Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (16 )

Vendredi 4 Juin 2021 - 14:19

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 16- Pax gallica

Vers la fin de l’année 1912, Ibara E’Guéndé revint à Bèlet. Un de ses cadets, Dimi Lemboffo l’y avait précédé. Exilé à Ngyèlokassa au nord-ouest de Bèlet, il chanta un jour la nostalgie de sa terre natale en s’écriant : « combien de temps devrai-je errer en terre étrangère alors que j’ai une patrie ? / Ngyèlokassa, immense cité d’Alongo, patrie de ma mère ;/ je ne connais pas de village qui te rivalise en grandeur. / Pourtant, je ne puis continuer de demeurer dans ton giron sans pleurer sur le sort de Bèlet ! » Repris par la clameur populaire pendant les manifestations du folklore mondo dont Lemboffo était devenu une des vedettes, ces vers patriotiques mobilisèrent ses compatriotes à un retour vers la cité abandonnée.

E’Guéndé fils aîné de la dizaine d’enfants orphelines d’Obambé Mboundjè devint le chef de phratrie et siégea à la place du père assassiné. Mais, ses ennuis avec l’invasion coloniale et ses conséquences n’étaient pas encore terminés.  Vers la fin de l’année 1912, la conquête française marqua des points sur tout le Bassin de l’Alima-Nkeni mais, la partie n’était pas encore complètement gagnée. A l’est de Bèlet dans la région d’Assoni, le prince nga’Atsèssè, l’idéologue de la résistance restait un maquisard. Alors qu’il s’apprêtait à monter sur le trône de ses ancêtres en qualité de Tsahana IV, prince de Boua, l’arrivée des Français avait fortement contrarié ses plans. Au prise avec un ennemi largement au-dessus de ses moyens militaires, il avait recouru à son éloquence et à la mystique pour galvaniser les partisans. Il mystifia, grâce à son fétiche, le capitaine André Lados en l’interdisant d’entreprendre toute guerre contre son territoire Assoni.  C’est ainsi que fut interprétée l’absence de conflit dans cette partie de la subdivision durant les premiers mois de l’année 1912.

L’arrivée d’un nouveau commandant en chef des forces d’occupation mit en échec le fétiche. La guerre vint à Assoni avec son cortège de morts et destruction. La noblesse d’Affemè avec Elenga Singuili en tête fut décimée. A Mbomba, Tcholoba Eypa’a, Olemey, Eylo, les habitants disparurent en brousse. Nga’Atsèssè prit le maquis.

Des mois passèrent, nga’Atsèssè demeura introuvable en dépit des moyens mis en jeu pour le capturer. Devant le spectacle des villages abandonnés, le chef de guerre français changea de fusil d’épaule. Il se mit à fredonner la rengaine de la paix. Il envoya des courriers aux quatre coins d’Assonni avec des messages de paix. La guerre, expliquait-il, finira le jour où le prince nga’Atsèssè sortira de la forêt. Le format de cette pax gallica, cette paix gauloise, n’était connu que du seul chef de guerre français. Nga’Atsèssè maintenait la pression rendant fou de rage le capitaine français. Ce dernier broyait du noir quand une fatale méprise de Nianga Eyka’a, le fils du prince lui livra son ennemi.  Nianga Eyka’a s’était aventuré à Otsini chez des parents de sa famille maternelle. L’ayant aperçu, un mouchard le dénonça à des miliciens. Le capitaine sortit de son cafard et se mit à faire chanter nga’Atsèssè. Il fit diffuser dans tous les villages d’Assoni que nga’Atsèssè devait choisir entre la tête de son rejeton et la continuation de la guerre. Soumis à une intense pression psychologique, le prince nga’Atsèssè se rendit à l’ennemi la mort dans l’âme. Le pays m’bochi venait définitivement de capituler. L’envahisseur ajouta à sa victoire sur le terrain une condition suffisante pour un retour définitif de la paix. Il exigea du prince et de tous les anciens résistants, la signature individuelle d’une lettre de capitulation au terme de laquelle le prince nga’Atsèssè et les siens reconnaissaient l’autorité française sur leurs terres. C’était la première clause de la pax gallica. Rangés en longues files indiennes, on traîna les vaincus à Pombo, chef-lieu de la subdivision à l’effet d’apposer des signes en guise de signatures au bas des lettres de capitulation.

La seconde clause de la paix gauloise, la paix française fut le préambule des humiliations que subiront pendant 60 ans d’Etat de siège les populations colonisées. En peu de temps, le prince, ses nobles et tous ses hommes regrettèrent leur reddition. Roués de coups, écorchés, torturés et jetés en prison dans le fortin de Boka, au plus profond de leur souffrance, ils ne comprenaient pas.  Nianga Eyka’a gravement esquinté resta infirme pour le reste de ses jours.

En ces jours de malheur qui frappaient Assoni courant l’année 1913, Ibara E’Guéndé revenu à Bèlet observait la scène de loin. Son surnom E’Guéndé qui signifie l’inébranlable, l’incorruptible fit merveille. Il resta opiniâtre sur l’article de la signature des lettres de capitulation qu’on lui demandait d’aller signer à Pombo sous peine d’une nouvelle guerre à Bèlet. A la nouvelle de l’arrivée imminente d’une escouade chéchia rouge chargée de le capturer, E’Guéndé réagit de façon démonstrative. Il sortit l’écharpe tricolore français de la malle où son père l’avait enfouie et la brandit aux habitants en s’écriant :

  • Cette chose est la source de nos maux et la prison où les Falaçais veulent nous jeter. Père devina et comprit avant l’heure le danger de cette chose en échange de laquelle on lui exigea de payer tribut amoral, sans repère avec nos traditions. C’est pourquoi, il refusa de porter cette chose. Or, après nous avoir exterminer pour nous obliger de payer le tribut à cette chose, voici qu’on nous oblige de nous renier sous peine d’autres morts. (A suivre)

 

 

 

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Ikkia Ondai Akiera

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