Patrice Passy : "Le temps est venu d'expliquer de l’intérieur ce que des partenaires français peuvent percevoir comme des défauts, voire des défaillances"

Vendredi 6 Mars 2015 - 14:15

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Le Franco-Congolais Patrice Passy est intervenu, le Jeudi 5 mars, à la Chambre de commerce internationale de Paris pour sensibiliser les chefs d'entreprise français à l'importance de la prise en compte de la dimension culturelle des affaires pour le développement de leurs activités commerciales en Afrique. Pour Les Dépêches de Brazzaville, le consultant formateur en gestion des problématiques interculturelles en entreprise au sein de la société DB Conseils dont il est Directeur associé, revient sur quelques messages forts de la rencontre organisée par le Comité d'échanges Afrique-France à la Bourse de Commerce de Paris.

Lors de votre intervention, vous avez abordé le réveil identitaire africain. Est-il suffisamment pris en compte par les entrepreneurs français opérant sur le continent ?

L’Afrique souffre des effets mécaniques de la mondialisation et subit particulièrement l’excitation du préfixe multi (multi-partenaires, multi-offres de développement, multi-cultures, multi-confessions, etc.). Pour la première fois les Africains ont le choix entre plusieurs offres de développement économique. Cette possibilité de choisir s’accompagne d’un éveil identitaire, d’une reconnaissance culturelle que doivent prendre en compte les entreprises et entrepreneurs français en quête des relais de croissance en Afrique. Nous constatons sur le terrain qu’il existe trois catégories d’entrepreneurs français. La première prend en compte cet éveil identitaire car, ils sont en Afrique depuis plusieurs années, vivent au quotidien les évolutions culturelles africaines, ils y travaillent et ont fini, non pas par s’assimiler, mais par entrer dans une démarche multiculturelle, c’est à dire de respect de la différence et de la diversité de l’Autre. La seconde catégorie, est composée des entrepreneurs français qui font des allers et retours sur le continent et rencontrent certaines difficultés car le temps ne leur permet pas de s’imprégner de cette culture. Enfin, le dernier groupe manifeste à l’évidence un intérêt pour le continent et sa diversité culturelle, mais faute de compétence interculturelle et de disponibilité a du mal à interagir en bonne intelligence avec le “nouveau africain”. L’Afrique aime à être aimée, c’est presque une profession de foi. Cet amour exige du temps, de la patience, une stratégie sur le long terme, des moyens et de la régularité. Tous les entrepreneurs français qui font du « one shot », ont du mal à épouser les courbes des nouvelles évolutions culturelles africaines.

Les Chinois ont réussi avec leur approche gagnant-gagnant à grignoter des parts de marché conséquentes sur la France bien qu’ils soient présents depuis moins longtemps sur le continent. Quelle a été leur stratégie ?

Contrairement à ce que l’on pense, la Chine est présente en Afrique depuis les années 50. Les Chinois n’ont rien inventé, ils ont reproduit ce que faisaient les Français, mais en retirant l’idéologie agressive du capitalisme. Elle a su partager l’histoire commune des pays non alignés et en mettant en avant des rapports Sud-Sud et de la stratégie d’une offre économique “gagnant-gagnant”. La Chine a fait ce que les entreprises occidentales ne peuvent plus se permettre à savoir : réaliser en Afrique des investissements non productifs (route, école hôpitaux, stades, chemin de fer, etc.), mais qui ont un fort impact médiatique. Cela leur a permis de se rendre utile, de s’installer par l’image et par l’objet. Les Français l’ont fait dans les années 40/50/60 : ils ont construit des aéroports, des hôpitaux, des routes. La Chine a eu la bonne intelligence d’observer, puis de reproduire presque à l’identique les stratégies françaises de conquête des marchés africains, avec une communication politique en phase avec les attentes africaines, le tout dans un package militaro-diplomatique soutenu par une politique volontariste et financier de l’État. La stratégie a été celle des petits laboratoires (essai-erreur-amélioration continue) dans les domaines porteurs (TIC, matières premières, agriculture), non porteurs (ingénierie publique, prêt à taux zéro, etc.).  Ils ont évité tout choc frontal avec la puissance française en mettant en place une stratégie de la petite porte (financer des projets à perte, mais permettant la mise en place de l’infrastructure nécessaire aux projets structurants rentables). La Chine s’est présentée en amie venue aider d’autres pays en difficulté en leur permettant de gagner. Ce qui n’est pas faux puisque la croissance africaine actuelle est tirée presque par  la Chine.

L' importance de l'aspect culturel intégré dans les négociations commerciales avec la Chine et Moyen Orient semble occulté par les entreprises françaises dès lors qu'il s'agit de l'Afrique. Pourquoi ?

Quand la France était en situation de monopole, elle n’avait pas de difficultés. Ce sont les Français qui ont créé le marché africain. L’arrivée de la Chine est venue déranger le système. Elle a mis en avant toutes les faiblesses, tous les défauts, trahi toutes les négligences de la relation commerciale antérieure. Et c’est cela que la France tente de régler.

N'est-ce pas exposer les Africains que de dévoiler aux autres tous nos ressorts culturels et schèmas mentaux ?

Le but de mon intervention à la CCI de Paris ce matin sur le thème "La dimension culturelle des affaires : quelle importance pour vos activités commerciales en Afrique ? " était d’inciter les entreprises françaises exportatrices à prendre en compte la dimension culturelle dans leur relation avec l’Afrique. Depuis une dizaine d’années, nous avons développé une expertise rare en France à savoir le management des diversités franco-africaines. L’objectif pédagogique est d’expliquer l’Afrique et les Africains aux Français. De décoder nos moeurs, us et coutumes pour mieux se faire comprendre et priver de terreau français des stéréotypes sur l’Afrique. La diversité est une richesse, il s’agit d’enrichir l’Autre par notre explication du monde et de nos fondamentaux culturels. Ainsi que le disent les Chinois : « On ne connaît une personne que dès l’instant où elle ouvre sa bouche ». Les Africains veulent désormais se faire connaître et présenter leurs ressorts culturels, car nous souffrons tous d’un problème de communication, de valorisation identitaire, de positionnement social. C’est ce combat que l’on mène dans les écoles de management, de commerce, les instituts, les chambres de commerce et d’industrie pour expliquer de l’intérieur, ce que des partenaires français peuvent traiter comme des défauts, voire des défaillances alors que pour nous, culturellement, il s’agit de l’ensemble de nos réponses créées par nos groupes pour faire face aux sollicitations de la nature. 

Propos recueillis par Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Patrice Passy, directeur associé de DB Conseils lors d'une intervention à la Chambre de commerce et d'industrie de Paris