Paul Obambi : "les décideurs congolais ont un train de retard sur l’évolution du secteur privé"

Mercredi 25 Février 2015 - 17:00

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Le Pdg du groupe Sapro et président de la Chambre de commerce et d’industrie de Brazzaville, Paul Obambi, vient de séjourner à Casablanca du 19 au 20 février. Il comptait parmi les invités à la 3ème édition du forum international « Afrique Développement » co-organisé par le groupe Attijariwafa bank et Maroc Export.  « Le temps d’investir », tel a été le thème de cette rencontre des décideurs économiques. Dans une interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville, le patron des patrons congolais plaide pour un secteur privé compétitif, et à même de booster la croissance.

LDB : On a constaté au cours du forum une forte participation du secteur privé des autres espaces communautaires, Afrique de l’Ouest et Afrique de l’Est. Mais une faible participation de l’Afrique centrale, notamment du Congo. Comment l'expiquez-vous ?

Paul Obambi : L’explication à cette faible représentativité se situe à deux niveaux. La première est institutionnelle, car le cadre macro-économique tel que tracé au Congo ne permet pas aujourd’hui au secteur privé de s’épanouir vu que peu d’acteurs de ce secteur se tournent vers un secteur privé formel. En effet, chacun essaie de tirer des revenus dans une gymnastique indescriptible. Or, ceux qui sont invités à ce forum marocain évoluent dans un cadre formel avec des capitaux propres. La deuxième dimension est certes institutionnelle mais intimement liée au problème de libre échange à l’intérieur de la sous-région d’Afrique centrale qui connaît des problèmes de mobilité des personnes et des biens. Ceci, à cause de l’institution des visas qui compliquent la situation aux chefs  d’entreprise.

Je prends l'exemple de Brazzaville et Kinshasa, deux villes les plus rapprochées au monde, qui viennnent d'instituer un visa pour leurs citoyens souhaitant se rendre dans l'une ou l'autre ville. Certes qu’il y a des problèmes de sécurité et de politique, mais je pense que tout  ceci devrait être cerné entre les États afin de faciliter la mobilité. N'oubliez pas que Kinshasa représente, pour nous autres opérateurs, un grand marché avec presque 15 millions d’habitants contre un million et demi pour Brazzaville. Ces mesures sont réductionnistes comparé au Cameroun qui a beaucoup investi dans le secteur primaire en s’ouvrant même au marché nigérian.

LDB : Nous avons constaté une sous-représentation du Congo au plus haut niveau à ce forum. Que perd le Congo quand ses décideurs manquent à de telles rencontres ?

P.O : Je crois que les décideurs congolais ont un train de retard sur l’évolution du secteur privé. Nombreux n’ont pas encore compris la dynamique du secteur privé. On le dit assez souvent dans les discours auxquels je n’y crois personnellement pas. Vous avez raison : il n’y a eu aucun ministre congolais contrairement à l’Afrique de l’Ouest dont on a noté la participation des ministres d’État et autres en charge des questions économiques à ce forum. Je suis désolé pour le Congo alors que la rencontre permet de présenter notre modèle et notre plan de développement à l’instar du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et même du Gabon qui y étaient fortement représentés.

Voyez-vous : près de dix pays ont eu des stands sauf le Congo ! Je pense qu’investir dans un tel secteur est beaucoup moins cher qu’un meeting organisé au Boulevard des armées. J’appelle donc à une prise de conscience des acteurs publics car le secteur privé a un rôle considérable à jouer pour la croissance et la résorption du chômage des jeunes. Je pense que ce n’est pas l’argent qui a manqué pour payer le billet d’un des membres du gouvernement pour représenter le Congo. Je suis scandalisé et je le dis en toute responsabilité.

LDB : Un mot sur le thème du forum , « Le temps d’investir » ?

P.O : beaucoup d’éléments regroupés font que la question concernant l’investissement occupe aujourd’hui l’actualité en Afrique.  On note actuellement l’émergence d’une classe moyenne. Ceci dit, l’Afrique étant attractive, il est important d’investir dans ce continent.

LDB : Pensez-vous que la coopération Sud-Sud s’impose à l’heure actuelle comme un levier pour le développement économique de l'Afrique ? 

P.O : Effectivement. Cette coopération s’impose à nous d’autant plus que l’Afrique est notre marché intérieur. Les blocs se sont constitués, notamment l’Europe et l’Asie, et en face se trouve l’Afrique. D’où la nécessité pour nous de nous développer à l’intérieur, tant au plan public que privé. Imaginez qu'un pays comme le nôtre se situe à peine à 2,8% dans le commerce inter africain. Je pense que la coopération Sud-Sud est une dimension obligatoire et indispensable pour un bon démarrage.

LDB : Comment les pays africains doivent-ils s’y prendre afin de susciter des investissements de qualité ?

P.O : Au niveau public, tous les pays s’accordent à disposer d’un plan de développement pour aller vers l’émergence et donc vers la qualité. À ce sujet, le secteur privé est concerné au premier chef dans la mesure où il reste le moteur de croissance et donc le pourvoyeur d’emplois. Malheureusement, le financement demeure, jusque-là, un réel problème pour le secteur privé, surtout au Congo, au regard du difficile accès aux crédits bancaires qui exigent des contreparties à la hauteur des montants sollicités. Cela ne freine-t-il pas aussi la croissance ? Je pense aussi que l’attitude des banques est aussi liée au mode de fonctionnement de nos entreprises qui doivent beaucoup plus aller vers le caractère formel.

Guy-Gervais Kitina

Légendes et crédits photo : 

Paul Obambi, Pdg du groupe Sapro et prdt de la chambre de commerce et d'industrie de Brazzaville/ photo guy-gervais Kitina - Adiac.