Interview. « Congo : des arbres et des hommes », une émission de TV5 Monde à ne pas manquer

Lundi 24 Avril 2023 - 12:30

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TV5 Monde consacre son magazine « A la vie A la terre » à la forêt congolaise, à sa population, ses agents, sa faune et sa flore en général. Vaste sujet qui pose une interrogation clé : comment associer modernité et développement durable ? Pour y répondre, une équipe est partie explorer le terrain et a rapporté de son périple des images et des témoignages instructifs. Un magazine présenté par Chloé Nabedian à ne pas manquer mercredi soir. Entretien avec Françoise Joly, directrice de l'information de TV5Monde et rédactrice en chef du magazine.

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Qu'est-ce qui vous a incité à partir en reportage en République du Congo ?

Françoise Joly (F.J.): La République du Congo est l'un des six pays du bassin du Congo qui appartient à ce que l'on appelle désormais le deuxième poumon vert de la planète grâce à la richesse de sa forêt primaire et de ses tourbières. L'importance de ces dernières a été mise au jour il y a seulement quelques années. C'est encore une richesse, notamment en termes de séquestration de CO2, qui demande à être explorée, ce à quoi s'emploient notamment des chercheurs et doctorants congolais. Nous sommes allés sur le terrain avec eux.  Par ailleurs, le Nord de la République du Congo possède une forêt enclavée, longtemps à l'écart de toute activité anthropique. Cela en fait un sanctuaire de biodiversité, préservée notamment par des aires protégées mises en place par les autorités en partenariat avec des organisations non gouvernementales. Nous nous sommes intéressés à tous ces enjeux, précisément leur impact sur la population autochtone, sentinelle de l’environnement, parmi les meilleures connaisseuses de ces écosystèmes.

L.D.B. : Vous évoquez dans ce sujet très approfondi les problématiques de déforestation. Mais le Congo a mis en place des procédures et des contrôles pour préserver l’écosystème de ses forêts, concrètement avec la loi de janvier dernier interdisant l’exportation des grumes à l’état brut. Avez-vous approché ces réalités ?

F.J. : Bien sûr. Nous avons pu avoir accès à la compagnie forestière CIB (Congolaise industrielle des bois) qui exploite la forêt au Nord du Congo. Toutes ces questions ont été évoquées, à savoir l'obligation de la transformation des grumes dans le pays. Une disposition de l'Etat congolais pour, entre autres, ne plus permettre le transport de ces énormes troncs d'arbres, extrêmement lourds et gorgés d'eau, dont l'empreinte carbone en termes de transport est très élevée. La CIB bénéficie d'un label parmi les plus exigeants concernant l'exploitation forestière. Mais la plus grande partie des entreprises forestières n'a pas encore fait l'effort de se conformer à ce label. Il y a là un réel enjeu pour l'avenir. Par ailleurs, travailler le bois sur place avec des scieries, recycler les déchets ligneux permet également de créer de l’emploi et de participer au développement de ces zones géographiques de façon responsable à défaut de durable. C'est un atout pour la population locale. Et c'est toute cette complexité que nous abordons : comment préserver des écosystèmes et en même temps développer économiquement le pays.

L.D.B. : Vous êtes venues à la rencontre des populations autochtones Aka. Un peuple confronté à la modernité, à la sédentarisation, au risque de perdre ses traditions. Ces craintes, les avez-vous partagées avec ces familles ?

F.J. : Nous avons rencontré plusieurs communautés de peuples autochtones. Les Aka, mais aussi les Mbenzele. Nous avons partagé leur quotidien, marché et dormi en forêt avec eux. Ils nous ont expliqué ce que représentent ces forêts dans leur culture. Elles les nourrissent, les soignent et participent à un certain nombre de leurs rituels, leurs croyances. Leur organisation sociale a pour base leurs activités dans la forêt. Ils la vivent au jour le jour, depuis la nuit des temps. Ces peuples de chasseurs-cueilleurs sont de fins observateurs du changement climatique qui affecte déjà ces espaces. Ils trouvent moins de gibiers, de poissons dans les rivières, le miel sauvage qu'ils collectent au sommet des arbres et dont ils sont gourmands se raréfie. Leurs expériences et témoignages sont précieux pour comprendre que désormais, le dérèglement climatique n'épargne plus aucun espace. Même des sites où la nature se révèle encore dans sa dimension la plus entière, la plus inexplorée, et que l'on pourrait croire encore préservée.

L.D.B. : Le séjour passé avec cette population réputée pour son accueil a-t-il permis de créer un lien particulier et pour vous quelle forme a pris cette découverte ?

