Migration : de l’émotion et de sa versatilitéMercredi 16 Septembre 2015 - 19:20 En moins de deux semaines, l’Europe est passée de la générosité résolue à la frilosité extrême face à l’afflux des migrants. Difficile de s’y retrouver. Il n’est pas sûr que les pancartes de migrants syriens qui proclamaient à leur arrivée en Autriche pour l’Allemagne, il y a deux semaines, “Merci maman Merkel” passent à la postérité. Car dans le domaine de l’accueil ou non des réfugiés fuyant la guerre en Syrie, en Irak et en Afghanistan, l’Europe est passée d’un extrême à l’autre, et son opinion avec elle. Tous se focalisent aujourd’hui sur la Hongrie qui continue de dire son "non" à l’accueil chez elle de masses de migrants, mais les critiques ne vont pas plus loin à vrai dire. Car tout le monde se tient par la barbichette. Beaucoup de pays, même parmi les plus généreux en apparence, ont du mal à tenir une position de cohérence qui approche en clarté le refus et même la xénophobie des Hongrois. L’Allemagne a suscité un spectaculaire retournement de position quand la chancelière Angela Merkel a annoncé que son pays allait accueillir jusqu’à 800.000 « réfugiés ». Mais ces propos généreux ont à peine eu le temps de parvenir aux confins des Lander que la même dirigeante allemande a décidé de fermer de nouveau les frontières. Il y en a trop ! L’ancien premier ministre français Michel Rocard passe pour avoir dit (en 1989 ?): « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde ». Propos dur, impitoyable surtout de la part d’un homme de grande lucidité (justement !) appartenant à la gauche humaniste. Qu’on la récuse ou qu’on l’accepte ou tolère, cette phrase est à vrai dire dans la logique des politiques de chaque pays européen (à défaut d’en avoir une seule, commune) sur la question des migrations. La mort du petit syrien Aylan (3 ans), dont la photo le 3 septembre a bouleversé la planète entière, a suscité une émotion ravageuse. Au point qu’on a vu une Europe qu’on croyait inexistante : haies d’honneur pour accueillir les réfugiés en Allemagne et en Autriche ; peluches et jouets divers pour les enfants et pancartes de bienvenue presque partout. Mais à seulement dix jours de distance, il semble que ce n’était là qu’un mirage. La force de cette photo du petit syrien affalé sur une plage turque a réussi à transformer les faucons anti-quotas d’immigrés, France et Grande-Bretagne par exemple, en tendres cœurs annonçant qu’ils vont bien prendre « un peu » d’immigrés. Pourtant à Calais et à Vintimille pendant des mois, les gendarmes français ont déménagé Soudanais et autres Erythréens qui réclamaient le statut de réfugiés ou, simplement, à gagner la Grande-Bretagne. Comme les Syriens de Hongrie. Le régime hongrois de Viktor Orban reste droit dans ses bottes. Il a terminé mardi sa « clôture anti-migrants » à la frontière sud avec la Serbie et aussitôt annoncé qu’il va en faire autant à sa frontière sud-est, avec la Roumanie. Critiqué mais pas trop, il tire partie du flou des lois européennes qui ne lui interdisent pas de se protéger à ses frontières extérieures. Et, ce faisant, de protéger l’Europe (c’est d’ailleurs l’Europe qui a financé cet « ouvrage » : 175 km de long de fils barbelés, 4 m de hauteur). Mais le gouvernement n’est surtout pas critiqué parce qu’il a fait ce que bien d’autres, en Europe et ailleurs, ont fait avant lui pour « se protéger » des migrants : France (à Calais), Espagne (Ceuta et Melilla), Egypte, Israël et, surtout l’œuvre la plus gigantesque en la matière : la « barrière » des Etats-Unis le long de la frontière avec le Mexique. Elle court sur 1200 km, et a coûté 6 milliards de dollars ! Le mur de Berlin est tombé en novembre 1989. Pendant 28 ans, il fut qualifié de mur de la honte séparant l’Europe en deux. Mais il est difficile d’appliquer le même qualificatif à tous les autres murs : ils sont tout sauf des murs de la honte, disent les Hongrois. Et beaucoup d’Européens sont d’accord, sauf à le dire à haute voix. Lucien Mpama Notification:Non |