Evocation : le cyclone Evoloko et la révolution de la rumbaVendredi 9 Octobre 2020 - 15:42 Le musicien kinois Evoloko aujourd’hui en retrait des estrades est un de ses hommes au destin hors de commun. Bénéficiaires de la grâce divine, ces hommes prédestinés descendent de temps en temps sur terre, pour un laps de temps, montrer la voie à la multitude dans un domaine d’activité que le Maître des cieux leur a prescrit. Ce sont des météores. Au temps de sa grâce, Antoine Evoloko survola à la vitesse d’un météore la scène musicale congolaise qu’il révolutionna à tout jamais. Il était alors populairement connu sous diverses appellations : Evoloko Anto, Evoloko Lay Lay, Evoloko Lay Ngoy, Evoloko Joker, Evoloko Atshuamo, Evoloko Koumou… A tout seigneur, tout honneur ! Au commencement de la musique congolaise des deux rives étaient Paul Kamba et Wendo Kolosoy. Deux figures éponymes incontestées et incontestables. Fils spirituel de Paul Kamba, en 1953, Antoine Moundanda fit trembler Kinshasa, l’Europe des Noirs (Poto Moyindo, en lingala) avec son tube « Tata Pôhlo » dédié à la mémoire de Paul Kamba. Avec son second succès, «Nzila ya Ndolo » il s’assura momentanément la tête du peloton dans la compétition pour le leadership de la musique produite sur les rives du pool Malebo. Mais sa musique accompagnée par un instrument local, le piano à lamelles ou « likembé », n’eut pas d’épigones : jusqu’à sa mort en 2013, le maître, sans désespérer pour le futur, n’eut pas de successeur. Courant les années 1950 et particulièrement à partir des années 1955 jusqu’à la fin de la décennie, de nouveaux athlètes prirent le départ dans les startings blocks de la musique congolaise. François Luambo Makiadi dit Franco de Mi Amor, Joseph Kabasélé dit Grand Kallé, dit Kallé Jeff, Essous Jean Serge dit Trois S, Nganga Edo, Nino Malapet Edo et d’autres noms vont éclore. Après l’essai de Moundanda au début des années 50, c’est Joseph Kabasélé « Kallé Jeff » qui s’imposa à l’unanimité générale, au commencement des années 60, comme le digne successeur des deux pères fondateurs Paul Kamba et Wendo Kolosoy. A la tête de son groupe, l’African Jazz, Kallé Jeff fut et, est considéré à juste titre comme le père de la musique congolaise moderne. Organisateur, compositeur, chanteur à la voix de rossignol d’un lyrisme achevé, Kallé Jeff est le Zeus de la musique congolaise. De sa cuisse sont nés les légendaires Dr Nico Kassanda, le Seigneur Rochereau, le talentueux Joseph Mulamba « Mujos », Johnny Bokelo Isengé, Jeannot Bombenga et tant d’autres. Quand le maître se retira, deux écoles se firent face et se disputèrent le leadership devenu vacant. Franco n’avait pas joué dans l’African Jazz, mais le genre de la musique dite rumba qu’il jouait n’était pas éloignée de celle de Kallé Jeff dont Pascal Tabou, le Seigneur Rochereau, était l’héritier naturel. Dans la seconde moitié des années 60, Rochereau et Franco dictaient leur loi sur les estrades congolaises. Bienséante, douce, feutrée, la rumba était conçue comme une musique qui se dansait en couple le plus doucement possible. Contrairement à nos danses traditionnelles cadencées et viriles, le monde de la rumba était plus tôt soporifique. Tout allait dans ce sens : sur la scène, les musiciens bon enfant, élégamment vêtus, avec voix et gestes millimétrés, conventionnels importés de la bonne société, de la haute société. Sur la piste, les mélomanes accouplés bougeaient doucement comme des statues de verre au rythme de cette rumba qu’on qualifia de « rumba tranquille ». Rébarbative et monotone, cette musique devait un jour ou un autre se refonder ou disparaître. En haute mer l’œil du cyclone Evoloko annonçait des bouleversements irréversibles. (suite)
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