Mahaman Laouan Gaya : « c’est exagéré de parler de ‘’carburants toxiques’’ en Afrique »Samedi 24 Septembre 2016 - 16:22 Le Secrétaire Exécutif de l’Association des producteurs de Pétrole africains (APPA), Mahaman Laouan Gaya, dont le siège est basé à Brazzaville n’est pas resté muet aux échos suscités par l’enquête de l’ONG Suisse Public Eye, qui met en cause des traders pétroliers suisses (Trafigura, Vitol, Addax & Oryx Group (AOG) et Lynx Energy) très présents sur le commerce des hydrocarbures en Afrique. Selon l’ONG qui cite plusieurs pays africains qui seraient la poubelle de ce carburant «frelaté », ces traders profitent de la faiblesse des standards pour vendre des carburants de mauvaise qualité et réaliser d’énormes profits au détriment de l’environnement et de la santé des populations du continent noir. Ancien expert International en Energie pour les Nations Unies et ancien ministre des Mines et de l’énergie de la République du Niger, Mahaman Laouan Gaya, évoque dans l'interview ci- après une dramatisation qui met en cause les pays cités, alors que la situation est plutôt bien connue des professionnels.
Mahaman Laouan Gaya : A la lecture du rapport, l’on se rend compte que pour apprécier la situation africaine, l’ONG Public Eye s’est basée sur les directives européennes qui fixent des spécifications applicables aux carburants en Europe, normes qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2009. Mais l’on ne doit pas oublier aussi que beaucoup de pays africains ont mis en place des dispositifs législatif et règlementaire pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en produits pétroliers et le respect des normes de qualité. Mais je dois préciser que c’est exagéré de parler de ‘’carburants toxiques’’ en Afrique. Les européens n’ont pas qualifié de ‘’toxique’’ ce même carburant qu’ils utilisaient avant la mise en vigueur le 1er janvier 2009 des nouvelles directives. L.D.B. vous n’êtes donc pas d’accord sur les allégations de l’ONG Suisse ? M.L.G. : Le rapport de l’ONG dit précisément que les carburants écoulés en Afrique ont une teneur en soufre entre 200 et 1000 fois plus élevée que les normes internationales régulièrement autorisées et que plus de 2/3 des échantillons prélevés en Afrique contiennent un taux de soufre supérieur à 1500 ppm, avec une pointe à 3780 ppm dans certains pays. L’ONG soulève en effet un problème qui est connu de tous les professionnels de l’industrie pétrolière et des gouvernements, lesquels d’ailleurs, dans tous les pays africains, ont établi des normes qu’on appelle ‘’spécifications’’. Le rapport, a prit pour références les directives européennes pour apprécier la situation du continent africain. Quand on compare les produits pétroliers qui sont commercialisés et consommés aux États-Unis ou en Europe à ceux dont parle le rapport de Public Eye, on constate que l’Afrique connaît plutôt un retard, parce que les spécifications en vigueur actuellement sont celles de l’Europe des années 1990. De ce point de vue-là, l’on ne peut pas parler de produits ‘’toxiques’’ qui seraient sciemment déversés, comme c’était le cas du navire Probo Koala, qui a intentionnement rejeté des produits chimiques toxiques en Côte d’Ivoire en 2006. Il y a également lieu de rappeler que beaucoup de pays africains disposent de textes règlementaires en la matière ; et s'appuient aussi sur des normes internationales telles que AFNOR et ISO. L.D.B : Vous parlez de retard de l’Afrique, voulez-vous dire que le pétrole africain n’est pas encore au standard des normes utilisées en Europe ? M.L.G. : Nous avons en Afrique le pétrole de meilleure qualité dans le monde. Vous devrez le savoir. Il contient moins de souffre. C’est jusqu’à 3000 ppm non raffinés. Mieux que le pétrole de l’Amérique latine et des pays comme l’Irak, qui est lourd et exige