Justice internationale : comprendre et ne pas comprendre la CPILundi 15 Juin 2015 - 15:30 Nul n’est au-dessus de la loi, ou des lois, c’est selon. Cette assertion fait des émules dans le monde, non sans susciter quelques interrogations. Ainsi en est-il du cas Omar Hassan Ahmed El-Béchir, le président soudanais dont la Cour pénale internationale (CPI) réclame le transfèrement à la Haye depuis 2009. Le 25è sommet de l’Union africaine réuni en Afrique du Sud, les 14 et 15 juin a frôlé la grosse frayeur. Et pour cause. La justice du pays hôte, saisie par une Ong de défense des droits de l’homme sur le cas du président soudanais, Omar El Béchir que vise un mandat d’arrêt de la CPI pour « crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crime de génocide commis au Darfour », le mettait en demeure de quitter le territoire sud-africain avant d’avoir la certitude qu’il était libre de ses mouvements. Ce 15 juin, El Béchir est rentré chez lui au même titre que les autres dirigeants africains venus échanger autour de « l’autonomisation et le développement des femmes en vue de la réalisation de l’Agenda 2063 de l’Afrique », thème de leurs assises. Pour voir que la question est sensible, il faut considérer les dispositions prises par les autorités de Pretoria avant la conférence des chefs d’Etat. Elles redoutaient sans doute cet incident, d’où la signature la veille, par le président Jacob Zuma d’un décret accordant l’immunité à toutes les délégations invitées dans son pays dans le cadre de ce sommet. Et comme la justice est indépendante en Afrique du Sud, dans ce cas précis, sans doute dans d’autres, les juges ne se sont pas empêchés de statuer sur le cas Béchir, mettant le gouvernement dans un gros embarras. Le retour de ce dernier dans son pays a sans doute soulagé le pouvoir sud-africain, mais la procédure elle-même montre qu’à tout moment, partout où ils peuvent se trouver, des dirigeants accusés à tort ou à raison de violations des droits de l’homme peuvent se faire peur. Même contre leur gré, ils sont avertis. C’est là, certainement que la CPI a marqué un point malgré un échec cuisant qui va lui valoir des critiques pas toujours injustifiées de certaines chancelleries africaines. Une justice à deux vitesses ? Il faut être précis sur le sujet : les dirigeants qui vont se faire peur, ce sont uniquement les Africains, puisque sur la liste de la CPI ne figurent en priorité qu’eux. C’est bien le fond du problème car violer les droits de l’homme semble revêtir plusieurs définitions, selon que l’on se trouve en Afrique ou ailleurs ; selon que les acteurs sont des soldats de telle armée, relevant de tel ou tel autre pays ; selon que les armées en question sont considérées ici comme exécutant les ordres d’un Etat souverain jouissant de tous ses droits ou comme relevant d’un pays, fut-il indépendant et souverain, mais en qui l’on ne reconnaîtrait aucune initiative de défendre et protéger ses citoyens ou ses frontières. Un deux poids, deux mesures accablant pour la CPI. Cet étagement de lecture lorsqu’il s’agit de condamner, interpeller ou punir ceux qui violent les droits de l’homme est à l’origine de la frustration que ressentent les dirigeants africains vis-à-vis de l’action de la CPI. Non seulement, lorsqu’il s’agit d’eux, la qualification ou la considération des actes criminels change, mais en même temps ne s’applique nullement ce parallélisme qui veut que ne soit comptable dans le cas d’espèce que des personnes relavant d’un pays qui a ratifié les textes ou conventions créant la juridiction concernée. Omar El Béchir se défend Sans vouloir absoudre qui que ce soit de ses responsabilités, surtout dans les cas graves de violations des droits humains telles qu’on le dit de ce qui s’est passé au Darfour, cette province meurtrie du Soudan, disons que c’est à peu près ce qui arrive à Omar El Béchir. Son pays n’a pas adopté le traité de Rome instituant la Cour pénale internationale. Et il rejette la procédure en cours contre lui en s’appuyant sur cet argument utilisé par plusieurs Etats, de par le monde, pour récuser la légitimité de la Cour de la Haye : « Le Soudan n’a pas ratifié le protocole de Rome. Donc je me plierai pas et résisterai à cet acharnement politique qui instrumentalise la justice internationale », se défendait le président soudanais dans une interview le 20 février dernier avec « Le Monde Afrique ». Interview au cours de laquelle, il se montrait très critique à l’égard des grandes puissances qui, affirmait-il ne supportent pas ses prises de positions sur les crises qui secouent plusieurs régions du monde : « Je mène des politiques qui dérangent certaines grandes puissances à commencer par les Etats-Unis. Je dis et fort que la résistance palestinienne a le droit de résister à Israël. Je suis clairement contre les interventions américaines dans les pays musulmans, de l’Afghanistan à l’Irak, en passant par la Libye. Ce qui provoque la colère de beaucoup de puissances ». Paroles d’un dirigeant qui est dos au mur, ou d’un chef d’Etat qui est sûr de résister longtemps encore à la pression qui s’abat sur lui ? Un rapt en plein vol ? Il est vrai que depuis l’émission du mandat de la CPI, Omar El Béchir a beaucoup voyagé : Qatar, Egypte, Libye, Tchad, Kenya, Djibouti, Chine, avant l’étape de toutes les frayeurs qu’a représenté Johannesburg en Afrique du Sud. Même si le risque est là (un rapt en plein vol par exemple ?), il n’y a pas de raisons de croire qu’il ne prendra plus son avion pour se rendre dans des pays amis du Soudan. A l’instar sans doute de certains de ses homologues, de par le monde, anciens ou en poste, dont les bilans en termes du respect des plus faibles ne sont pas sans reproches, mais qui, commente-t-on souvent en Afrique, « n’ont pas de comptes à rendre à la CPI ». Rappelons que la procédure d’extradition contre le président soudanais date du 14 juillet 2008, lorsque le procureur Luis Moreno Ocampo en avait fait la demande aux juges qui l’ont ensuite validée le 4 mars 2009. Sont particulièrement visés, les meurtres et viols que les milices pro-gouvernementales, les Janjawids, auraient perpétrés contre les Fours, les Masalit et les Zaghawa, trois groupes ethniques du Darfour qui en ont énormément souffert. Le conflit dans cette région du Soudan a fait deux millions de morts et un million et demi de déplacés selon les chiffres de l’Onu. L’Afrique ne peut en être fière malgré tout. Gankama N'Siah Notification:Non |