Interview. Bruce Mateso : « La femme est au cœur de l’histoire et de la destinée humaine »Jeudi 24 Mars 2022 - 19:16 « Nimi A Lukemi, roi du royaume Kôngo », livre de 224 pages édité chez Paari, retrace la vie d’un roi forgeron, personnage qui a marqué son temps car considéré par son peuple comme un mythe et une légende. La forme romancée du livre pousse le lecteur à se questionner, à se repositionner par rapport à l'histoire du royaume Kongo, et même de l'Afrique très souvent édulcorée. Zoom sur cet ouvrage qui donne la possibilité au Congolais de se réconcilier avec son passé, son histoire. Entretien avec l'auteur Bruce Mateso. Les Dépêches du Bassin du Congo (LDBC) : Votre actualité en ce moment porte sur votre ouvrage "Nimi a Lukeni", roi forgeron du royaume Kongo. Pouvez-vous nous parler de ce mystérieux personnage considéré comme un mythe et une légende ? Bruce Mateso (B.M) : Nimi a Lukeni (parfois appelé Lukeni lua Nimi ou Nimi a Lukeni lua Nzinga) est le fondateur de Kongo dia Ntotila, du kintotila kia Kongo comme disent l’anthropologue Fu kiau Bunseki ainsi que l’historien Mbala Lussinzi Vita. Ce que l’historiographie actuelle appelle le royaume Kongo, situé au sud du Congo, le nord de l’Angola et l'extrême sud-ouest de la République démocratique du Congo, probablement fondé entre le VIIIe et le XIIIe siècle. Toutes les traditions kongo le décrivent comme l’archétype du chef héroïque : exceptionnel, transgresseur mais aussi créateur. Il est plus connu sous le vocable de Ntinu Mwene, désignant sa fonction de chef vénérable plus que ses lignages LDBC: Pouvez-vous nous donner les détails de son accession au pouvoir ? Comment a-t-il pu surmonter les obstacles pour créer le Kongo Dia Ntotila ? B.M.: Nimi a Lukeni est le cadet de son lignage, au sein du royaume de Vungu (situé dans le Mayombe). S’il est fils du chef Nimi a Nzima, en tant que nleke, il lui est impossible de régner. Or, il lui semble et ses camarades sont en accord avec lui, qu’il en a toutes les qualités : habile forgeron, redoutable chasseur. C’est là le point de départ de Nimi a Lukeni qui décide de quitter Vungu, pour avoir un territoire propre à lui. Avec des partisans, il s’installe aux abords du fleuve Mwanza (le fleuve Congo) et décide d’imposer un péage aux marchands. Et là commencent alors les premières péripéties, la suite est dans le livre… LDBC : Pourquoi Kongo dia Ntotila attire-t-il la convoitise des Européens tout au long de son histoire ? B.M. : Bien plus tard, des siècles après Nimi a Lukeni, Diego Cao débarque à Mpinda, port dans la province de Soyo, à Kongo dia Ntotila. Après avoir parlé avec les côtiers, Il y eut méprise, les Portugais ayant confondu Kongo dia Ntotila avec le royaume mythique du prêtre Jean (un royaume légendaire tantôt situé en Asie tantôt en Afrique dirigé par un roi-prêtre, et au final qui sera assimilé à l’Abyssinie, l’Ethiopie impériale). Après diffusion de cette confusion, Kongo dia Ntotila débuta des siècles de relations inégales avec le royaume du Portugal, marquées par l’évangélisation et la traite esclavagiste. Ce qui attisa le plus les colons portugais fixés à Luanda dès 1580, ce sont les mines de cuivre, d’or et d’argent, réelles ou supposées, notamment les gisements de Mindouli et de Boko-Songho, faisant alors la prospérité de la province de Nsundi. LDBC : Comment les nkulu (ancêtres) et les simbi (génies gouvernant les forces naturelles) accompagnent-ils Nimi a Lukeni, selon les Kongos ? B.M. : Un ngana, proverbe kongo, dit "Akulu, afwa kimeso kansi ka kimatu ko" (Les ancêtres sont morts pour notre vue, mais pas pour notre écoute.) Ils sont les biba, bawu ba soba nitu (ceux qui ont changé de corps), ils nous accompagnent et nous guident, comme des anges gardiens. Comme aux simbis, ce sont des entités spirituelles gouvernant les forces de ce monde. Et ce sont ces forces que Nimi a Lukeni a domptées, pour pouvoir à son tour gouverner le monde Nza. Et créer Zita dya Nza, le centre-nombril du monde, que représente Mbanza-Kongo. D’où la célèbre observation que fit Georges Balandier, le célèbre sociologue français sur la place de Mbanza-Kongo dans l’imaginaire : il s’agit d’une ville magnifique où chacun des rameaux dispersés à sa rue et où chaque individu a la certitude de trouver une parenté prête à l’accueillir. LDBC : Quelle est la place de la femme dans votre récit ? B.M. : Les Kongos ont comme matrice une société matrilinéaire où les femmes sont à la base, représentent les ancêtres les plus vénérables. De Mâ Ngunu (ancêtre femme commune bakongo et bateke) à Kimpa Vita, en passant par Nkenge la matriarche kongo aux multiples aventures dans les contes, la femme (nkento) tient une place primordiale en tant que souche de la société kongo. Dans Nimi a Lukeni, sa sœur Sundi (qui donnera son nom à la province tout comme à son fils Ma Sûndi Gidi, le premier mwene sundi) est le pendant féminin de Nimi a Lukeni, fondatrice de la province de Sundi, celle qui deviendra le matrimoine des ntotila (rois kongo). Lukeni, la mère de Nimi a Lukeni, est celle qui crée en lui l’ambition de régner. Nzinga est celle qui rend possible le règne de Nimi a Lukeni. La femme est, même dans une aventure masculine, au cœur de l’histoire et de la destinée humaine, à son commencement et à son accomplissement. La matrilinéarité est ainsi une richesse et une source d’épanouissement à revigorer et à amplifier et non un frein. Propos recueillis par Berna Marty Légendes et crédits photo :1- Bruce Mateso
2- La couverture de l'ouvrage Notification:Non |