Mwana Okwèmet, le fétiche et le destin (26)

Vendredi 10 Septembre 2021 - 12:46

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26- Okwèmet, le fétiche infaillible

Lemboffo ne put en dire plus. Assis à ses côtés, E’Guéndé et Etumba bouillonnaient de colère contre lui. Entre les partisans de la peur et le camp de la fermeté, les timorés dénoncés par des hués n’avaient pas de place. La paix civile paraissait être menacée jusque dans le giron du clan des Mboundjè. C’est alors qu’au terme d’une proposition audacieuse, le fils de Ngadoua Oley, Engoussou Toma, rangé parmi les tièdes, renversa complètement la situation. Il s’agissait, expliqua le jeune père de famille versé dans l’industrie du vin, de capitaliser la séduction exercée par les deux filles sur leurs ravisseurs et, de cette manière, transformer la faiblesse récurrente de Bèlet en une force favorable au village. Dans cette vision, Mwana Okwèmet et Nia’ndinga, devenues des ambassadrices, intercéderont en faveur de leur cité auprès de leurs terribles prétendants. Bèlet, ajouta-t-il, passera ainsi d’un statut de village-victime à celui de village-privilégié exempt des humiliations orchestrées par les Ebamis et leurs Mbolo-Mbolo. L’idée d’une étourdissante originalité éludait la question de fond tout en charriant un euphémisme plutôt sophistiqué. Devant l’impasse où se trouvaient les parties, cette proposition fit son chemin et parut être une voie de salut. A l’exception notable des mères des deux jeunes filles, tous les protagonistes de la palabre, parmi lesquels les Peureux, les Timorés et, de guerre lasse, les Imperturbables menés par Ibara E’Guéndé s’engouffrèrent dans cette brèche.

Le jour suivant, à l’heure où le village se débattait encore entre sommeil et réveil, Lembo’o et Mwana Okwèmet défièrent l’épais brouillard qui enveloppait la cité aux mille clameurs. Elle arpenta le quartier Ipanga et frappa à la porte du thaumaturge Ikama Oyélé qu’elles trouvèrent déjà réveillé, assis dans la salle à palabre, au coin d’un feu, parmi une rangée des pots en calebasse. Aussitôt, Lembo’o éclata en sanglots et dans sa voix chargée d’émotions transpirait une sourde colère.

- Le fétiche okwèmet, reprocha-t-elle vivement à son interlocuteur, n’a pas empêché la captivité de ma fille !

Vieil homme émacié au visage allongé, Ikama Oyélé assista jadis Obambé Mboundjè à la préparation du fétiche okwèmet le jour où naquit la fille de Lembo’o. Dans l’esprit de celle-ci, ce fétiche avait jusqu’ici déjoué tous les pièges que le destin avait tendus à son enfant. Ainsi, okwèmet évita au nouveau-né de mourir en couches comme certains des précédents enfants de Lembo’o. Le fetiche le plaça sous la protection d’Adoua Mwakoumba au moment de l’invasion de Bèlet et permit à la même Mwakoumba de déjouer le funeste dessein des esclavagistes. Ces faits façonnèrent l’opinion favorable de Lembo’o sur la protection que le fétiche okwèmet conférait à sa fille. Elle estimait qu’il en sera ainsi durant toute la vie de son enfant. Or, fit constater désespérée Lembo’o au thaumaturge, le fétiche venait d’être mis en échec ! Elle ajouta en sanglotant :

- Ma fille deviendra dans quelques heures la campagne d’un inconnu qui l’arrache à notre affection par la force des armes ! Oh ! Quelle pression diabolique n’a-t-on pas mis sur les épaules de ce malheureux Ibara E’Guéndé pour qu’il se plie à cette forfaiture ! Le voilà en train de quitter le village une nouvelle fois en signe de protestation. Paraît-il que ma pauvre fille paiera désormais le tribut de Bèlet à son ravisseur cannibale ! Les corvées, les déportations, la récolte de caoutchouc et les palmistes et toutes sortes d’impôt…tout ça sur le dos de ma petite Mwana Okwèmet. Pourquoi ? Pourquoi, mon Dieu ! Hier, le père paya de sa vie le refus de concéder le tribut que les Ebamis exigeaient à la terre mbochi. Aujourd’hui, c’est à la fille de payer de son corps aux Mbolo-Mbolo le tribut que les Ebamis exigent de son village ! Voilà, la boucle est bouclée : aux Ebamis, le sang du père, aux Mbolo-Mbolo, le corps de la fille !

Alertées par les éclats de voix de femme, les deux épouses d’Ikama et leur suite se joignirent à Lembo’o et sa fille qu’elles tentèrent de consoler.

Dans la série des malheurs qu’elle avait connus, celui-ci était le malheur de trop. On lui volait sa fille, son unique enfant, l’espoir de sa vie.

