Interview. Fabrizio Cassol : « Un travail unique qui n’a jamais été fait de cette façon »

Lundi 17 Février 2014 - 15:58

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Une répétition publique de Coup fatal avait eu lieu le 8 février sous la Petite Halle de l’Institut français. Les 13 musiciens kinois qui y travaillent autour du contre-ténor Serge Kakudji devront se remettre à l’ouvrage pendant les cinq semaines de travail, à dater de la mi-avril, pour peaufiner le spectacle encore en cours de création dans sa phase musicale. La grande première est prévue pour  le 10 juin à Vienne comme nous le dit dans cette inttretien Fabrizio Cassol, chargé de la direction musicale, assisté par Rodriguez Vangama.

Fabrizo CassolLes Dépêches de Brazzaville : Pourrions-nous savoir qui est Fabrizio Cassol  ?

Fabrizio Cassol  : Je suis musicien, saxophoniste. Je travaille dans le projet Coup fatal depuis quelques années en vue de le présenter d’abord en Europe, puis dans le monde de façon plus large, à Kinshasa y compris en début octobre. Je suis le directeur musical de Coup fatal, celui qui constitue les arrangements, enrichi les compositions. Je prépare le groupe à ce que signifie une tournée comme celle que nous allons entamer dans quelques mois. Soigner le son, c’est tout un processus. Mon travail c’est de faire en sorte que ce soit le plus raffiné possible.

LDB : Peut-on savoir en quoi consiste Coup fatal  ?

FB  : Le projet Coup fatal est un collectif de musiciens qui travaillent sur une espèce de connexion entre la musique baroque, musique très ancienne qui fait partie du patrimoine culturel occidental, et la musique congolaise. Ces deux arts fusionnent pour en faire une seule et même chose.

LDB : À quel niveau se situe le projet qui semble encore en cours de création depuis 2010  ?

FB : Pour le moment, nous travaillons la musique proprement dite mais Coup fatal deviendra un spectacle. Il sera conçu avec Alain Platel, l’un des grands chorégraphes d’aujourd’hui. Il sera présenté en grande première à Vienne, au Burgtheater, le plus prestigieux théâtre de Vienne. Puis viendra une grande tournée qui passera par le Festival d’Avignon, à Chaillot, à Paris et par toutes les grandes capitales, etc.

LDB : En quoi consiste exactement la fusion évoquée dans Coup fatal  ?

FB : Il y a d’abord la personnalité de Serge Kakudji, nous n’aurions pas pu faire ce projet, s’il n’avait pas été là. C’est un chanteur contre-ténor qui est de la tradition lyrique, de l’opéra et de la musique baroque, etc. J’ai travaillé avec Serge dans le spectacle Pitié ! d’Alain Platel. Je l’ai rencontré quand il avait 17-18 ans, il a un potentiel vocal extraordinaire. La première chose, c’est une sorte de retour. Après avoir étudié la musique classique en Europe, c’est une façon aussi pour lui de retrouver ses racines. Et avec son chemin  de repartir vers un nouveau futur. D’abord, il y a ce premier geste. Ensuite, tous les extraits de musique proposés sont eux-mêmes des extraits d’opéra. Ce sont de grandes histoires dans lesquelles se passent beaucoup de choses, ce sont souvent des drames. Cela finit souvent très très mal, ce sont des jeux de pouvoir, des rivalités, des histoires d’amour, des conflits…C’est très mythologique, tout ce qui peut se dire dans un opéra. En prenant ces extraits, l’on raconte des bouts d’histoires, d’une grande histoire et cela permet de parler de façon un tout petit peu détournée de parler des situations tout à fait contemporaines. Ce qui se passe aujourd’hui avec les relations d’amour, de pouvoir, les rivalités…des réalités de la vie qui ne sont pas typiques au monde occidental car vécues aussi en Afrique et au Congo. Une façon de parler de certaines choses sans en parler directement. C’est un acte artistique, avec comme particularité que ce sera comme un concert où presque tous le musiciens vont participer en dansant. Ils ne vont pas seulement jouer, ce sera à la fois un spectacle de danse et de musique.

LDB : Qu’en est-il de l’apport purement congolaise  ?

FB : Il ya comme un jeu de miroir, une sorte d’interpénétration. Sur la base d’un air, une chanson baroque, la première phase de travail a été de lui trouver un miroir dans la musique congolaise. Joindre certains éléments de la musique congolaise avec certains aspects du texte repris et dits d’une autre façon. Et puis trouver une fusion entre les deux, créer une interpénétration faire qu’une chose devienne vite une autre. La musique congolaise nourrit la musique baroque et vice-versa. C’est un travail unique qui n’a jamais été fait de cette façon. Il y a eu des confrontations de la musique baroque avec la musique africaine au sens large mais là, c’est vraiment avec une identité congolaise. Il n’y a pas, que je sache, d’autre expérience du genre sur cette planète.

LDB : De la première séance de 2010 à celle de février 2014 qu’y a-t-il de si différent ?

FB  : La première, c’était le premier jet, l’idée de la faire et voir comment cela fonctionne. À partir de ce moment-là, il y a eu tout le travail pour faire les concordances, prendre un chant et y ajouter un autre. Il y a des influences de Haendel, de Bach, de Verdi…à chaque fois, il fallait voir comment rendre tout cela, en faire une grande histoire avec un ensemble de petites histoires. Le premier impact était brut, un choc qui fonctionnait mais il fallait aller vers la haute couture. C’est les détails qui font que cela puisse fonctionner, surtout une fois arrivés à Vienne, le temple de la musique baroque, avec les grands opéras qui existent aujourd’hui qui portent une histoire incroyable. C’est sur que s’il n’ya pas un souci du détail, le public ne va pas accrocher. Pour avoir sa place, il faut vraiment un raffinement et tout le travail c’était d’aller vers ce raffinement. C’est inévitable que cela prenne beaucoup de temps.

LDB : Que pensez-vous du travail abattu jusqu’ici par Rodriguez Vangama, votre second à la direction musicale  ?

FB  : Rodriguez est le chef d’orchestre de Coup fatal. C’est un musicien extraordinaire non seulement dans la musique congolaise qu’il connaît très bien, mais je crois que c’est le seul musicien au monde qui puisse faire le travail qu’il fait. Polyvalent, il fait partie de ceux que moi j’appelle les âmes universelles. C’est une âme universelle encore plus que le Congo, l’Afrique , le monde. Il a l’intelligence, le don, la capacité de gérer tout ce qui se passe. C’est absolument rarissime. Rodriguez est un musicien énorme, très peu de gens lui ressemblent. Toutes ses idées sont bonnes, son feeling est bon, son sentiment, la manière dont il arrive à tout gérer et faire que ça sonne, c’est l’homme-clé.

Propos recueillis par Nioni Masela

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo : Fabrizo Cassol