Investissement & Développement : Jean-Michel Severino : « l’Afrique est en train de se constituer son propre marché »

Lundi 31 Octobre 2016 - 16:30

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L’ancien directeur général de l’Agence française de développement  (AFD), président du fonds Investisseurs et Partenaires (I&P), Jean-Michel Severino est convaincu que l’Afrique va faire la différence.

Il a présenté le fonds I&P comme un fonds d’investissements classique à travers ses apports de capital dans les sociétés investies et la revente des actifs visant à impacter par l’entreprise dans laquelle il s’implique d’autres environnements que financiers. Les objectifs  de ce fonds destinés aux PME africaines sont, à la fois la rentabilité financière ou de création de valeur, et surtout de rentabilité d’ordre social, environnemental et de développement. On peut attribuer à Jean-Michel Severino l’attribut de pionnier  de la vision qui a finalement gagné le monde : « le 21ème  sera le siècle de l’Afrique ».

Les ressorts du développement de l’entrepreneuriat africain

L’ancien patron de l’Afd s’appuie sur quelques indices objectifs. En 2050 par exemple, le Pib de l’Afrique pourrait se rapprocher de celui de l’Union européenne (UE) ; sa population sera de 2 milliards d’habitants. Une réalité qui va changer le cours de choses, notamment avec ses partenaires et voisins, en particulier l’Europe et la France. Il invite donc ces derniers à comprendre « les ressorts de ce développement pour en mesurer la pérennité et mieux s'y arrimer et construire un partenariat productif pour un avenir mieux partagé ».

Le patron du fonds I&P explique le basculement de l’Afrique vers le chemin entrepreneurial grâce à une combinaison de plusieurs facteurs : la libéralisation des politiques économiques dans les années 1990, qui a fini par porter ses fruits ; un faible recrutement dans le secteur public ; des conditions de vie des populations améliorées et l’émergence d’entrepreneurs issus de la classe moyenne et créant des emplois salariés. Du coup, il pense que l’Afrique «  est en train de se constituer son propre marché ».

Pour lui, être un entrepreneur africain aujourd’hui,  c’est être habité par une « volonté acharnée et une grande capacité à surmonter une vie quotidienne extrêmement éreintante » ; c’est être doué d’une grande intelligence opérationnelle,  de la persévérance et être résilient devant les difficultés à affronter. Mais il reconnaît une forte implication dans l'innovation technologique dans les trois groupes d’entrepreneurs africains, endogènes, issus des communautés ethniques particulières (Libanais, Turcs, Grecs, Indiens...),  et la diaspora (elle vit en Europe, aux Etats-Unis, au Canada, voire en Chine), jouant un rôle de plus en plus actif avec une implication à l’échelle de la révolution que vit le continent.

Les difficultés multidimensionnelles de l’entrepreneur africain

Ce qui fait encore obstacle, souligne-t-il, c’est l'accès aux financements, les problèmes infrastructurels, juridiques et institutionnels. Les entrepreneurs africains, tous horizons confondus, sont confrontés à ces difficultés. Jean-Michel Severino appelle à plus de pro-activité de la part des banques, malheureusement « entravées par un certain nombre de facteurs macroéconomiques », les coûts d'exploitation, des contraintes administratives, le coût élevé de l'épargne qui rend très cher le crédit, l'insuffisance de ressources longues, un taux de sinistres dans un environnement des PME généralement informelles.

« Cela explique que le terrain soit de plus en plus investi par des institutions de microfinances plus souples et plus adaptées, institutions dans lesquelles certaines banques n'hésitent pas à investir pour avoir une posture plus dynamique »,  précise-t-il.

A ces difficultés, s’ajoute la cohabitation entre le formel et l’informel où il faut se frayer une voie au travers des formalisations compliquées, surtout pour les entrepreneurs du secteur informel, parfois analphabètes (charges sociales, impôts, frais juridiques..), et affronter la compétitivité, apporter une valeur ajoutée à leurs valeurs en investissant dans la qualité et dans la marque. Ce qui appelle à une restructuration globale « qui leur donne accès aux circuits officiels de financement mais avec de nouvelles exigences comme disposer de garanties pour obtenir un prêt, accepter des investisseurs dans leur capitale et, par conséquent, partager la propriété de l'entreprise… Bref, c'est pour eux un bouleversement culturel de grande ampleur dans leurs aptitudes et dans leurs attitudes de chef d'entreprise ».

La question qui se pose c’est de savoir comment rendre la dynamique entrepreneuriale africaine inclusive ? L’Afrique connaît un marché intérieur en expansion. Les gouvernements africains doivent  de cette dynamique entrepreneuriale  une priorité de leur agenda économique. Ce qui tarde à se faire ; Or, les entrepreneurs africains gagnent mieux leur vie et créent de l’emploi. Une classe moyenne en pleine naissance. Ce qui participe à l’inclusivité  recherchée, d’autant que les produits trouvent de la clientèle. D’où un réel espoir.

L’Afrique ressemblera à l’Inde dans 20 ans

Bien loin du modèle chinois, marqué par la vente de biens et de services à l’étranger, Jean-Michel Severino voit l’Afrique ressembler beaucoup à l’Inde dans sa taille, sa diversité et son modèle économique, tiré par le marché intérieur et par l'agriculture. Par contre, sur la qualité de décisions des pouvoirs publics,  il pense que l'inspiration peut être prise auprès de la Chine qui s'est appuyée sur une administration efficace capable de mettre en place des politiques sur plusieurs décennies, et ce, de manière constante.

Il prône l’ « accélération » tous azimuts, rappelant l’impératif de trouver du travail à 450 millions de jeunes, qui prendront le chemin du travail d’ici à 2050. Il mesure la concurrence déjà présente, face à l’immensité du marché africain ; aux bailleurs de fonds, il insiste sur le besoin d’aides pour doter l’Afrique d’infrastructures et de projets à dimension sociale. « Plus que jamais, l'heure du partenariat a sonné, car l'Afrique peut contribuer à résoudre la crise de l'emploi en Europe si nous arrivons à nous arrimer à sa croissance dans la logique de bénéfices durables et partagés », conclut-il.

Noël Ndong

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