beaucoup de raffinage et de technologies. En Afrique nous sommes sur la norme Afri 3, utilisée en Europe il y a quelques années. Pourtant, les produits n’ont pas été qualifiés de toxique. L’Association des Raffineurs Africains (ARA) fait actuellement évoluer les spécifications africaines vers les standards internationaux (AFRI-4 vers 2020 et AFRI-5 vers 2030), après avoir fait respecter AFRI-1, AFRI-2 et AFRI-3. Ces normes se présentent comme suit : AFRI-1(Essence 1000 ppm et Diesel 8000 ppm), AFRI-2 (Essence 500 ppm et Diesel 3500 ppm), AFRI-3 (Essence 300 ppm et Diesel 500 ppm), AFRI-4 (Essence 150 ppm et Diesel 50 ppm), AFRI-5 (Essence 50 ppm et Diesel 50 ppm). Autrement, c’est à l’horizon 2030 que l’Afrique mettra en application les normes telles quelles étaient en Europe avant le 1er janvier 2009. L.D.B : Faudrait-il que chaque pays prenne ces dispositions pour leur mise en application maintenant ? M.L.G. : Tout dépend des infrastructures de raffinage en place dans les pays. Néanmoins, déjà, cinq pays est-africains (Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda et Tanzanie) ont introduit des standards stricts sans hausse des prix des carburants et ont dès janvier 2015, abaissé la limite de soufre admise à 50 ppm. De façon générale, beaucoup d’efforts sont faits sur le continent et pour preuve, l’Afrique contribue pour moins de 0,4% de la pollution mondiale. L.D.B. :Partagez-vous l’avis d’autres analystes qui estiment que ce rapport devrait désormais permettre à l’Afrique d’être plus vigilante sur les produits pétroliers importés ? M.L.G. Nous devrons bien sûr être vigilants afin d’éviter à nos pays d’être la poubelle mondiale de déchets toxiques. Nous devons aussi nous doter de règlementations très contraignantes en matière de normes et spécifications des produits pétroliers avec des systèmes de contrôle et de répression très sévères. Agir sur les carburants sans agir sur la qualité du parc automobile aussi, ne produirait certes pas les effets escomptés, à savoir améliorer la qualité de l’air. L’adaptation aux normes européennes actuelles requiert des investissements très lourds et pourrait aboutir à la fermeture de plusieurs raffineries, non pas en Afrique seulement, mais dans beaucoup de pays du monde. Les raffineries de pétrole vétustes et obsolètes pour la plupart en Afrique ne peuvent pas satisfaire aux prescriptions telles qu’elles le sont actuellement en Europe. L.D.B. : Avec la crise du pétrole ayant fait chuter le prix du baril et son corollaire économique, pensez-vous que les pays africains aient les moyens de moderniser leurs raffineries ? M.L.G. : L’Afrique pèse pour 12% de la production pétrolière mondiale. Ceci veut dire que si nous avons notre unité, nous serons premiers devant l’Arabie Saoudite, la Russie et les USA. Mais a contrario l’Afrique ne consomme que 4% de la production mondiale, et les prix du pétrole sont fixés ailleurs. Nous devons aller vers une unité africaine pour que l’Afrique prenne son indépendance énergétique. Nous devrons donc aller pas à pas dans une approche systémique. Il y a certes les carburants, les infrastructures de raffinage de pétrole, le moteur des véhicules, les normes de spécifications, mais aussi tous les mécanismes de contrôle et de mesure qu’il faut mettre en place. L.D.B. : Quel est le rôle de l’APPA dans l’amélioration de cet écosystème ? M.L.G. : L’APPA est dans une dynamique de mener un projet d’étude sur l’organisation des marchés de pétrole brut et de produits pétroliers en Afrique, et j’ose espérer que c’est dans l’unité que nous pourrions solutionner nos problèmes et aller vers un développement économique et social.
Quentin Loubou Légendes et crédits photo :Le Secrétaire Exécutif de l’Association des Producteurs de Pétrole Africains (APPA), Mahaman Laouan Gaya Notification:Non |