Interview. Pr Alain Kiyindou: "L'Afrique doit avant tout prendre en main son propre destin technologique"Samedi 15 Février 2025 - 9:30 En tant que président du Réseau de recherche francophone sur l’intelligence artificielle (IA), Alain Kiyindou, professeur des universités à l’Université Bordeaux Montaigne, directeur régional de l’Agence universitaire de la Francophonie en Afrique centrale et Grands Lacs, répond aux questions des Dépêches de Brazzaville après le sommet international pour l'action sur l'IA tenu à Paris. Entretien.
Alain Kiyindou (A.K.) : Non, je ne pense pas avoir livré les résultats de mes recherches trop tôt. Au contraire, je crois que la publication de mon livre, "Intelligence artificielle : pratiques et enjeux pour le développement", a été très opportune. Elle a contribué à éveiller la conscience et à stimuler le débat autour de l'importance de l'IA pour le développement, notamment dans les pays moins avancés technologiquement. Le fait que Paris a accueilli un sommet international sur l'action en matière d'IA confirme l'urgence et la pertinence de ces discussions. Mon travail visait à mettre en lumière les opportunités ainsi que les défis associés à l'IA, et je pense que cela a aidé à façonner les conversations et les politiques autour de cette technologie. En somme, le timing de cette publication a plutôt servi à catalyser l'action et à enrichir le dialogue global sur l'IA. L.D.B. : L’objectif du sommet international sur l’IA était de permettre à la France, ainsi qu’à l’Union européenne, de trouver leur place entre les géants chinois et américains de l’IA, avec, entre autres, en prévision, un grand partenariat public-privé dans le monde pour le développement d'une IA fiable. Quel sera le rôle de l’Afrique? A.K. : L'Afrique, dans le contexte de l'IA, doit avant tout prendre en main son propre destin technologique. Cela nécessite un engagement coordonné à plusieurs niveaux. Tout d'abord, l'Union africaine, en collaboration avec les gouvernements nationaux, doit jouer un rôle de catalyseur en élaborant des politiques et des stratégies continentales qui encouragent l'investissement dans les technologies émergentes et la formation en IA. Ces politiques devraient favoriser le développement d'infrastructures numériques robustes et la mise en place de cadres législatifs adaptés pour sécuriser les investissements et la recherche. Les universités et les centres de recherche africains doivent également être au cœur de cette transformation. Il est crucial d'intégrer l'IA dans les curriculums académiques et de promouvoir les partenariats entre les universités et l'industrie technologique pour stimuler l'innovation locale. La création de centres d'excellence en IA sur le continent pourrait faciliter la recherche appliquée et fondamentale, aidant ainsi à adapter les technologies de l'IA aux besoins spécifiques de l'Afrique. Cependant, le continent doit également relever plusieurs défis. L'un des principaux est le manque d'infrastructures numériques adéquates et accessibles, qui restreint la capacité de nombreux Africains à participer pleinement à l'économie numérique. Un autre défi est le besoin de financement pour la recherche et le développement en IA, souvent limité par les priorités économiques et sociales plus immédiates. Enfin, il est essentiel de développer des compétences en IA parmi les jeunes Africains pour assurer une relève compétente et innovante. En somme, si l'Afrique parvient à surmonter ces obstacles et à mettre en œuvre des stratégies intégrées impliquant tous les acteurs du continent, elle ne sera pas seulement une participante mais un leader dans le développement d'une IA fiable et éthiquement responsable. Cela positionnerait l'Afrique, non seulement comme un marché consommateur, mais aussi comme un créateur de solutions en IA adaptées à ses propres réalités et défis. C’est cette vision que nous essayons d’impulser au sein de l’Agence universitaire de la Francophonie. L.D.B. : Comment articuler les possibilités offertes par l’IA et les défis à relever en Afrique ? A.K. : Pour exploiter efficacement les opportunités offertes par l'IA en Afrique tout en relevant ses défis, une stratégie intégrée reconnaissant les spécificités du continent me semble essentielle. D'une part, le développement des infrastructures numériques est crucial, car l'IA exige des bases solides pour la collecte et l'analyse de données. Toutefois, beaucoup de régions africaines souffrent encore d'un manque d'infrastructures de base, nécessitant ainsi des politiques publiques et des investissements privés ciblés. En matière d'éducation, l'intégration de l'IA dans les curriculums est impérative pour préparer la jeunesse africaine à l'économie numérique. Concernant la recherche et le développement, l'Afrique peut se concentrer sur des applications d'IA répondant à ses besoins spécifiques, tels que l'agriculture de précision et la santé publique. Cependant, le financement de ces initiatives reste un défi, nécessitant une mobilisation des ressources locales et internationales et des collaborations accrues entre universités et industries. Un cadre réglementaire et éthique respectant les normes culturelles et sociales doit également être mis en place pour équilibrer innovation et protection des données personnelles. Les pays africains doivent aussi veiller à ce que leurs collaborations internationales soient équitables pour éviter l'exploitation externe de leurs ressources en IA. Enfin, stimuler l'innovation locale à travers le soutien aux start ups et aux incubateurs est vital pour créer un environnement favorable à l'entrepreneuriat, réduire la bureaucratie, et améliorer l'accès au financement. Cette approche globale, impliquant gouvernements, secteur privé, établissements éducatifs et partenaires internationaux, est indispensable pour que l'Afrique tire pleinement profit des possibilités de l'IA et développe des solutions technologiques adaptées et bénéfiques pour le continent.
Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma Légendes et crédits photo :Pr Alain Kiyindou/ Adiac Notification:Non |