Je crois que oui. Ils restent des êtres humains. Et, au-delà du fait que je voulais dire : « Les présidents ont aussi le droit de danser, de vivre leur vie ». J’avais surtout envie de souligner que chacun de nous à son niveau doit être responsable parce qu'être président, cela veut dire que l’on a une responsabilité. Des gens à diriger, des choses à accomplir et c’est ce que nous devons avoir à l’esprit. J’ai l’impression qu’on a tendance à décliner notre responsabilité et dire que si ça ne va pas, ce n’est pas nous, c’est les autres. Je voudrais que chacun de nous aie une attitude présidentielle, c’est-à-dire, une attitude de responsable où il assume, fait des choix et travaille. Moi, je voudrais que les hommes autant que les femmes se montrent responsables surtout dans nos deux pays. Je crois qu’au Congo-Kinshasa et au Congo-Brazza, il est temps que l’on se prenne en main et que l’on arrête d’incriminer les autres. Car, comme le dit Alpha Blondy, le problème des Africains, c’est les Africains eux-mêmes, finalement. Le message que véhicule La danse du président c’est beaucoup plus de se prendre en main. Il faut se tenir debout, il faut travailler et puis il faut foncer parce que demain, on peut tout à fait devenir président de sa boîte, sa société, sa famille, de sa vie, finalement. C’est se prendre en main, se prendre en charge.

LDB : Barbara Kanam est à présent très sollicitée pour divers projets. À quoi est dû cet intérêt qu’elle suscite subitement ?

BK : Je pense que je réponds à une demande. La République démocratique du Congo est un sous-continent, un pays dont la culture est très vaste, très riche et vraiment diversifiée. On a toujours eu l’impression que la musique s’arrêtait à Kinshasa, qu’il y avait juste un seul rythme parce qu’on a toujours eu des têtes d’affiche. Et c’est très masculin d’ailleurs, car être à Kinshasa et se dire je suis une femme, je m’impose comme nos aînées Tshala Mwana et Mbilia Bel, ce n’est pas du tout évident. C’est pour cela que j’ai beaucoup d’admiration pour elles. Donc, j’ai un public qui aime ce que je fais. Cette diversité dont j’ai fait aussi mon originalité. Dans Barbara, on retrouve un peu de musique du Katanga, de l’Est, un peu du Kongo central, j’ai essayé d’être un peu comme celle qui représente toute la nation. C’est un peu prétentieux de le dire. Est-ce que j’en ai les capacités ? Mais c’est parce que j’aime mon pays, je suis très patriote et fière de mes origines, de mes racines, mon identité et j’ai envie qu’on la retrouve dans ma musique. Je veux qu’elle parle et touche mais soit à la fois une musique très simple avec des refrains simples. Ce, quand je chante la vie ou j’aborde aussi des sujets comme Les voix du silence où je parle de la douleur de ces enfants, ces femmes qui ont vécu des drames dans l’est de la RDC.

C’est des choses dont il faut aussi pouvoir parler et ne pas penser que la musique n’est faite que pour être dansée. On aime plutôt tout ce qui nous emmène un peu vers l’érotisme, c’est une réalité mais la musique peut aussi permettre de faire passer des messages forts. Je pense que l’éducation, la scolarisation des enfants est essentiel. Et on retrouve cela dans un titre comme Viva del Congo où je parle de l’histoire du Congo. J’y ai parlé de Kimpa Vita, de Maman Onema, une femme qui s’est battue pour l’indépendance du pays mais méconnue, de Rwej, l’impératrice de l’Empire Lunda que l’on ne connaît pas. Je suis Lunda de par mon père et j’ai relaté l’histoire des Lunda en chantant. Zawadi est un album où je parle de mon pays mais aussi de mon histoire de femme. De mes peines, de mes échecs mais de mes joies aussi car la vie est faite des hauts et des bas. Mais ce qui est primordial, important, ce que chacun de nous doit garder à cœur, c’est l’espoir, la dignité et finalement nos valeurs.

Propos recueillis par