Interview. Henri Nzuji : « Nous n’avons pas les moyens d’organiser les élections apaisées en 2016 »

Samedi 18 Avril 2015 - 16:03

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Acteur politique se réclamant de l’Opposition, fils de Catherine Nzuji wa Mbombo, Henri Nzuji propose la création d’un Fonds de mobilisation des ressources électorales.

Les Dépêches de Brazzaville : Pensez-vous que le chantier de découpage territorial devrait s’exécuter au même moment que le chantier des élections ?

Henri Nzuji : J’ai été parmi les gens qui ont contesté en 2006 la Constitution qui avait été promulguée en ce moment-là après référendum. Bien que ma mère (Ndlr : Nzuzi wa Mbombo ndlr) ait été dans le gouvernement, j’ai fait campagne contre parce qu’il y avait les germes de ce que nous déplorons aujourd’hui, un découpage qui ne tient pas compte des us et coutumes, des tribus et va créer des provinces non viables. Pour vivre, les policiers, les militaires et les agents de l’État vont se rebattre plus sur le peuple, on sait comment ils ont toujours dérangé les gens déjà dans les grandes villes. Et là on va continuer à favoriser l’impunité, la corruption et plein de choses semblables. Je suis contre ce découpage.

LDB : Mais le découpage est quasi effectif. Quelle pourrait être la viabilité de ces nouvelles entités ?

HN : Le découpage se fera par la volonté des dirigeants. On sait que la volonté change tout. Ça pourrait être le point de départ pour certaines provinces auxquelles on donne la chance ; on vient de voter la loi sur la caisse de péréquation. Maintenant il faut beaucoup de lois dans notre pays. Mais le problème a toujours été leur application, la rétrocession de 40 % des entités administratives décentralisées, etc. Quant à la viabilité de ces nouvelles entités, à court terme, il ne faudra pas s’attendre à beaucoup de choses. Il faut attendre cinq à dix ans pour avoir des provinces viables, avec des infrastructures, des hôpitaux de référence, une police nationale, un commandement de région, des camps militaires, une urbanisation de qualité, une distribution d’eau potable et d’électricité, un transport public assuré… Cela peut être une chance pour un nouveau départ, on aurait eu les moyens de notre politique et on doit s’assurer de l’exploitation de notre richesse, des ressources naturelles. Tenez, le Nigeria était l’un des pays les plus pauvres, avec un taux d’inflation élevé. Mais quand les dirigeants ont compris que le pétrole était la seule richesse du pays, ils ont donné l’accès au pétrole à tout le monde pour l’explorer, le transporter, le distribuer et l’acheter. Si notre État peut mettre à la disposition de son pays ses propres richesses naturelles, cela va être un bon coup de fouet pour les nouvelles provinces. Déjà notre budget est assisté à 40 ou 43 % de l’extérieur.

LDB : Pour une nouvelle territoriale des originaires ou des non-originaires ?

HN : Je pense que dans la loi d’application, on devra insister sur un quota minimum des non-originaires dans les Assemblées ou les gouvernements des provinces à venir. Sinon, cela va consacrer la balkanisation et la partition du pays, la xénophobie, etc. La Constitution et d’autres textes légaux nationaux reconnaissent les droits à la femme, la parité, le tiers dans les institutions. Il va aussi falloir édicter une loi qui stipule qu’un tiers des sièges dans les institutions provinciales (Assemblées, gouvernements) puisse être détenu par les non-originaires.

LDB : La découverte d’une fosse commune dans la banlieue de Kinshasa alimente le débat dans la classe politique. Votre commentaire à ce sujet ?

HN : Je pense qu’on fait beaucoup de bruit pour rien et c’est malhonnête. Bien que je ne sois pas de la majorité présidentielle, je trouve cela indigne de marcher sur les cadavres, faire couler la salive et l’encre pour des gens qui sont éplorés. Tenez, Monique, une femme m’a envoyé un SMS m’implorant d’enterrer son enfant qui est mort le 18 février et dont le corps est à la morgue à l’Hôpital de référence de Kinshasa (Mama Yemo). Je ne suis pas la seule personne qui reçoit ce genre de message. Beaucoup de gens sont enterrés dans le silence, des gens en douleur, démunis. Je ne pourrai pas tous les inhumer quoique j'aie mon argent et la bonne foi. Les anciens gouverneurs de Kinshasa doivent avoir le courage de reconnaître qu’ils ont procédé à des inhumations communes à leur époque, Tshimbombo, Nzuji Wa Mbombo, Kabaidi, etc. Qu’on arrête ça, parce qu’on n’aime pas quelqu’un, on le diabolise. Si on veut faire partir le président Joseph Kabila, il partira un jour. De l’antijeu et des crocs-en-jambe, je ne suis pas d’accord avec ça, bien que je ne sois pas de la majorité présidentielle.

LDB : L’actualité, c’est aussi la tenue des élections à tous les niveaux. Mais déjà le problème de financement se pose. Votre lecture ?

HN : Bien que cela soit décidé, moi je plaide pour un consensus autour de 2016 afin qu’on puisse parler de tous les sujets qui fâchent. Il n’y a pas de date taboue. Le 19 décembre 2016 au soir, si le président Kabila est toujours là, le pays ne va pas s’écrouler, le ciel ne va pas nous tomber sur la tête. L’opposition réclame, par exemple, qu’on arrête le découpage territorial. Si on doit parler de 2016, parlons aussi d’autres choses comme le découpage. Dans les jours suivant, je vais initier une pétition appelée « Consensus 2016 » pour dire au peuple qu’on n’a pas les moyens. Nous n’avons pas 40 % de notre budget. Si l’on doit mobiliser un milliards de dollars pour organiser les élections, cela voudra dire qu’on coupe les salaires. Par quelle magie on trouvera un milliard USD pour organiser les élections ?. Pourquoi ne pas faire ces élections apaisées même sur trois ans et l’on commencerait ainsi en 2016 ? Pour ce faire, je proposerai la création du Fonds pour la mobilisation des ressources électorales  et l’on placerait un opposant à la tête de cette institution, comme Félix Tshisekedi ou Vital Kamerhe. Ce Fonds va mobiliser les ressources en 2015 et 2016 afin de faire des achats nécessaires à la logistique avec la Commission électorale nationale indépendante (Céni).

LDB : Comment doit-on gérer, selon vous, la question de la double nationalité ?

HN : La double nationalité est une question de choix. Après la guerre, nous avons encore dans nos frontières des gens qui disposent d’armes à feu, commettent des exactions, tuent... C’est très complexe, on n’a jamais fait d’identification depuis des années, les Mbororo (peuple nomade constitué d’éleveurs venus de la République Centrafricaine) se sont mariés avec les ethnies de chez nous,… À l’est, à l’ouest comme au nord du pays, il y a des problèmes de mixage terrible. On doit réidentifier les gens. Quand on saura ceux qui sont Congolais, combien nous sommes, alors là on pourra penser à qui peut être congolais, qui peut avoir la double nationalité et dans quel cas. Je pense que des hommes d’affaire qui ont des revenus importants peuvent souscrire à la double nationalité pour leur faciliter des déplacements partout dans le monde. Nos lois doivent être plus souples et créatives dans cette matière. Mais un autre problème de la double nationalité, c’est qu’on donnerait accès à des mercenaires politiques. À mon sens, on peut octroyer la double nationalité à quelqu’un, mais il ne peut plus avoir des ambitions politiques. On le voit à l’étranger, vous obtenez la nationalité, vous payez l’impôt, mais vous n’avez pas accès à des fonctions électives.

Martin Enyimo

Légendes et crédits photo : 

Henri Nzuji