F.J. : C'était une expérience absolument inédite. Elle nous a fait partager tous ces gestes du quotidien qui montrent combien cette forêt est précieuse. Elle nous a montré comment elle se déplace dans ces espaces, comment elle trouve son chemin, les plantes qui lui permettent de se laver, celles qu'elle consomme, les écorces d'arbre qui servent de condiments ou de médicaments. Nous les avons vu construire leurs campements éphémères encore une fois grâce aux ressources de la forêt. Nous avons pu participer avec les femmes et les enfants à une séance de pêche dans un petit cours d'eau au cœur de la forêt. Malheureusement, pas très fructueuse. La population voit ses ressources se raréfier. Elle s’inquiète et se sent parfois mise à l'écart en raison de certaines décisions, notamment prises pour créer des zones protégées. Elle a le sentiment que l'avenir de la faune est plus important que le sien.

L.D.B. : Les tourbières jouent un rôle important dans les écosystèmes en piégeant le carbone dans les sols. Pouvez-vous nous l’expliquer et que faut-il faire pour les préserver ?

F.J. : Nous avons accompagné sur le terrain l'un des plus grands spécialistes des tourbières, le Pr Suspense Averti Ifo et de jeunes doctorants congolais. Avec eux, nous nous sommes rendus dans une zone humide de la Cuvette. Ils ont été extrêmement pédagogues pour nous expliquer leur travail et l'enjeu de ces tourbières. En fait, ces tourbières sont comme un immense compost, une litière organique qui s'est formée au fil des siècles et même des millénaires, grâce aux feuilles des arbres, des plantes, aux racines, aux déjections animales, transformées sous l'action de toute la microfaune (vers, chenilles, fourmis, etc.) qui les digère et le restitue.

Ces matières organiques séquestrent, emprisonnent le carbone empêchant sa libération dans l'atmosphère. Ce sont des quantités gigantesques, des dizaines de milliards de tonnes qui se sont formées, je le répète, sur une période extrêmement longue. La tourbière s'agrandit de quelques millimètres par an. Celle de ces forêts se mesure sur plusieurs mètres de profondeur. Si les tourbières du bassin du Congo venaient à être abimées, elles pourraient relâcher dans l'atmosphère l'équivalent de trois années et demie de production de C02 de l'ensemble de la planète. Cela participerait de façon phénoménale au dérèglement climatique.

Il est donc impératif de les préserver, d'autant que le réchauffement climatique pourrait les affecter grandement en asséchant les zones humides nécessaires à leur survie.  Pour les conserver, il faut réduire autant que possible l'activité humaine dans ces zones, les sanctuariser en quelque sorte. Et pour cela il y a des instruments, comme le marché carbone.

L.D.B. : En conclusion, comment est-il possible de concilier le développement économique auquel aspire le pays avec la préservation des forêts, la protection des animaux et la survie de la population ?

F.J. : C'est bien là toute la complexité, comme je le disais auparavant, de ces problématiques. La question du développement économique est évidemment une nécessité pour assurer à la population un mieux-vivre et de la responsabilité de l'Etat de concilier ce développement avec la préservation des écosystèmes ainsi que de la biodiversité. C'est un pari difficile, d'autant que les pays industrialisés du Nord se sont développés eux sans se préoccuper de ces équilibres ou alors tardivement. Ce sont ceux qui émettent le plus de gaz à effet de serre qui aujourd'hui demandent notamment aux Etats qui ont des forêts et des tourbières essentielles dans la lutte contre le réchauffement climatique de préserver ce capital essentiel à l'avenir de la planète. Mais à quel prix ? Des mécanismes de dédommagement sont prévus depuis les accords de Paris. Sont-ils suffisants ? S'appliquent-ils vraiment et comment ? Faut-il les repenser ? A l'issue de ce reportage, nous avons acquis une seule certitude. Nous sommes toutes et tous les habitants d'une seule et même planète qui n'échappera pas à un questionnement qui concerne l'ensemble de la population du Nord comme du Sud.

Quel avenir est le nôtre, si nous ne regardons pas ensemble, dans la même direction, dans un esprit de justice, d'équité et de respect, cette nature si précieuse qui nous fait vivre ? Des initiatives existent, parfois à petite échelle, portées par des femmes et des hommes de bonne volonté.  Elles méritent que l'on s'y intéresse et que chaque voix soit entendue.

« A la vie A la terre », TV5 Monde. Mercredi 26 avril 2023 à 22 heures

Disponible gratuitement sur TV5MONDEplus ( https://www.tv5mondeplus.com/fr) dès le 27 avril.

 

« Si les tourbières du Bassin du Congo venaient à être abîmées, elles pourraient relâcher dans l'atmosphère l'équivalent de trois années et demie de production de C02 de l'ensemble de la planète. »

« Des mécanismes de dédommagement sont prévus depuis les accords de Paris. Sont-ils suffisants ? »

Crédit photo: CL2P/Christophe Lartig

Propos recueillis par Julia Ndeko

Légendes et crédits photo : 

Chloé Nabédian et Sorel Eta / CL2P/ Christophe Larting

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