Le théâtre congolais : de Segolo à Niangouna

Samedi 29 Mars 2014 - 5:15

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Chronique d’une histoire racontée… Depuis plus de soixante ans, le théâtre congolais d’expression française a subi de profondes mutations. Son éclosion au cours de la décennie 1960 a été favorisée par la création au Centre culturel de Bacongo de l’Association du théâtre congolais (Astco) dirigée par le comédien Segolo Dia Mahoungou, dont les pièces étaient attachées aux modèles théâtraux de l’Occident. Mais au fil des années, de nombreux changements vont être opérés

Au lendemain de l’indépendance du Congo, la vie culturelle brazzavilloise est incontestablement marquée par la présence de deux foyers culturels importants, les centres culturels de Bacongo et de Poto-poto. Lieux d’expression artistique par excellence, ils accueillent à la fois orchestres, associations féminines et troupes de théâtre. Au Centre culturel de Bacongo, l’Astco vit et conquiert le public. Pendant de nombreuses années, elle demeure la seule troupe du Congo hors du « cercle des missionnaires ». Le dynamisme impulsé par Segolo fera parler de la troupe. En 1965, elle est invitée par le président Massamba-Débat à faire une représentation devant les hôtes du président de la République. La réussite de la prestation lui vaut deux promesses de la part du premier citoyen de l’époque, qui promet à la troupe de devenir le théâtre national, qui verra le jour en 1968, et la création d’un Centre de formation et de recherche en art dramatique (1970). Dans cette effervescence naissent à Brazzaville deux autres troupes, le Théâtre national de la jeunesse et le Théâtre des enseignants, tandis qu’à Pointe-Noire le premier dramaturge congolais, Ferdinand Mouangassa, lance la troupe Les Kamango. Comédies de mœurs, conflits sociaux et procès du colonisateur sont au cœur des problématiques des pièces que présentent ces troupes. Les pièces La Marmitte de Koka Mbala, Les Patriotes, Nganga Maya, etc. forment essentiellement leur répertoire. Jusqu’aux années 1975, ce théâtre s’inspire des codes du théâtre enseigné par le maître colon. Les mises en scène sont fortement marquées par la présence de trois figures récurrentes : le prêtre, le maître d’école et le chef du village.

L’amorce d’une rupture

La fin des années 1970 est à considérer comme une période où émerge une nouvelle façon de faire le théâtre apportée par une nouvelle génération de théâtreux. Matondo Kubu Turé est maître assistant de sociologie à l’UMNG de Brazzaville lorsqu’il crée les Ngunga. Arrive au même moment le Rocado Zulu. Selon Nicolas Bissi, cofondateur du Rocado, « ces deux troupes ont des styles différents, mais s’attaquent aux mêmes maux. Le théâtre de Ngunga travaillait plus sur l’expression corporelle tandis que le Rocado s’appuyait sur le texte, pratiquant le théâtre du verbe. » Dès leurs débuts, ces deux troupes signeront des pièces à succès. Chez Ngunga, on retrouve deux créations collectives, Silence, hôpital et Les Griffes de la vie, et au Rocado Sur la tombe de ma mère, de Nicolas Bissi, et La Tragédie du roi Christophe d’Aimé Césaire. « Ces deux expériences nouvelles, écrit Sony Labou-Tansi dans un manuscrit, provoquent une véritable explosion de troupes. » Le Théâtre de l’éclair d’Emmanuel Dongala et Léandre Alain Baker voit le jour. À elle seule, Brazzaville compte au début des années 1980 seize troupes. Le bouillonnement est tel que la presse parle désormais du mouvement So-Ma-Do en référence aux metteurs en scène Sony, Matondo et Dongala.

1980-1990 : l’âge d’or du théâtre congolais, son déclin et sa renaissance

Au cœur du monopartisme de cette époque, et contrairement à ce l’on pourrait penser, les heures de gloire du théâtre congolais ont existé grâce au soutien des compagnies pétrolières Elf et Agip qui aident et financent la culture. En mécènes, elles donneront aux troupes des moyens qui vont permettre à certaines d’entre elles de se représenter, en Europe notamment. La création par l’État du Prix national de théâtre et du premier festival national de la culture avec comme ossature essentielle le théâtre, le livre et le folklore donneront un vrai coup de pouce à l’épanouissement du théâtre congolais. Le Rocado Zulu se voit récompensé au-delà des frontières du pays par le Prix interafricain du théâtre de RFI. C’est aussi l’époque où nait le Lisapo, théâtre en langue locale, de Georges Embana.

Les troupes vont jouer un rôle majeur dans la formation et la circulation des comédiens et des metteurs en scène. Le soutien de l’État leur est donc utile. Un prix national de théâtre est créé et décerné pour la première fois au Rocado Zulu pour l’ensemble de son œuvre. Mais très rapidement, cette joyeuse parenthèse se referme. Le début des années 1990 est marqué par l’arrivée du multipartisme et l’organisation de la conférence nationale. Nicolas Bissi explique ce que ces changements créeront : « L’État et les sociétés pétrolières se désengagent de la chose culturelle, disant à chacun de se débrouiller. » Et les guerres civiles n’arrangeront guère les choses.

Apparaît dans ce chaos ambiant une nouvelle génération de comédiens, avec en tête de file Dieudonné Niangouna. « Le temps du repli sur soi est révolu, explique Sylvie Challaye dans le n° 162 de Cultures Sud consacré au théâtre contemporain. Ces écritures se projettent au-delà de toute définition et sautent l’enclos. » Cette renaissance théâtrale, issue à la fois de quelque part et de nulle part, s’inscrit dans une « conception dramaturgique qui se dégage de toute revendication identitaire et géographique ». Un théâtre hybride donc, qui, contrairement à ses aînés, est plus souvent tourné vers l’Occident et n’a pas son rendez-vous localement.

Meryll Mezath