Interview. Kensika Monshengwo : «Nous demandons que la nationalité congolaise d’origine soit irrévocable»

Samedi 17 Octobre 2015 - 14:30

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Activiste congolais basé en Irlande, Kensika Monshengwo vient de lancer une pétition en faveur de l’instauration de la double nationalité au Congo.

Les Dépêches de Brazzaville : Vous avez lancé une pétition en faveur de la double nationalité en RDC ? Pourquoi l’avoir lancée maintenant ?

Kensika Monshengwo : Nous voulons que tout Congolais puisse garder sa nationalité congolaise d’origine, même s’il acquiert une autre nationalité supplémentaire. L’objectif de cette pétition est de faire accélérer les choses. En effet, le principe même de la double nationalité est déjà accepté par les autorités de la République démocratique du Congo. D’ailleurs, lors des Concertations nationales, la notion de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise a été acceptée et adoptée. Je lance cette pétition maintenant parce que j’estime que la République démocratique du Congo a pris trop de retard par rapport à  ces voisins tels que le Congo Brazzaville ou  l’Angola pour ne citer que ces deux-là. Nous voulons que la nationalité congolaise puisse être détenue concurremment avec d’autres. C’est ainsi qu’en conformité avec l’article 218 alinéa 4 de notre Constitution, nous voulons récolter 100 00 signatures que nous nous présenterons, en temps opportun, au Parlement.   Le jus sanguinis devrait être considéré dans notre cas. Nous sommes des Congolais par le sang.

LDB : Combien de signatures avez-vous déjà recueillies pour la pétition ?

KM : Nous ne sommes encore qu’à 1150 signatures sur les 100 000 recherchées. Mais j’ai espoir qu’on atteindra le nombre requis. L’idéal serait que les autorités prennent les devants et adoptent un moratoire qui s’appliquerait à tous les Congolais d’origine qui détiennent une nationalité étrangère.

LDB : Vous estimez que l’article 10 de la Constitution de la RDC, qui stipule que « La nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre... », doit être changée car elle ne correspond plus à la réalité des Congolais du 21e siècle. Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste cette réalité ?

KM : En Effet, l’article 10 de la Constitution de la République démocratique du Congo veut que la nationalité congolaise soit une et exclusive. Nous voulons changer cette phrase qui ne correspond plus à la réalité des Congolais du 21e siècle. Nous demandons que la nationalité congolaise d’origine soit irrévocable,  c’est-à-dire que même si on acquiert une nationalité étrangère, on reste d’abord et avant tout Congolais. Cette nationalité d’origine devrait être irrévocable.  C’est un peu comme si vous demandiez à un enfant métis de choisir entre son père et sa mère. Il est les deux à la fois et c’est cela la réalité. Le nombre des Congolais vivant à l’étranger est estimé à environ deux millions d’individus. Les enfants de ces Congolais de l’étranger ne deviendront jamais des Congolais, si la loi ne change pas.  C’est une discrimination indirecte. Nos enfants congolais ont souvent dû prendre une nationalité étrangère, indispensable pour trouver un travail, au lieu de rentrer au pays et gonfler le rang des chômeurs. Fort heureusement, cet argent gagné à l’étranger contribue largement à la vie sociale de leurs familles restées au pays. Il faut inverser le processus de la fuite des cerveaux et encourager nos enfants à rentrer travailler au pays.

Mais, pour cela, il faut modifier nos lois ou mettre en place des dispositions transitoires audacieuses. Toute cette expérience accumulée par la diaspora doit revenir profiter au pays. Notre équipe nationale de football est un bel exemple de cette réalité du 21e siècle. Certains joueurs détiennent des nationalités étrangères et cela ne les empêchent pas de défendre bec et ongles les couleurs de la république démocratique du Congo. Si cela est possible dans le domaine sportif, ça devrait pouvoir l’être dans les autres domaines aussi. Sur le plan politique, cela permettrait aux Congolais de l’étranger, ayant changé de nationalité, de participer au processus démocratique en tant qu’électeurs ou candidats en toute liberté. Si un joueur de football détenant une nationalité étrangère peut porter les couleurs du Congo, alors un candidat député, un ministre ou un bourgmestre devrait pouvoir en faire autant sans restriction aucune.

LDB : Qu’est-ce que vous attendez des autorités congolaises ?

