Interview. Thomas Dermine : « L’accès à ces objets ne peut pas être réservé aux sociétés occidentales ou aux diasporas qui vivent en Europe »

Samedi 17 Juillet 2021 - 17:27

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Thomas Dermine est le secrétaire d’État belge pour la relance et les investissements stratégiques, chargé de la politique scientifique, adjoint au ministre de l’Economie et du Travail. Il est chargé du dossier de la restitution des œuvres d’art acquises pendant la colonisation.

 

 

 

 

 

 

 

 

Le Courrier de Kinshasa : Quel est le cadre systémique  pour la restitution, à la République démocratique du Congo, de certaines œuvres d’art se trouvant actuellement en Belgique ?

Thomas Dermine : Notre approche repose sur trois principes fondamentaux : séparation de la question du transfert de propriété de la question de la restitution matérielle : trop souvent, les discussions concernant les objets issus du passé colonial ont été bloquées par un argument lié aux conditions de conservation. Notre approche permet notamment de contourner ces blocages, d’apporter une réponse à la question symbolique et essentielle de la propriété (par un transfert immédiat de la propriété des objets dont il a été démontré qu’ils ont été acquis de manière illégitime) et de construire les conditions pour la conservation et le renforcement des collaborations scientifiques et culturelles ; reconnaissance juridique du caractère aliénable : cette reconnaissance concerne  l’ensemble des objets dont il n’a pas encore pu être déterminé que la Belgique les a acquis de façon légitime. Il faudra d’ailleurs accélérer les études de provenance avec des équipes scientifiques mixtes, ce qui impliquera des moyens budgétaires supplémentaires ; approche basée sur le dialogue entre les autorités de la RDC et de la Belgique : le dialogue entre les deux pays est le fil rouge de la démarche puisque le transfert matériel des objets (au-delà de la cession de la propriété) doit s'inscrire dans un cadre diplomatique bilatéral, idéalement en concertation avec la Coopération au développement pour renforcer les conditions de conservation.

LCK : Qu’est-ce qui motive cette restitution aujourd’hui et combien d’œuvres d’art à restituer ?

TD : La colonisation et certaines exactions commises dans ce cadre ont longtemps privé des générations de Congolais d'un accès à leur patrimoine, à leur histoire, à leur culture, à la créativité et à la spiritualité de leurs ancêtres. On ne peut pas changer le passé. La Belgique devra vivre avec cet héritage et ce passé colonial trouble. Cependant, il est de notre ressort collectif d'agir sur le présent afin de modifier l'avenir. Le nôtre et celui des générations futures. Ici en Belgique mais aussi au Congo. A travers ce travail sur la restitution, nous voulons nous engager dans ce sens. Main dans la main avec l’État congolais.

Nous voulons donc renforcer les études de provenance afin de démontrer quels objets ont été acquis de façon légitime et illégitime. Il est impossible de dire aujourd’hui de combien d’objets il s’agit. Ce sont les études de provenance qui le détermineront.

 LCK : Quels sont les critères établis pour la sélection des œuvres à restituer ?

TD : Notre approche se base sur un travail d'inventaire et la classification des objets acquis durant la période coloniale au Congo en trois catégories : catégorie 1 : les objets pour lesquels nous savons qu'ils ont été acquis de façon illégitime – dont la propriété juridique sera transférée immédiatement, dans l’attente d’une restitution matérielle éventuelle. Catégorie 2 : les objets pour lesquels nous savons qu'ils ont été acquis de façon légitime – qui resteront propriété de l’Etat belge. Catégorie 3 : les objets pour lesquels nous ne savons pas – qui feront l’objet d’études de provenance. Les objets qui ont été acquis par la force ou comme butin de guerre peuvent en tout cas être considérés comme ayant été acquis de façon illégitime.

LCK : Pour restituer les biens, il faut les transférer du domaine public de l'Etat, inaliénable, au domaine privé. Comment va se dérouler ce transfert ? Sur quelle base juridique ?

TD : Actuellement, nous sommes en train d’évaluer la norme juridique la plus adéquate afin de consacrer le caractère aliénable à des fins de restitution des objets pour lesquels nous ne connaissons pas les conditions précises et définitives de leur provenance.

LCK : La RDC n’a pas encore fait de demande officielle pour la restitution de ces œuvres. Sur quoi porte vos discussions avec les autorités congolaises ?

TD : A ce stade, sur la base de l’approche validée par le gouvernement belge, nous entamons le processus de concertation et le dialogue avec les autorités congolaises afin de travailler aux modalités précises et au renforcement de nos collaborations scientifiques et culturelles.

LCK : Une conférence internationale sur la restitution des œuvres spoliées pendant la colonisation sera organisée en 2022 en Belgique ? Quelle est la pertinence de l’organisation de cette conférence et quel sera son objectif ?

TD : Notre objectif est que la démarche initiée en Belgique puisse servir d’exemple à l’international. Nous voulons rédiger le programme en collaboration avec le monde scientifique et académique en Belgique et au Congo afin de pouvoir proposer, en 2022, cet évènement à vocation internationale.

LCK : En dehors de l’Africa Museum, d’autres musées en Belgique détiennent-ils des pièces à restituer  ?

TD : Les objets concernés sont conservés, étudiés et valorisés dans les établissements scientifiques fédéraux, dont principalement l’AfricaMuseum à Tervuren, mais également dans d’autres institutions dont j’ai la tutelle en tant que secrétaire d’État chargé de la politique scientifique.

LCK : Certaines personnes ont qualifié de paternaliste le fait que vous ayez dit « en reprendre possession  peut les aider à construire leur identité et réfléchir à des pistes d’avenir pour leur pays », comme si les Congolais attendaient le retour des masques et statues pour retrouver leur identité et dessiner leur avenir. Comment réagissez-vous à ce point de vue ?

TD : Si j’ai froissé certains, je vous prie de m’en excuser. Il est évident que les Congolais ne m’ont pas attendu. Il en va d’abord et avant tout de l’accès de la jeunesse africaine à des objets issus de sa propre culture. L’accès à ces objets ne peut pas être réservé aux sociétés occidentales ou aux diasporas qui vivent en Europe. Il me semble que cet accès est essentiel, et que tous les êtres humains doivent pouvoir accéder à leur passé, via des objets.

LCK : Quelle est la prochaine étape dans cette procédure de restitution ?

TD : Construire au plus vite un dialogue avec les autorités congolaises.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Thomas Dermine, le secrétaire d’État chargé de la politique scientifique, lors de la Conférence de presse à l’AfricaMuseum, le 6 juillet © Tous droits réservés

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