Dans les oreilles du féticheur, chaque mot, chaque phrase, chaque sanglot de Lembo’o retentissaient comme une impérieuse et pressante demande d’explication sur un malheur inconcevable, inacceptable. Il était sommé de s’expliquer :

- Alors, où donc est passée la magie protectrice de votre fétiche ? Pourquoi n’a-t-il pas caché le visage de ma fille à son ravisseur ? Pourquoi n’a-t-il pas déjoué ses plans comme il confondit jadis les funestes desseins de misérables esclavagistes ?

Le thaumaturge resta silencieux. Le discours larmoyant de la veuve d’Obambé Mboundjè le bouleversa profondément. L’évocation de la mémoire de son maître et le lien entre son martyr et l’épreuve que subissait sa fille orpheline achevèrent de le peiner. Il sentit ses yeux s’embuer, ses forces défaillir et il dut lutter pour ne pas fléchir. Face au sort qu’un décret sans appel paraissait avoir jeté sur Mwana Okwèmet, il demeura impuissant comme le reste du village, condamné à subir la loi du plus fort.

En revanche sur l’article du fétiche objet de pressantes interrogations, Lembo’o l’entendit murmurer à son intention, le regard lointain, des paroles qu’elle se mit à boire à grands traits :

- Femme n’ayez aucune crainte ! Le vieil Ambolo qui, jadis, prédit avec justesse le sexe de ta fille prophétisa, un jour, que Mwana Okwèmet vivra cent soleils sur cette terre. Croyez-moi, il en sera ainsi ! Le fétiche okwèmet est le gardien du feu des origines qui anime le corps ta fille. Quelques cruelles que seront les épreuves de sa vie, ce fétiche sera toujours à ses côtés pour la protéger. Ce pénible épisode dont nous sommes les témoins impuissants ce jour, ouvre une nouvelle page d’un destin extraordinaire qu’Osséré o’Ngouaka, l’ancêtre éponyme de son clan a réservé à ton enfant. Rassurez-vous, elle surmontera cette épreuve, car le fétiche okwèmet est infaillible ! Ce fétiche est, a été et sera le compagnon vigilant de son destin. Il aplanira toutes les embûches et déjouera les ruses et les traquenards dressés sur son chemin.

- En vérité, en vérité, le vaniteux qui croit nous l’arracher ce matin le fait à ses risques et périls. Il s’est mis des charbons ardents sur sa tête. Tout à l’heure, à l’aube, le chant de la vipère à double cornes a éclipsé tous les coqs de ce village. Elle a chanté trois fois de suite. C’est le signal de sa marche. Certes, des années passeront encore. Mais, il viendra le temps où la vipère pourrira le corps du ravisseur qui nous la vole ce matin ! Et, de manière générale, contre tous ceux qui attenteront à l’intégrité de Mwana Okwèmet, le venin de la vipère à double cornes sera la sanction sans appel !

Il prit un vase noir rempli de ses outils de travail, se leva et invita Lembo’o et sa fille de le suivre derrière sa case sous un kolatier où il consultait d’habitude. Elles quittèrent le féticheur une demi-heure plus tard, soulagées et raffermies. Mwana Okwèmet était prête à affronter son destin. Elle ramena de cette séance matinale un petit bijou en ivoire de forme plate finement ciselé accroché à son cou et deux incisions pratiquées à l’intersection de la naissance du pouce et de l’index du bras droit. La vipère à double cornes devint son totem.

Lorsque Lembo’o et sa fille revinrent à leur domicile, Ibara E’Guéndé et Etumba-la-Ngoungou étaient déjà partis... Debout devant la case de Lemboffo, les miliciens s’impatientaient. Une agitation silencieuse remuait le quartier Bèlet. On parlait bas, sans enthousiasme comme à l’annonce d’un évènement funeste. Mwabouéré, la mère de Nia’ndinga, tout comme Lembo’o avaient renoncé d’accompagner les enfants à Ossè’ndè. Lorsque la trompette sonna le départ, un frisson parcourut le village comme s’il voulait se reprocher quelque chose. Encadrées par les miliciens, Nia’ndinga et Mwana okwèmet marchèrent silencieuses vers leur destin. Quelques jeunes gens les accompagnèrent.

Dimi Lemboffo, Ngadoua Oley, Ngatsala et Koula’ngui suivirent des yeux la file indienne serpentée entre les cases puis, elle disparut avalée par la piste qui menait à Nguièlakomo. Lemboffo avait le cœur lourd et triste. Plus tard, A’kindi (le Glorieux), son célèbre masque de la danse mondo fut rebaptisé par Sacrifice (littéralement la Belle sacrifiée à la guerre). L’habile euphémisme d’Engoussou n’avait rien enlever à l’affaire. Personne n’était dupe. (à suivre).

Ikkia Ondai Akiera

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