KM : Le présent gouvernement est issu des Concertations nationales. Parmi les recommandations émises par celles-ci, nous pouvons lire : « Faire bénéficier aux Congolais ayant acquis d’autres nationalités des facilités administratives pour leur retour et séjour au pays en attendant l’adoption et l’application de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine ». Nous ne réinventons pas la roue, mais plutôt nous réclamons simplement que l’État congolais applique ce qu’il a lui-même adopté comme recommandation. Les autorités congolaises devraient décréter un moratoire pour tous les Congolais d’origine qui ont acquis une nationalité étrangère. Cela nous permettra d’aller et de venir en toute quiétude dans notre pays d’origine et d’y exercer des activités économiques et politiques sans tracasseries, en attendant que l’article 10 de la Constitution ne soit un jour modifié.  L’État congolais doit faire preuve de leadership et de courage en mettant en place des dispositions transitoires audacieuses, pour encourager la diaspora à revenir en masse contribuer au développement du pays.

LDB : Pensez-vous que les Congolais qui détiennent une nationalité étrangère sont marginalisés ? Comment ?

KM : Oui, en quelque sorte, nous sommes marginalisés, car pour aller dans notre propre pays d’origine, nous devons demander un visa. Nous ne pouvons même pas prendre part au processus électoral (en tant que candidats ou électeurs) de notre pays d’origine.  Les deux millions de Congolais, qui sont dans la diaspora et qui envoient 10 milliards de dollars par an au Congo, ne sont-ils pas des congolais ? N'ont-ils pas le droit de revenir au Congo en tant que Congolais ? Nous aimerions que nos enfants nés à l’étranger puissent aussi devenir Congolais. Sans trop entrer dans les détails, vous pouvez facilement imaginer le casse-tête juridique qui se pose souvent lors des problèmes de successions et d’héritages au sein des familles dont certains membres n’ont plus la nationalité de leurs parents.

LDB : Comment pensez-vous que la diaspora congolaise peut contribuer à relancer l’économie de la RDC ?

KM : Sur le plan économique, le fait de détenir la double nationalité permettra à la diaspora d’être plus efficace face aux concurrents étrangers qui dominent l’économie congolaise. La diaspora peut, en utilisant ses secondes nationalités, entrer plus facilement en compétition avec les opérateurs étrangers qui dominent l’économie congolaise et qui, eux, sont très mobiles. À titre d’exemple, il arrive souvent que pendant que l’opérateur économique congolais moyen perd son temps pour obtenir un visa, son compétiteur étranger (libanais, indo-pakistanais ou européen) soit déjà chez le fournisseur à l’étranger pour passer des commandes de marchandises.  Pourquoi rester confiner, alors que le monde d’aujourd’hui demande que l’on soit mobile et rapide ? Il faut que l’État apprenne à utiliser stratégiquement la diaspora comme une ressource. Le montant de l’argent envoyé chaque année en République démocratique du Congo par la diaspora est estimé à environ 10 milliards de dollars. Il est clair que nous sommes une bouée de sauvetage pour l’économie congolaise. Par conséquent, nous devrions avoir droit au chapitre. L’exemple par excellence du pays qui a bien utiliser sa diaspora de manière efficace est bien sûr l’État d’Israël. Mais il y a aussi un pays comme l’Irlande qui a également su profiter stratégiquement sa diaspora et cela lui a valu de connaître un boum économique sans précédent dans les années 90.

LDB : Êtes-vous favorable à un cumul illimité de nationalités ? 

KM : Illimité, peut-être pas mais en principe une personne peut détenir plus de deux nationalités selon son background. À titre d’exemple, certains enfants sont issus de parents de nationalités différentes. Ces enfants peuvent acquérir la nationalité des deux parents et pour peu qu’eux-mêmes vivent dans un autre pays que celui de leurs parents et qu’ils remplissent certaines conditions, ils peuvent à leur tour acquérir une troisième nationalité. Bref, cela montre encore une fois la complexité du monde dans lequel nous vivons. Les Congolais de la diaspora sont invités à participer à la reconstruction du pays. Mais, pour cela, ils devraient pouvoir intervenir à tous les niveaux de gestion de la chose publique. De plus, l’attachement dont fait preuve la diaspora vis-à-vis de la mère patrie n’est plus à demontrer.

LDB : Dans la pétition vous déclarez, le présent gouvernement issu des Concertations nationales a formulé des recommandations, notamment celle de « faire bénéficier aux Congolais ayant acquis d’autres nationalités des facilités administratives pour leur retour et séjour au pays en attendant l’adoption et l’application de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise d’origine ». Quelles pourraient être ces facilités ?

KM : Par exemple, en attendant la modification de l’article 10 de la Constitution, un moratoire devrait être adopté pour permettre aux Congolais d’origine, ayant acquis une autre nationalité, de participer librement à la vie économique et politique (électeurs et candidats) de leur pays d’origine, sans restriction de visas.  Une telle décision courageuse et historique entraÎnerait, à coup sûr, un foisonnement de talents et de créativité sans précèdent dans l’histoire de la République démocratique du Congo.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Kensika Monshengwo

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